Une chronique géopolitique de Ioan Voicu, ancien Ambassadeur de Roumanie en Thaïlande.
« La migration est aussi naturelle que respirer, manger, dormir. Elle fait partie de la vie, de la nature. » — Gael García Bernal, acteur et cinéaste mexicain.
Observations préliminaires
La mobilité humaine est considérée comme un élément central des grandes transformations mondiales d’aujourd’hui. Le Pacte mondial des Nations Unies pour des migrations sûres, ordonnées et régulières a démontré son rôle important dans l’orientation des approches nationales et collectives de la gouvernance des migrations, notamment en réponse à des défis tels que le changement climatique, la reprise post-pandémique et l’accélération des efforts pour atteindre les objectifs de développement durable.
Cependant, la migration internationale en 2025 reste un phénomène extrêmement complexe et en constante évolution, façonné en permanence par divers facteurs tels que les disparités économiques, l’instabilité politique, le changement climatique, les transitions démographiques et les avancées technologiques.
Au début de 2025, les chiffres mondiaux précis sur le nombre exact de travailleurs migrants ne sont pas encore disponibles. Les estimations les plus récentes de l’Organisation internationale du travail indiquent qu’il y avait environ 169 millions de travailleurs migrants dans le monde en 2019. L’Organisation internationale pour les migrations a fait état d’une estimation de 281 millions de migrants internationaux dans le monde en 2022. Dans les dernières estimations sur les migrants internationaux, près de 281 millions de personnes vivaient dans un pays autre que leur pays de naissance.
Dans le même temps, il est paradoxal de constater le manque d’intérêt pour le contenu de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, adoptée le 18 décembre 1990 par la résolution 45/158 de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Aux fins de cette convention, « le terme « travailleur migrant » désigne une personne qui doit exercer, exerce ou a exercé une activité rémunérée dans un État dont elle n’est pas ressortissante ». Cet instrument juridique multilatéral compte 93 articles et est entré en vigueur le 1er juillet 2003. La convention s’applique à compter de novembre 2024 uniquement dans 60 pays. Aucun État d’Europe occidentale ou d’Amérique du Nord n’a ratifié la Convention. D’autres pays d’accueil importants, comme l’Australie, les États arabes du Golfe Persique, l’Inde et l’Afrique du Sud, n’ont pas ratifié la Convention.
Enjeux essentiels
Les écarts salariaux et les mauvaises opportunités d’emploi demeurent les principaux facteurs de motivation des migrations. Les migrants des régions à faible revenu continuent de chercher de meilleurs moyens de subsistance dans les pays à revenu élevé.
Les conflits, les persécutions et les échecs de gouvernance sont des facteurs importants de migration, en particulier dans des régions comme le Moyen-Orient, l’Afrique subsaharienne et certaines parties de l’Amérique centrale.
L’élévation du niveau de la mer, les phénomènes météorologiques extrêmes et la désertification déplacent des millions de personnes, ce qui rend la migration environnementale de plus en plus importante.
Les pays du Sud sont l’une des catégories les plus touchées. Le vieillissement de la population dans les pays développés crée des pénuries de main-d’œuvre, ce qui entraîne une demande de travailleurs migrants jeunes, qualifiés et non qualifiés en provenance des pays en développement.
En Europe, les difficultés à équilibrer le besoin de migrants qualifiés avec les sentiments croissants contre l’immigration sont à l’origine de politiques qui mettent de plus en plus l’accent sur la migration sélective basée sur les compétences.
Les États-Unis continuent de faire face à des débats sur la politique d’immigration, en particulier en ce qui concerne l’immigration clandestine.
Abritant 58 % de la population mondiale en 2024, l’Asie et le Pacifique sont la région d’origine et de destination de nombreux migrants internationaux, environ un tiers des migrants du monde entier venant de la région. Il est important de noter que la plupart des migrations sont de nature intrarégionale. En Asie-Pacifique, l’urbanisation rapide et la croissance économique attirent les migrants au sein de la région, en particulier vers des pays comme la Chine, le Japon et l’Australie.
Les principaux défis attendus générés par le phénomène de la migration peuvent être résumés comme suit :
Le processus d’intégration : Assurer l’intégration des migrants dans les sociétés d’accueil reste un défi de taille, les différences culturelles sensibles et la forte xénophobie faisant souvent obstacle à ce processus.
La migration irrégulière : Le trafic et la traite d’êtres humains persistent en tant que problèmes majeurs, aggravés par les politiques d’immigration restrictives dans certains pays.
La coordination des politiques : les mécanismes de gouvernance mondiale, tels que le Pacte mondial pour les migrations, ont du mal à équilibrer la souveraineté nationale et les solutions collectives.
Les contributions positives des travailleurs migrants ne peuvent être ignorées. En effet, les migrants contribuent de manière significative aux pays d’origine et de destination par le biais des transferts de fonds et en comblant les lacunes du marché du travail. La migration favorise le multiculturalisme, l’innovation et l’échange d’idées. Les migrants contribuent à répondre au vieillissement de la population dans les pays de destination en reconstituant la main-d’œuvre.
Perspectives d’avenir et conclusion
En attendant de nouvelles ratifications de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, les migrations climatiques vont probablement augmenter, ce qui nécessitera des cadres mondiaux pour traiter les questions de relocalisation et d’adaptation.
Les pays devront innover dans leurs politiques pour équilibrer la sécurité des frontières avec les droits de l’homme et les besoins du marché du travail. Une plus grande coopération internationale est essentielle pour s’attaquer aux causes profondes des migrations, garantir des voies sûres et maximiser leurs avantages.
La relation entre solidarité mondiale et migration internationale doit être clairement reconnue à l’échelle planétaire. Dans la pratique, la solidarité mondiale fait référence à l’effort collectif des nations, des organisations et des communautés pour aborder les migrations de manière globale, humaine et durable. En 2025, il est clair que la migration n’est pas seulement un défi limité à des pays individuels : c’est un phénomène mondial qui nécessite une coopération internationale active pour s’attaquer à ses causes profondes, gérer ses flux potentiels et maximiser ses avantages.
La migration est souvent motivée par des conditions spécifiques qui transcendent les frontières nationales. Par conséquent, une réponse coordonnée à l’échelle mondiale doit se concentrer sur les principales causes profondes de ce phénomène, telles que :
De nombreux migrants se déplacent à la recherche de meilleures opportunités économiques. Les pays les plus riches peuvent promouvoir l’équité économique mondiale en :
* Soutenant le développement durable dans les pays à faible revenu par le biais d’investissements, d’aide et de politiques commerciales équitables.
* Créant des partenariats pour stimuler la création d’emplois et améliorer les moyens de subsistance dans les régions où les taux d’émigration sont élevés. Les conflits, les régimes autoritaires et les persécutions sont à l’origine des migrations forcées.
La solidarité mondiale implique :
* Le renforcement des efforts de maintien de la paix et des mécanismes de résolution des conflits.
* La promotion de la gouvernance démocratique et de la protection des droits de l’homme.
* La fourniture de programmes d’asile et de réinstallation aux réfugiés fuyant les persécutions.
Dans un monde de plus en plus interconnecté, la solidarité mondiale n’est pas seulement un impératif moral : c’est une nécessité pragmatique pour garantir que la migration devienne un puissant moteur de prospérité partagée et de développement durable.
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La problématique des migrations internationales révèle la question de la « déconstitution » du politique et l’évolution des États nations souverains dans le cadre de la mondialisation. Dans ce cadre l’économie moteur de la dynamique conduit à une nouvelle conception du droit et des droits dont les individus mondialisés. En vertu du postulat que le droit et sa priorisation absolue au titre des droits humains déclarés universels et inconditionnels, chaque être humain en serait le titulaire et l’acteur. La problématique marchande et « libre-échangiste » inhérente à la mondialisation conduit nécessairement à l’affaiblissement des frontières nationales obstacles au marché global. La mondialisation, par un saut qualitatif évoluerait en un « mondialisme ».
L’individu migrant, l' »homo migrants » en tant qu' »individu de droit » dispose d’un droit illimité de circulation et d’installation à la surface du globe sans qu’une communauté politique puisse y faire obstacle. L’impératif juridique constitue alors un levier d’une recomposition du monde vers un brassage général des populations. L’emplacement et la localisation des populations migrantes sont alors soumis à des impératifs de gestion si possible équilibrés du point de vue démographique notamment.
Dans le cadre de ce nouveau paradigme, Le monde devient une « société des étrangers » purgée de toute préoccupation relative à une identité partagée. La société ainsi formée cesse d’être politique en ce qu’elle n’a plus pour objectif que le respect de règles destinées à préserver leurs droits et leurs intérêts. Une société sans appartenance, « liquide, ouverte ou la culture et les mœurs relèvent du seul choix des personnes. La distinction entre catégories d’étrangers, légaux et illégaux, réfugiés ou non, perd ainsi de sa pertinence, l’ensemble pouvant prétendre au même droit opposable de circuler. De ce fait la distinction entre l’étranger le national finit par perdre également de sa pertinence. Chaque individu circulant ou ayant vocation à le devenir devient titulaire d’un droit universel opposable.
La démocratie, dans cette dynamique, a vocation à être expurgée des ses caractéristiques originelles, de son fondement, le « peuple ». Dans cette démocratie le peuple est dénié ou du moins réduit à l’inconsistance. C’est l’avènement d’une « démocratie sans peuple ».
L’évolution planétaire est actuellement anticipée par la configuration européenne qui récuse l’enfermement dans les frontières assignées et particularisantes des États constitués au profit d’une identification à de « nouvelles frontières » dont les délimitations ne sont d’ailleurs pas encore achevée si tant est qu’elles peuvent l’être, l’espace européen étant une espace mondial en formation ou du moins sa préfiguration.
C’est cette évolution qui est une source d’insécurité voire de panique démocratique chez les « citoyens classiques » devenus des « paleo-citoyens » aussi bien au regard de leur identité politique et la communauté qu’ils forment (formaient) que de l’espace géographique illimité qui se déploie sous leurs pieds.
L’exposé qui nous est fait repose sur une approche essentiellement quantitative en terme de flux qu’il s’agirait de « gérer ». Plusieurs facteurs identifiés comme étant les causes de la migration sont énumérés comme rendant celle-ci inéluctable et « naturelle ». A partir delà il appartiendrait à la « communauté internationale » de répartir les populations en fonction de critères et parmi eux le « déclin démographique » ou encore les « phénomènes climatiques ». la question du développement des pays exportateurs de population n’est que très rarement évoquée parce que cette donnée est un moteur de la mondialisation inégale, un objectif non discutable mais non dit. De nombreuses enquêtes semblent montrer que ce ne sont pas les plus démunis qui migrent mais ceux qui disposent d’un capital minimum financier, comme intellectuel. Rien que parmi les facteurs incitatifs on trouve la facilité des communications qu’offrent internet comme l’abondance des communications aériennes. Si l’attrait salarial est bien invoqué comme motif des migrations, son accompagnement pour satisfaire les besoins des entreprises en quête de main d’œuvre exploitée semble préconisé. Si la traite de main d’œuvre et des familles les accompagnant (politiques de regroupement familial), aussi bien par l’aide de passeurs comme des associations éventuellement subventionnées et complices est condamnée, la migration, supposée inéluctable doit, pour l’ONU (193 États dont la très grande majorité à l’origine des migrations) être « justement » répartie. Le pacte européen pour la migration et l’asile à le même objectif, mais régional.
L’aspect qualitatif hormis celui vu sous l’angle des compétences souhaitées ou requises, et notamment l’aspect culturel n’est jamais évoqué si ce n’est sous l’aspect jugé éminemment positif du multiculturalisme et de ses bienfaits. On rappellera l’affirmation d’un Président de la République selon laquelle « la culture française n’existe pas « . Cette dimension de la migration est un angle mort des approches convenues tant elle serait non seulement ressentie (ce qui ne serait qu’un pur fantasme) mais vécue comme négative au point de modifier profondément les donnes politiques dans les pays d’immigration massive de populations culturellement éloignées des pays d' »accueil ». On lit dans cette contribution que les politiques restrictives dans ces pays seraient une des causes aggravant les difficultés d’intégration que les populations migrantes y compris irrégulières rencontreraient.
Pour résumer l’approche mondialiste s’exprime en terme de circulations de flux, comme les marchandises ou les capitaux, ignorant, ou voulant ignorer la spécificité culturelle des migrants assignés soit à se fondre dans la population d' »accueil », objectif difficilement réalisable en raison du nombre qui conduit aux « ghettos » ou à promouvoir toutes les nuances de séparatismes difficilement compatibles avec les modèles démocratiques en vigueur et surtout avec les difficultés de fonctionnement d’un « État – providence » dont les paramètres sont progressivement remis en cause si ce n’est en voie d’effondrement. D’où les tensions, les réactions identitaires, l’insécurité réelle et ressentie, l’avènement de modèles politiques de plus en plus autoritaires.