Les réalités birmanes racontées en images par Philippe Patin
Photographe sexagénaire, Philippe Fatin affiche à son compteur une soixantaine de séjours en Birmanie. Ce pan de vie qui s’est étalé sur vingt ans. Il nous est conté avec son Leica et des dizaines de clichés en noir et blanc. Depuis 1996, au fil de ses rencontres sur un bateau, dans un temple, le long d’une route, sur un marché, lors d’une fête religieuse, dans une fabrique de briques d’argile, chez des tisserandes, chez un coiffeur, dans une plantation d’hévéas, avec un astrologue ou encore à l’occasion d’un trek, celui que son logeur a surnommé Itchakui, du nom du fin et long beignet ressemblant à un chichi, fait défiler à pleine page la Birmanie du quotidien.
Sur ses chemins, on y croise néanmoins d’inattendus néo-nazis mais aussi des punks haut en couleur. Cependant, ses pellicules Kodak 400 tri-X ont surtout fixé un temps révolu, celui d’une Birmanie pré-touristique, pré-COVID et avant tout pré-coup d’État. D’ailleurs, bien des images seraient impossibles aujourd’hui à réaliser, y compris celles consacrées à des sites historiques emblématiques. Par exemple, les chats sauteurs du monastère de Kyaung Nga Hpe sur la rive Est du lac Inlé ne bondissent plus à travers les cerceaux de leurs dresseurs depuis déjà belle lurette. Pour autant, quand la situation politico-militaire le permettra, ce n’est pas une raison de ne pas aller voir la collection des Bouddhas anciens du lieu.
Plus généralement cet ouvrage ne montre aucune des violences politiques que ce soient celles perpétrées par la soldatesque du général Than Shwe à l’époque des premiers reportages de la fin des années 90, celles menées par la Tatmadaw à l’encontre des Rohingyas et qui valent aujourd’hui au général Min Aung Hlaing d’être personnellement incriminé devant la Cour pénale internationale ou encore les horreurs des reîtres du Conseil de l’administration de l’État depuis le printemps 2021.
Les seules traces de destruction que l’on peut entrevoir dans ce livre sont les stigmates laissés par le cyclone Nargis en 2008, notamment dans les rues de Rangoun. Si les nombreux drames endeuillant avec constance la société birmane ne sont pas visualisés, les carnets et analyses du reporter n’en sont pas moins empreints, ici et là, d’émotions devant le travail des enfants et les injustices. Ils expriment toute l’empathie d’un observateur engagé pour les si nombreuses victimes des dernières décennies.
Mais plus qu’à l’extraordinaire patrimoine architecturale de la Birmanie, Philippe Fatin s’intéresse aux femmes et aux hommes. Son ouvrage compte nombre de portraits saisis aux quatre coins du pays. Des visages tour à tour souriants, espiègles ou encore énigmatiques. Ils sont ceux de Bamar, de Chin, d’Hakka, d’Intha, de Kayah, de Kayin, de Loï, de Môn, de Palaung, de Rakhine, de Shan ou encore de Wa. Au-delà des expressions des individus, le photographe apprécie manifestement aussi les compagnies aqueuses, celles des vois fluviales (Chindwin, Irrawaddy, Kaladan, Lemro), lacustres (Inlé, Pindaya, Salween, Taunghtaman) et des bordures maritimes de la baie du Bengale et de la mer d’Andaman (Chaungtha, Ngapali, Sittwe).
Chacun des instantanés est légendé.
Malheureusement, quelques inattentions éditoriales se sont glissées dans le récit. Ainsi, le prestigieux site de Bagan est une fois placé dans l’Etat Shan et quelques pages plus loin, à juste titre, dans la province de Mandalay.
Autre erreur dommageable, celle sur le contexte du coup d’État du 1er février non à cette date de 2021 le peuple birman n’a pas voté pour élire un nouveau gouvernement. Le putsch conduit par le général Min Aung Hlaing s’est tenu 86 jours après le choix souverain des électeurs. Il s’agissait le jour du pronunciamento de la première session parlementaire de la nouvelle législature. Au-delà de ces imprécisions, on a un réel plaisir à se plonger tout entier dans cette Birmanie, pays des chimères.
Philippe Fatin : Birmanie, au pays des chimères, Elytis, 2024, 256 p, 45 €
François Guilbert
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