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J’écris ces lignes alors que le débat parlementaire sur l’Ukraine vient de se tenir en France. Et voilà que la droite nationale-populiste montre les dents. « Nous ne pourrons jamais soutenir une chimérique défense européenne », a tonné Marine Le Pen. Un complément parfait du « Macron, on ne mourra pas pour l’Ukraine ! », visible actuellement à Paris sur les affiches des « Patriotes », le parti microscopique de Florian Philippot, son ex-bras droit.
Mourir. C’est bien sûr le verbe qui fait le plus mal. Celui, d’ailleurs, que Donald Trump utilise pour convaincre son électorat qu’il veut avant tout arrêter les souffrances et les destructions à l’est de l’Europe. Et que pour y parvenir, accepter les conditions de paix de Vladimir Poutine et de la puissante Russie se justifie. Trump a renversé la donne. Il est, lui l’ancien promoteur immobilier, jamais gêné pour négocier avec les mafieux de tous bords, le seul capable d’arrêter les combats. Ce sont les Européens qui, par leur mauvaise lecture de la menace russe et de la résistance ukrainienne, veulent selon lui poursuivre la guerre…
« Mourir pour l’Ukraine. » Cette affirmation est simpliste, caricaturale, angoissante. Mais il faut à tout prix y répondre, car elle va miner le débat de ces prochaines semaines si les Européens, Macron en tête, accouchent vraiment d’un plan de paix alternatif à celui de Trump. Le fait est que cette guerre tue. Qu’elle décime un pays. Qu’elle obscurcit l’avenir européen.
Donald Trump ne doit surtout pas être le seul à parler de paix.
Bonne lecture, au cimetière des idées.
(Pour débattre : richard.werly@ringier.ch)
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Le noir démon des combats
Va quitter cette contrée
Nous reverrons ici-bas
Régner la déesse Astrée
O Paix! source de tout bien
Viens enrichir cette terre
Et fais qu’il ne reste rien
Des images de la guerre.
Chasse des soldats gloutons
La troupe fière et hagarde
Qui mange tous nos moutons
Et bat celui qui les garde.
Délivre ce beau séjour
De leur brutale furie
Et ne permet qu’à l’amour
D’entrer dans la bergerie.
Fais qu’avecque le berger
On puisse voir la bergère
Qui coure d’un pas léger
Qui danse sur la fougère
Et qui du berger tremblant
Voyant le peu de courage
S’endorme, ou fasse semblant
De s’endormir à l’ombrage
Accorde à nos longs désirs
De plus douces destinées
Ramène nous les plaisirs
Absents depuis tant d’années.
Étouffe tous ces travaux
Et leurs semences mortelles
Que les plus grands de nos maux
Soient les rigueurs de nos belles
Et que nous passions les jours
Étendus sur l’herbe tendre
Prêts à conter nos amour
A qui voudra les entendre.
Jean de LA FONTAINE, 1679
« Mourir pour l’Ukraine » fait écho à l’expression « mourir pour Dantzig » et à un modèle d’attitude « capitularde. » L’opinion publique montre qu’en France, sondage après sondage que la population n’ira pas mourir pour le Donbass.
Zelinsky lui-même s’est rangé à cette conclusion, certes sous pression américaine et pusillanimité européenne masquée par des propos plus ou moins interventionnistes d’autant que les moyens font cruellement défaut notamment du côté français.
Du côté américain, la situation est semblable, Trump ne peut mener deux guerres de front contre la Russie et la Chine qui ne sont ni la Corée du Nord ni l’Iran. D’où l’impérieuse nécessité pour lui de terminer l’une avant de se préparer pour l’autre et d’envisager de donner aux européens la responsabilité de la sécurité européenne. D’où l’appel de plus en plus menaçant d’un retrait otanien faute d’abonder, à la charge des européens, aux budgets nécessaires pour maintenir le niveau de puissance américain s’il doit toutefois être maintenu. La question et surtout la réponse reste pendante bien que l’Amérique ne semble pas pouvoir envisager le maintien de sa « puissance mondiale », étant, à l’instar de la France fort endettée, sans une alliance, plus moins revisitée, avec l’Europe.
Les derniers propos martiaux télévisés du Président français n’en peuvent mais, faute de moyens financiers et en dépit de promesses soutenues par la Présidente de la commission européenne et du futur chancelier allemand. Ces engagements qui ne valent en tout cas que comme engagement dissuasif, pour à l’avenir, une fois la « paix » signée et qui sont certes indispensables pour contenir la fuite en avant d’une Russie revancharde qui resterait impérialiste et revancharde.
Mais de là à positionner des forces françaises, même alliées à d’autres d’origine européenne en Ukraine, l’opinion, sondage après sondage exprime se forte opposition. S’engager, derrière et pour un Président très affaibli dans l’opinion comporte un risque non négligeable : celui de réveiller de nouvelles oppositions et de transformer des neutralités voir des bienveillances en oppositions farouches quitte à souhaiter le départ accéléré de celui-ci coûte que coûte. Un effet drapeau qui se retournerait, un effet boom-rang. Bref, une étape supplémentaire dans le processus rampant mais bien réel de « vichysation » de la France…
La guerre tue c’est un fait, faut-il mutualiser les morts ? Faut-il, afin d’écarter la mort, s’engager dans la guerre au risque d’ajouter des morts aux morts ? 300 français en Estonie actuellement et de possibles tests poutiniens sur les frontières baltiques de l’Europe. Une réponse otanienne absente, on détourne les yeux… Article 5 aux abonnés absents… Le parapluie nucléaire français mutualisé et le responsable de son ouverture le déploiera t-il dans ces circonstances considérant que les intérêts vitaux de la France sont menacés ? L’absence de réaction serait de nature à hypothéquer si ce n’est décrédibiliser le sérieux de cette protection présentée comme imparable. Supposons une riposte nucléaire sur Kazan ; Lyon, Marseille ou Lille sont-ils prêts à recevoir la réplique ? « dulce est pro patria mori » ou comment faire courir les « soldats au champs d’honneur » ou encore comment ressusciter les soldats de l’an II…
Une relecture du fameux texte d’ E. Kantorowicz « Mourir pour la patrie », publié aux ed. PUF en 1984 en (141 pages) aide à réfléchir. L’écrivain japonais Akira Yoshimura dans un livre publié en 2014 aux éd. « Actes Sud » (176 pages), » Mourir pour la Patrie », dépeint, à travers le personnage de jeune Shinichi Higa, « le patriotisme désespéré, la dignité ultime d’un peuple qui se sent mourir les yeux ouverts ». Un sacrifice total et absolu pour l' »Empereur ».