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Sraascape, Drinking in Cambodia and its Talelands

Date de publication : 27/01/2025
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L’âme khmère au fond des verres, une chronique de François Guilbert

 

Après une première étude très réussie sur les spiritueux des campagnes birmanes en 2022, l’écrivain australien Luke James Corbin installé à Chiang Mai (Thaïlande) poursuit ses recherches sur les alcools traditionnels avec cette fois-ci une enquête sur les eaux-de-vie des montagnards cambodgiens. Pour mener à bien ses missions de terrain conduites pendant deux années (2022 – 2023), il a bénéficié, une fois encore, du soutien de l’entreprise française Pernod-Ricard. La firme y a en effet vu une occasion de manifester son intérêt pour le vaste patrimoine agroalimentaire d’un pays dans lequel elle s’implante mais aussi à terme une perspective d’innovation pour développer de nouveaux produits pour le marché local. Non seulement un livre est né de cette collaboration (Sraascape) mais aussi un film documentaire (Sra Stories (Histoires de riz))

 

Les boissons des hauts-plateaux cambodgiens ont une diffusion souvent très locale

 

Elles manquent de volumes, de standardisation voire de réseaux de distribution. Elles sont populaires dans l’environnement de leur distillerie mais pas à même de suivre leurs adeptes qui résident au loin ou vivent dans les grands centres urbains. Autrement dit, un savoir-faire ancestral et une palette de goûts menacés de disparaître au profit de produits industriels stéréotypés mais largement diffusés (ex. bière Lager, gin, whisky).

 

Pour entamer une politique de sauvegarde, une étude comme celle de Luke J. Corbin est fort utile car elle permet de mieux appréhender les spécificités des ingrédients de base des breuvages autochtones, leurs processus d’élaboration, leur réception chez les consommateurs et les freins à des mises en distribution de masse. A n’en pas douter une fois rassemblées, de telles données peuvent servir l’innovation d’entreprises internationales de spiritueux à la recherche de débouchés.

 

C’est d’ailleurs ce qu’a déjà réalisé Pernod-Ricard en lançant un nouvel un alcool de riz : Sensota. Son élaboration a été le fruit d’un partenariat avec une ONG de Libourne (Agrisud) et des petits distillateurs de la province de Takéo. Une démarche qui peut directement concourir aux politiques publiques en aidant à définir des cahiers des charges pour guider les entrepreneurs familiaux dans des approches économiquement plus qualitatives et assurant une meilleure sécurité des consommateurs. Le potentiel d’innovation pour les alcools cambodgiens est substantiel.

 

La maîtrise des processus de fermentation est fort ancienne au Cambodge

 

Fermiers et pêcheurs ont appris au fil des siècles à maîtriser la fermentation de plusieurs produits (cf. poissons (prahok), riz (tapae), sauce (kapi)). De nombreuses familles produisent elles-mêmes leur alcool de jarres, leur vin de palme, leur cru de banane ou encore leur hydromel de maïs. Pour dresser son inventaire des bibines montagnardes, notre amateur de fermentation est allé au contact de villageois Brao, Bunong, Kreung, Kui, Jaraï, Stieng et quelques autres communautés encore des provinces orientales du Royaume (Mondolkiri, Ratanakiri). Un travail d‘ampleur, assez méthodique et sans réel équivalent depuis l’époque coloniale.

 

Consacré pour l’essentiel aux terroirs des confins laotiens et vietnamiens, l’étude mérite d’être étendue plus encore. Il s’agirait, par exemple, de complémenter les relevés fragmentaires réalisés à l’ouest du pays : dans les massifs des Cardamones, Damrei et Phnom Kulen. Là aussi, il est possible de trouver des gnôles à valoriser. Mais reconnaissons qu’à ce stade ce qui nous a été servi avec ce livre, nous l’avons avalé sans modération.

 

Sraascape est un très bel ouvrage bilingue (anglais – khmer), illustré de plus d’une centaine de photos, qui permet de se familiariser avec la diversité des alcools du Cambodge, leurs réalisations à travers les âges, leurs modes de production et conservations anciens et la place de ces nectars dans la spiritualité, lors de célébrations communautaires ou les rites de protection. Au final, on perçoit combien la (ré)appropriation du passé fait naître de nouvelles vocations de distillateurs et apparaître sur les tables de nouvelles eaux-de-vie auxquelles l’auteur rend rapidement hommage en fin de volume. Un univers gustatif à découvrir pour tous ceux qui se rendent ou vivent au Cambodge mais à consommer, lui, avec mesure.

 

Luke James Corbin : Sraascape, Drinking in Cambodia and its Talelands, Silkworm Books, Bangkok, 2024, 156 p, 1200 B

 

François Guilbert

 

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