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Je vais faire un parallèle que la justice française n’a pas encore fait, et ne fera peut-être jamais. Deux faits ont eu lieu, la semaine dernière, qui révèlent l’état d’une France assiégée par les narcos. Le premier est l’extradition, par le Maroc, du chef présumé du clan « Yoda », l’une des organisations criminelles les plus puissantes de Marseille, qui règle ses comptes avec la DZ Mafia à coups de kalachnikovs et de «barbecues», ces incendies de voiture avec des prisonniers ligotés dans leurs coffres. Le second est l’explosion du quartier des Saugeraies, à Mâcon, à 150 kilomètres de Genève et de la Suisse.
Je connais ce quartier de la ville bourguignonne. J’y étais le 4 juillet dernier, avant d’assister au départ de l’étape du Tour de France de cyclisme, sur les bords de la Saône. J’y ai vu les balafres françaises qui défigurent aujourd’hui les villes moyennes. L’absence de commerces au pied des tours, la proximité de l’autoroute A6 qui permet aux « go-fast » d’y livrer leurs kilos de drogue. A Mâcon, tout est – paraît-il – parti du refus de la mairie d’accorder une salle aux trafiquants pour y faire leur business. Je ne connais pas les détails. J’y retournerai bientôt.
Le chef de « Yoda » est, lui, à l’isolement, nouveau régime carcéral promis par le ministre de la Justice Gérald Darmanin. Le Sénat vient de proposer un parquet dédié, comme le réclamait son excellente commission d’enquête. Il s’agit du projet de loi «visant à sortir la France du piège du narcotrafic». Tant mieux. Car il y a urgence.
(Pour débattre : richard.werly@ringier.ch)
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La proposition de loi actuellement discutée au Sénat issue de la commission d’enquête présidée par Jérôme Durain avec Étienne Blanc comme rapporteur (rapport sénatorial sur « le narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, » n° 588, 629 pages, mai 2025, disponible sur Internet) a de bonnes chances d’être votée à la presque unanimité. Des amendements durcissants le texte initial risquent néanmoins d’être retoqués par le Conseil Constitutionnel qui, comme la la loi immigration-Asile, en avait restreint la portée. Les avocats, de leur côté, critiquent la validité de certaines dispositions (procédure secrète dite « coffre-fort ») concernant des atteintes au droit de la défense et une atteinte l' »État de droit ».
Le Sénateur O. Cadic a répertorié 8 séquences dans la chaîne du narcotrafic qui, si elles ne sont pas traitées risquent de rendre la lutte inefficace notamment au regard des politiques à adopter au regard des pays de départ producteurs de substances les plus diverses que ce soit le produit lui même ou les substances chimiques entrant dans leur composition.
Le terme de la chaîne, laissée dans l’ombre, est le consommateur de plus en plus nombreux. La question, quand elle est abordée, est confinée, au mieux, à la prévention et à la prise en charge sanitaire actuellement défaillante faute de moyens. Il faut observer que depuis 1980 le prix du gramme de cocaïne a été divisé par 3 ou 4 (contrairement au paquet de beurre et au pack de lait).
Les protagonistes directs du narcotrafic impactent par ailleurs les habitants des zones de trafic qui se sont répandues sur l’ensemble du territoire jusqu’aux petites agglomérations: violences diffuses et caractérisées avec dégâts mortels collatéraux, déménagement forcé des riverains situés près des points de deal, multiplication des commerces de nuit (Montpellier) façades du blanchiment, fermeture des magasins et désertion des services publics de proximité, et pas seullement à Macon, etc. La livraison à domicile, facilitée par internet, l’ubérisation des livraisons, achève de compléter la scène du narco-trafic.
Les dispositions nouvelles seront-elles à la hauteur des enjeux que le rapport sénatorial pointe avec précision ? Le risque d’une opération d’affichage est à craindre d’autant que l’efficacité des dispositifs ne sera pas réglée par un parquet dédié aux seuls trafiquants d’ampleur, le « haut du spectre », ni pas la création de prisons de « hautes sécurité » pour le top 100 des narcos, du reste après avoir vidé (?) une (pour juillet 2025 ?) puis, pour plus tard, 2 ou 3, un établissement existant. On ne sait pas encore ou ! La mise en place d’un mécanisme de gel des avoirs des narcotrafiquants peut avoir un effet dissuasif de même que la création d’un statut de « repenti », à l’image de l’Italie dans sa lutte assez efficace contre la Mafia, pourrait être utile. L’absence d’efficacité réelle risque néanmoins d’être subordonnée à la contrainte des moyens que l’armée française et… D. Trump, réclame. Comme pour cette dernière, la politique de retrait actée depuis presque 20 ans, 2007 pour la police de proximité et, à l’initiative du précédent ministre de l’Intérieur, la police judiciaire en la fondant dans la sécurité publique, a contribué à donner de l’ampleur au phénomène actuel.
Le phénomène du narcotrafic concentre des budgets considérables rivalisant avec celui de l’État qui, lorsqu’il est défaillant ou manque de volonté politique, ne peuvent que conduire à l’amplification du phénomène et, pire, à la corruption de certains secteurs de l’administration et à une « mexicanisation » rampante. Une dérive que la défaillance de l ‘école conduit des masses de jeunes déscolarisés mais tik-tokés, sans ambition ni avenir professionnel ni, bien souvent, de cadre familial, sur les espaces du « deal ».
Une prise de conscience pour le moins ? Nécessaire ? Suffisante ? Il faut attendre la mouture du texte final, le vote de l’assemblée nationale, les éventuelles navettes, le texte final et surtout s’il est saisi, la décision du Conseil Constitutionnel (dont le nouveau président devant être incessamment nommé donnera une indication sur une orientation possible de cette institution). La loi est une chose, son application une autre…
De Clarisse Serre : « L’avocate et le repenti » , Ed. Ouest France, 2025, 208 pages et de Frédéric Ploquin : « Les narcos français brisent l’omerta », Ed. Albin Michel, 2021, 352 pages