Lors d’une conférence à l’espace Ausone, à Bordeaux, notre chroniqueur international Yves Carmona a rencontré Hubert Védrine, l’ancien ministre français des Affaires étrangères.
Voici ses impressions.
L’auteur de ces lignes avait lu sur liseuse des extraits du « dictionnaire amoureux de géopolitique ». M. Védrine l’a présenté à l’espace Ausone de la libraire Mollat devant une salle comme d’habitude comble.
L’intervieweur Jean Pétiaux et donc lui-même ont surtout évoqué l’Ukraine. Celle-ci constitue une nouvelle entrée dans cette édition d’un dictionnaire géopolitique déjà paru en 2021 et a été naturellement au centre de cette conférence –il faut laisser à des spécialistes du monde russe le soin de l’évoquer et relater essentiellement les propos qui concernent l’Asie.
A noter qu’il y a 30 ans déjà, Kissinger et Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter (1977-1981), pour une fois d’accord, avaient déjà proposé que l’Ukraine soit neutralisée, donc ce débat existe aux États-Unis depuis au moins 30 ans.
Il a d’ailleurs alimenté les thèses de Francis Fukuyama en 1992 sur la « fin de l’histoire » puis de Samuel Huntington en 1996 sur le « choc des civilisations » dont le Président Chirac disait qu’il ne fallait surtout pas qu’il se produise. Aujourd’hui, les foucades du Président Trump provoquent l’affolement de la fourmilière européenne car l’Union européenne n’a pas de compétence en matière de défense.
S’agissant plus précisément de l’Asie, le conférencier a évoqué la Chine et Taïwan ainsi que les BRICS en réponse à des questions.
Xi Jin Ping est un vrai problème. A l’âge de 34 ans, Hubert Védrine, conseiller diplomatique du Président Mitterrand, était son preneur de notes et Xi Jinping, encore jeune membre du PCC, était lui aussi présent en entretien, ce qui vaut au conférencier un grand prestige auprès des Chinois qu’il rencontre.
Le « Piège de Thucydide » (Thucydide’s trap) va-t-il conduire la Chine à faire la guerre à Taïwan demande son intervieweur ? Il n’est pas sûr que Xi Jinping attaque, compte tenu du coût humain et matériel d’une guerre à Taïwan, pas facile à conquérir, alors que la cyber guerre et la relocalisation de l’entreprise taïwanaise TSMC qui fabrique les meilleures puces du monde pourraient suffire.
Il est d’autant moins sûr qu’une telle guerre soit déclenchée que le Président Trump n’aurait pas non plus forcément envie de venir au secours de l’île alors que l’adversaire principal, c’est la Chine et que pour le moment, il s’efforce plutôt de revenir à une Amérique du 19ème siècle (MAGA dit son slogan) : conquête de l’Ouest en chassant les Indiens autochtones, doctrine de Monroe en 1823 interdisant aux Européens d’intervenir dans les affaires d’Amérique latine, guerre contre l’Espagne (1898) conduisant celle-ci à reconnaître l’indépendance de Cuba et à céder les Philippines, Porto Rico et Guam.
Autre question, la guerre menée par la Russie en Ukraine la met dans la main de la Chine, grave erreur de calcul de Poutine. Ne pourrait-il s’agir d’asseoir un peu plus l’influence chinoise au sein des BRICS qui deviendraient des BICS ? En tout cas, la Russie s’est dissociée de la Chine dont l’intérêt n’est pas de reconnaître une conquête rejetée par la « communauté internationale » même si, par ailleurs, M. Védrine met en doute son existence.
Conclusion : dans une situation géopolitique qui évolue chaque jour, il était salutaire d’entendre le conférencier rappeler l’importance de l’Histoire – il a évoqué la bataille de Qadesh 1274 avant JC – tout en signalant que le « vainqueur » Ramsès II ne l’était pas forcément car c’est lui qui raconte une bataille qu’il a peut-être perdue contre les Hittites ! Car l’Histoire est « ce mensonge sur lequel nous nous sommes mis d’accord, selon Napoléon » écrit-il dans sa Préface.
Et c’est pourtant cette Histoire fragile qui se poursuit et il faut s’appuyer sur elle pour mieux comprendre le présent.
Retrouvez la conférence ici.
Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.