L’identité de l’ile japonaise Hokkaido déclinée dans l’assiette, une chronique gastronomique et sociétale de Francois Guilbert.
Vous vous dites que la cuisine japonaise a, elle aussi, ses particularités provinciales ? Alors l’ouvrage du chef britannique Tim Anderson est fait pour vous. Le neuvième manuscrit du vainqueur de la saison MasterChef 2011 de la BBC est intégralement consacré à la cuisine de l’île d’Hokkaido, là tout au nord de l’archipel nippon.
Depuis près de deux décennies, l’auteur installé à Londres ne cesse de s’intéresser à la culture culinaire de l’Empire du Soleil Levant et de la promouvoir au Royaume Uni par ses écrits ou ses participations à des émissions de télévision. Il l’a d’abord étudiée académiquement sous l’angle historique à l’université de Los Angeles aux États-Unis avant de la connaître plus avant, grâce à une bourse de recherches. Elle l’a mené en premier lieu à Fukuoka, au nord de l’île méridionale de Kyushu, avant de le conduire plus loin encore.
Pour autant, sa curiosité n’a pas été rassasiée. Loin de là !
C’est ainsi que le chercheur n’hésite pas à se pencher sur les variétés préfectorales d’un même plat. Il s’intéresse jusqu’aux micro-styles des terroirs les moins connus au Japon même. Son goût pour l’immersion sur le terrain et le reportage, Tim Anderson nous le fait partager avec pédagogie mais surtout en toute simplicité, sans propos savants mais toujours précis y compris dans la langue vernaculaire. C’est ainsi l’occasion de se familiariser avec le patrimoine et la culture ainu.
Après s’être longtemps repliée sur les sphères privées et familiales, l’identité ainu renaît depuis quelques années, se reformalise et se (ré)affirme dans l’espace public, y compris dans la restauration des mégalopoles d’Osaka et de Tokyo. Elle s’y mixe comme d’ailleurs elle n’a jamais cessé de le faire depuis l’ère Meiji, puisque c’est à cette époque, en 1868, que la deuxième plus grande île du Japon fut annexée.
La valorisation de l’identité gastronomique ainu participe très directement d’une affirmation identitaire et politique dont le pouvoir central reconnaît peu à peu la singularité, l’inscrivant désormais dans des textes réglementaires et législatifs.
Cette démarche politico-culturelle est pour nous l’occasion de découvrir une société et ses pratiques de cuisine: la place donnée aux saumons, à des produits peu familiers (ex. l’ail gyôza ninniku, l’algue marimo du lac Akan, la céréale amam, la variété d’églantier maw la liqueur Tonoto,..) ou encore à la dimension religieuse ou spirituelle (kamuy) de certains plats, sans même parler de leurs origines wainjins.
Dans sa quête de la culture d’Hokkaido, le rédacteur venu de l’État américain du Wisconsin et dont au moins un des manuscrits a été traduit en français chaque année depuis le début de la décennie (cf. Ramen for ever, Hachette, 2024; Cuisine japonaise ultra-facile, Synchronique, 2023 ; Bowls et bento, Hachette, 2023 ; Izakaya : la cuisine des bistrots japonais, Hachette, 2022; Cuisine japonaise vegan ultra-facile, Synchronique, 2021, Tokyo stories : à la découverte de la cuisine japonaise, Hachette, 2020) a pu compter sur l’aide et les talents du chef Hiroaki Kun installé aujourd’hui à Sapporo.
Ce dernier a su collecter plusieurs des recettes décortiquées pour les lecteurs. On se déplace ainsi de sous-préfectures en bourgs sur toute l’île. Les mascottes des lieux en tête de chapitre aident à savoir où l’on est. Incontestablement, une balade goûteuse, contée par la géographie, racontée avec forts détails sur les lieux, les produits et parfois les restaurateurs. De nombreuses illustrations agrémentent avec bonheur des recettes anciennes, contemporaines ou culturellement hybrides mais toujours aussi contextualisées les unes que les autres.
Tim Anderson : Hokkaido, recipes from the seas, fields and farmlands of northern Japan, Hardie Grant Books, Londres, 2024, 256 p, 45,9 €
François Guilbert
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