Redécouvrez le récit de Catherine Vanesse, publié dans notre numéro de décembre 2014, 10 ans après la catastrophe. Accédez à toutes nos archives en ligne ici.
Tsunami, c’était il y a 10 ans
Novembre 2014, la haute saison vient tout juste de commencer, il est 9h30 et la plage de Patong est déjà prise d’assaut par les touristes. Dix ans plus tard, il ne reste que les panneaux indiquant les routes d’évacuation et les souvenirs pour rappeler que le 26 décembre 2004, un tsunami ravageait la côte Ouest de Phuket.
Il y a dix ans, le 26 décembre 2004, le tsunami le plus puissant et le plus meurtrier qui ait jamais été enregistré balayait les côtes de l’Océan Indien avec des vagues de 10 à 15 mètres et jusqu’à 35 mètres dans la région de Sumatra, faisant entre 216 000 et 232 000 morts, principalement en Indonésie, en Inde, en Thaïlande et au Sri-Lanka. En Thaïlande, selon le gouvernement, le nombre de victimes s’élève à 8150, des victimes thaïlandaises en majorité, mais aussi un nombre important de touristes de 43 pays différents.
Nous sommes le lendemain de Noël, la saison touristique bat son plein, la plupart des hôtels de Phuket et de Khao Lak affichent complet. Il est 7h58 lorsqu’un séisme d’une magnitude de 9,2 sur l’échelle de Richter secoue l’Océan Indien au large des côtes de Sumatra, faisant déjà ses premières victimes dans la région d’Aceh. Une secousse ressentie jusque Phuket, comme le raconte Brad Kenny, président du Rotary Club de Patong : « j’habitais au centre de Phuket, loin de la plage. J’aurais dû me réveiller plus tôt, j’avais rendez-vous chez des amis à Patong, mais la veille c’était Noël. J’étais encore au lit avec mes enfants lorsqu’on a senti la terre trembler. Je vivais au troisième étage d’un immeuble, j’ai alors attrapé mon fils et ma fille et on est sortis dans la rue. Ça a bien duré deux ou trois minutes. j’étais surpris qu’il y ait un tremblement de terre ici, jamais je n’aurais pensé à un tsunami. »
A la même heure, comme souvent, George Saive, alias Chouchou, un Belge de 50 ans à l’époque, part avec un groupe de vingt-cinq touristes pour une sortie en mer. « On n’a pas senti de secousses, on était dans le mini van à ce moment-là. On est parti vers Koh Hong, à plus d’une heure trente de bateau. On a fait un arrêt sur une île avant, on venait de jeter l’ancre, presque tout le monde était encore sur le bateau, sauf un père et ses deux enfants déjà dans l’eau lorsque j’ai vu la vague arriver. On leur a crié de sortir de l’eau, de courir à l’intérieur de l’ile. La vague a frappé le bateau de plein fouet, le faisant terriblement tanguer. Les trois Thaïlandais de l’équipage sont tombés à l’eau, Bernard a voulu en rattraper un, il allait tomber lui aussi. J’ai essayé de le retenir, impossible. Les marins sont remontés tout de suite sur le bateau, Bernard, on ne le voyait plus. Une deuxième vague est arrivée, cette fois tout le monde s’accrochait à ce qu’il pouvait. J’ai donné l’ordre de redémarrer le bateau, je me disais qu’il valait mieux un noyé que vingt-cinq. En fait, lors de la deuxième vague, le bateau était retombé sur la jambe de Bernard, le coinçant entre la coque et le sable. Il était sous l’avant du bateau, c’est pour ça qu’on ne le voyait plus. En redémarrant, il a pu se dégager et on l’a remonté à bord. On a vraiment eu de la chance. »
Il est environ 10 heures lorsque Paul voit revenir affolés les touristes qui logent dans son hôtel à Kata Beach. La première vague vient de frapper. Les gens courent se réfugier sur les collines, la deuxième vague arrive. On annonce une troisième vague encore plus grosse, plus meurtrière. Les gens attendent sur les hauteurs, mais rien ne se passe. Commence alors les allers-re-tours entre la colline et la ville pour aller chercher à manger et à boire. « Je n’ai rien vu, rien entendu ce jour-là, l’hôtel est à 300 mètres de la plage, c’était ma chance, tout comme celle de n’avoir perdu aucun de mes clients. »
Brad Kenny se dirige vers Patong avec ses enfants, il a rendez-vous avec des amis. Il ne sait pas encore ce qui vient de se passer. Sur le chemin, les gens courent dans l’autre sens, lui disent de ne pas y aller. Il ne pourra de toute façon y accéder, la police bloque la route, on lui dit que les plages de Patong, Kamala et Kata sont totalement détruites. Brad rentre chez lui et commence à suivre les informations à la télévision. D’heure en heure il prend conscience de l’horreur qui vient de s’abattre sur la région. De son ami, il ne saura réellement son histoire que six mois plus tard, la douleur l’empêchant d’en parler avant. « Il était sur la plage à Patong avec sa femme et leur bébé de 8 mois quand ils ont vu arriver la vague. Ils ont fui mais pas assez loin, la vague les a rattrapés. Ils se sont réveillés à l’hôpital, une jambe cassée pour lui et la hanche fracturée pour sa femme. Le bébé lui avait échappé des bras, le corps a été retrouvé quelques jours plus tard. »
Quand Chouchou revient sur le terre ferme, il ignore ce qui vient de se passer. Il signale la présence d’un père avec ses deux enfants sur l’île où ils se sont arrêtés plus tôt. Des secours seront envoyés pour les récupérer plus tard dans la journée. « Le choc n’arrive qu’après, quand tu réalises ce qui s’est passé, quand tu vois la plage et la ville dévastées, quand tu prends conscience de ce à quoi tu as échappé. On a vraiment eu de la chance », répète t-il encore une fois.
Les jours d’après
Ce n’est vraiment que le lendemain que les gens ont réalisé toute l’ampleur de la catastrophe. Ce sont surtout les provinces de Phang-Nga, Phuket, Krabi, Trang et Satun qui sont les plus touchées. De Khao Lak, il ne reste que des ruines, les vagues sont rentrées jusqu’à plus de deux kilomètres à l’intérieur des terres. Il suffit d’aller voir le Patrol Boat 813 échoué à 1,3 km de la côte pour se rendre compte de la puissance de la mer ce jour-là. A Baan Nam Khem, village de cinq mille habitants, il ne reste que deux mille survivants. Dans cette région plate, aucun obstacle n’a pu ralentir la vague, aucune colline où se réfugier.
L’Asie du Sud-Est vit un véritable cauchemar. L’Indonésie, plus proche de l’épicentre, est dévastée. D’après les chiffres officiels, près de 168 000 personnes y auraient trouvé la mort. Soixante mille autres ont péri au Sri Lanka, en Inde, et jusqu’en Afrique. La Thaïlande, qui n’en comptera « que » 8150, apparaît presque comme privilégiée. La mobilisation nationale et aussi internationale s’organise, une mobilisation également sans précédent. Destination touristique par excellence, le monde a les yeux rivés sur la Thaïlande et sur Phuket.
« Dans les jours qui ont suivi, le téléphone n’arrêtait pas de sonner, je ne comptais même plus les e-mails. Cette année-là, j’ai des clients qui auraient dû venir et qui ne sont pas venus ; j’en ai eu beaucoup aussi qui n’auraient pas dû venir et qui sont venus. Les gens voulaient aider par attachement à la région, par solidarité. Par exemple, un client est arrivé avec un container d’ours en peluche, de stylos, de cahiers pour les enfants. Était-ce nécessaire ? Non, pas absolument, mais c’était appréciable. D’autres sont venus avec de l’argent. On a donc commencé à organiser des expéditions sur Khao Lak et Baan Nam Khem, on allait demander aux gens ce dont ils avaient besoin. Au début, les autorités locales avaient besoin d’argent, mais on ne voulait pas juste donner des sous comme ça, on voulait être sûr que cet argent allait revenir aux familles qui en avaient besoin. On revenait après avec des pick-up chargés de matériel et un van nous suivait avec les touristes. Les gens voulaient savoir où allait leur argent, ils avaient des comptes à rendre à leurs amis, à tous ceux qui avaient fait des dons. C’est quelque chose que d’aller rencontrer ces personnes qui ont tout perdu, de les aider », raconte Paul, cet hôtelier de Kata, encore ému dix ans plus tard.
« Les hôpitaux de Phuket ont très vite été saturés, il fallait évacuer vers Bangkok. Et puis il y avait le problème des corps. Les cercueils que l’on trouve en Thaïlande n’étaient pas adaptés aux gabarits des Occidentaux. C’est le premier projet que l’on a mis en place avec le Rotary Club », raconte Brad Kenny. On a fait appel aux dons, la réponse a été immédiate. En quelques jours, on a récolté près de 1,2 million de dollars. Il reste encore de l’argent aujourd’hui, de l’argent qui sert à financer les études des enfants qui ont perdu un de leurs parents, ou les deux. Il fallait reconstruire, relancer l’activité économique, on a mis pas mal de projets en place. »
Les jours qui ont suivi la catastrophe ne sont que va-et-vient, transferts vers les hôpitaux de Bangkok, recherches des disparus, identification des victimes, rapatriement des touristes. Puis suivra le déblayage et la reconstruction. « Deux semaines après le tsunami, la plage de Kota était propre comme elle ne l’avait jamais été, explique Chouchou. Dès le lendemain, les locaux, mais aussi des touristes, ont aidé à déblayer les débris, les commerces se sont reconstruits, les restaurants ont rouvert très vite. Sur ce coup-là, les Thaïlandais m’ont épaté, ils ont une capacité de récupération incroyable. » Brad Kenny ajoute : « J’étais à la Nouvelle-Orléans l’année dernière. Katrina c’était il y a 9 ans, juste un an après le tsunami. Encore aujourd’hui il y a des circuits touristiques qui sont organisés pour montrer les dégâts de l’ouragan. C’est quelque chose qu’on a pas ici, en Thaïlande. A Phuket, il faut vraiment chercher pour trouver des endroits qui n’ont pas été reconstruits. Ce n’est pas dans la mentalité d’attendre, de laisser les choses en l’état. Les gens vivent du tourisme, on reconstruit, c’est tout. »
Paul, lui, se rappelle de la saison touristique foutue et de l’année suivante qui ne fut pas terrible. « Après, c’est reparti et ça n’a plus jamais cessé. Parfois, il vaut mieux une mauvaise publicité que pas de publicité du tout. Après le tsunami, tout le monde savait où était Phuket. Après le tsunami, on a également vu de grandes chaines hôtelières construire des resorts dans la région. C’est à ce moment-là qu’a commencé le bétonnage intensif de l’ile, qu’on a vu pousser les condominiums et les villas de luxe chassant par la même occasion de nombreux petits commerces légaux ou non », raconte-t-il.
Pour Martine Gamez, responsable de l’agence de voyage en ligne Planet-Asie.com, le tsunami a affecté le tourisme cette année-là, mais uniquement dans la région de Phuket : « Le problème majeur que l’on a avec les touristes, ce qui les fait hésiter à venir ici, ce sont plutôt les maladies comme le SRAS ou la grippe aviaire et les troubles politiques. Le coup d’État de cette année et les manifestations ont affecté beaucoup plus le tourisme que le tsunami. »
Plus jamais !
Dix ans plus tard, lorsqu’on pose la question de savoir si les gens ont peur que ça se reproduise à nouveau, la réponse est unanime, que ce soit au sein de la communauté d’expatriés, chez les Thaïlandais ou les touristes : « C’était une catastrophe naturelle, quelque chose qu’on ne peut pas prévoir, quelque chose qui ne revient pas de manière périodique ». Le gouvernement a également réagit : « Après la catastrophe, nous avons mis en place ce qu’on appelle les Morning Tower, ou tours d’alerte. Rien que sur l’ile de Phuket il y a en a dix-neuf, de chaque côté de l’ile, même si la plupart se trouvent sur la côte Ouest, plus susceptible d’être frappée par un tsunami, explique Santhawat Riwleung, responsable du Phuket Disaster Prevention and Mitigation Department. Ces tours sont contrôlées par le centre de prévention de Bangkok et des tests sont effectués tous les ler et 15 du mois. Une annonce est faite en cinq langues (thaï, anglais, allemand, chinois et japonais) juste avant l’hymne national. Si les gens n’entendent pas les tests, ils sont invités à nous contacter. »
Claude de Crissey, consul honoraire de France à Phuket, est plus sceptique: « J’habite à 130 mètres d’une tour. Le volume n’est pas assez puissant, je ne l’entends pas de chez moi. Et puis l’hymne thaïlandais ça passe presque inaperçu, encore plus pour les personnes qui viennent en Thaïlande pour la première fois. Ce serait plus efficace d’avoir une alerte comme celle qu’on a une fois par mois en France, quelque chose de facilement identifiable ». Pour Chouchou, c’est plutôt la fréquence qui est à remettre en cause : « Dès que ça bouge un peu du côté de Sumatra, on a droit à une alerte au tsunami. C’est déjà arrivé une dizaine de fois. A force de crier au loup, le jour où il y aura vraiment un danger, les gens ne bougeront plus ».
En plus des annonces sonores, d’autres moyens ont été mis en place. « Il y a des panneaux qui indiquent les routes d’évacuation. Sur chaque plage, on retrouve un plan avec les zones vers lesquelles se diriger en cas de tsunami, continue Santhawat Riwleun. Nous faisons également des exercices de simulation chaque année avec des volontaires, on forme des bénévoles aux premiers soins, on va dans les villages expliquer ce qu’il faut faire, comment réagir si ça arrivait de nouveau. Il y a dix ans, rien n’existait, personne ou presque ne savait ce qu’était un tsunami. Maintenant les gens savent. On ne peut rien faire pour empêcher que ça se reproduise, on peut juste préparer la population, la former, la conscientiser. Si ça devait arriver encore une fois, on est certain qu’il y aurait beaucoup moins de victimes. A partir du moment où les gens entendent l’alerte, ils ont entre 30 et 45 minutes pour évacuer.
Le capitaine Pongmit Narongkul, directeur du personnel du centre de commandement de la Troisième flotte aréo-navale, précise qu’à ce jour « près de 500 volontaires, 14 soldats des forces spéciales, deux hélicoptères, quatre avions, et 15 bateaux sont prêts à intervenir.
Nous recevons un rapport tous les matins des bouées qui sont placées dans la mer d’Andaman. Elles enregistrent l’activité sismique, vérifient que tout est normal au niveau des marées. Il y a dix ans, nous n’étions pas préparés et entraînés en cas de tsunami, nous n’avions pas tout ce matériel. »
Paul l’hôtelier se tracasse plutôt du fonctionnement sur le long terme de ce qui a été mis en place. « Les bouées au large de la mer d’Andaman, c’est bien, mais il faudrait qu’elles soient toujours là dans quelques années, pareil pour les tours d’alerte. Il y a des tests chaque mois, on ne peut pas dire que ça ne fonctionne pas, mais on ne peut pas dire que ça fonctionne parfaitement. Pareil pour les bouées, elles tombent souvent en panne, certaines sont restées hors d’usage pendant un an, faute d’entretien, faute d’argent. »
Ne pas oublier
Comme chaque année depuis dix ans, des cérémonies de commémoration auront lieu le 26 décembre 2014 à Phuket et à Khao Lak. Mais selon Brad Kenny, responsable du Rotary Club et organisateur des commémorations de Patong, « les problèmes politiques en Thaïlande font que ce n’est pas une priorité. C’est aussi dans la mentalité thaïlandaise, la culture bouddhiste. Un an après, oui c’est important de s’en souvenir, dix ans plus tard, c’est trop loin. Bien sûr, il y aura des commémorations, mais plus que le souvenir de la catastrophe, c’est le souvenir des gens qui est toujours présent ».
Jomsurang Csarlernkawn, de l’Office du tourisme de Phuket, pense quant à elle « qu’il ne faut pas effrayer les touristes en faisant trop de cérémonies, en rappelant ce qui est arrivé. Nous sommes en pleine saison touristique, en pleine période des fêtes de fin d’année. »
Mais pour Elizabeth Zana, maman d’une Française disparue le 26 décembre, « c’est important que les gens se souviennent pour toutes les personnes disparues, pour les proches qui sont encore là. A Koh Phi Phi, le mémorial a été détruit. A la place maintenant, il y a un hôtel ! » Dix ans plus tard, les traces s’estompent. Le Patrol Boat 813, qui pendant longtemps était visible depuis la route, se retrouve relégué en arrière-plan depuis que des appartements et des commerces ont été construits devant. Il n’y a plus personne non plus pour prendre soin du site, pour répondre aux questions des touristes, faute d’argent. Le mémorial de Kamala et de Baan Nam Khem ne sont pas mieux lotis.
Combien de temps encore avant qu’ils ne disparaissent eux aussi ?
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