Une chronique du conflit Birman par Francois Guilbert
Poursuivant sa chasse résolue à tous ses opposants, la junte multiplie les fermetures de cliniques et centres de santé. Au mépris des patients et de l’intérêt général, le Conseil d’administration de l’État (SAC) clôt les uns après les autres les établissements recourant pour partie à des fonctionnaires en désobéissance civile (CDM). Non seulement ceux-ci ont été licenciés de l’appareil d’État pour s’être opposés pacifiquement aux putschistes mais ils sont systématiquement pourchassés et interdits d’exercer chez tout nouvel employeur.
Ces dernières semaines neuf hôpitaux de Rangoun, sept de Mandalay et un de Dawei ont dû temporairement ou définitivement fermer leurs portes. Voilà une politique publique du conseil militaire qui n’a d’autre objectif depuis 2022 que d’orchestrer la terreur dans la société, quel qu’en soit le coût humain. Parmi les centres thérapeutiques autoritairement suspendus figurent plusieurs établissements renommés. Pour certains, ils offraient des dizaines de lits, de la chirurgie, des capacités de diagnostiques, des traitements rares et sophistiqués. Le gouvernement aux ordres du général Min Aung Hlaing n’a cure de ces réalités. Il ne se préoccupe pas de l’impact sanitaire de ses choix. Il veut faire savoir sa vindicte politico-sociale, non seulement à ceux qui se sont levés contre lui mais également à tous ceux qui pourraient leur apporter, délibérément ou non, une aide.
En faisant disparaître des offres privées de soin, le régime de Nayi Pyi Taw creuse un dangereux fossé dans la société.
Les familles se détournent toujours plus des centres hospitaliers publics considérés comme des instruments à la main du pouvoir militaire. Elles assument le lourd prix à payer de ce choix pour les leurs. Des praxis radicales qui en disent très long sur la profondeur du rejet de la Tatmadaw dans la société depuis le coup d’État du 1er février 2021.
De nombreux Birmans sont disposés à se passer de tout soin plutôt que de faire appel à des lieux et des personnels pouvant apparaître comme liés aux militaires. En parallèle, les personnels de santé publique ne vont plus au-devant des habitants. Le care et les politiques de prévention s’en voient profondément affectés. A vrai dire, c’est toute la chaîne de santé qui est malmenée et désorganisée. Une situation aggravée par un ministère de la santé aux ressources notoirement insuffisantes, ne constituant en rien une priorité de la gouvernance d’un SAC privilégiant les dotations budgétaires à son appareil de sécurité, et une politique économique et financière renchérissant les approvisionnements en médicaments.
Les affrontements armés dans le pays sont en outre un obstacle majeur aux soins. La junte n’hésite pas à s’en prendre militairement aux infrastructures de santé et à en victimiser au passage leurs personnels. Du 1er janvier au 28 février 2025, suite aux opérations de bombardement de la Tatmadaw, on dénombre déjà 73% des victimes des personnels de santé tués au cours de toute l’année 2024. Au nom de sa tactique dite des cinq coupures, la junte veille aussi sur les routes à ce que médicaments et équipements de santé ne parviennent pas aux insurgés et aux territoires qu’ils contrôlent. Sur les check-points, soldats, policiers et miliciens entravent la circulation des produits pharmaceutiques et de première nécessité.
Les personnes affectées par des maladies chroniques en font immédiatement les frais. Les dangers et les coûts à se déplacer altèrent la couverture santé du plus grand nombre. Les Birmans se meuvent de moins en moins dans leur propre pays. Les jeunes hommes craignent d’être arrêtés en route et enrôlés de force dans l’armée. Ceux qui habitent à proximité des lieux d’affrontement ont peur d’être interpellés, malmenés, dépouillés voire accusés aux points de contrôle de complicité avec les terroristes. Les femmes enceintes et les jeunes mères hésitent à faire les déplacements de suivi de leur grossesse et de leurs nourrissons. Ces freins mettent en danger la vie de dizaines de milliers de personnes et l’avenir de plusieurs générations.
La couverture vaccinale de la Birmanie se révèle au plus bas
En zones rurales et périurbaines, et plus encore dans les régions d’affrontements armés, la vaccination infantile est en danger. Contrairement à ce qu’affirment les autorités gouvernementales de Nay Pyi Taw, les enfants nés depuis 2021 sont moins bien protégés que leurs aînés. La vaccination est aujourd’hui inférieure à ce qu’elle était il y a dix ans. Depuis 2021, la Birmanie est revenue dans le top 10 des États avec le plus grand nombre d’enfants sans couverture vaccinale. Cela constitue un drame pour les 3,6 millions d’enfants nés depuis le coup d’État.
Dans les hot spots de la guerre civile, c’est près de 70 % de ces jeunes qui n’ont pas été vaccinés ou incomplètement. L’absence de doses et la hausse de leur coût d’acquisition sont particulièrement prégnantes dans les États Kayah et Rakhine mais également la province de Sagaing. Ce déficit massif d’immunité a des effets d’ores et déjà visibles, bien qu’ils ne soient pas commentés par les autorités de la capitale. Depuis 2023, des cas de diphtérie ont été détectés dans les plus grandes villes du pays : Mandalay, Rangoun, par exemples. Des rubéoles ont, elles, nécessité de fermer des établissements scolaires jusque dans le sud-est de la Birmanie, non loin de la Thaïlande. De son côté, la coqueluche a fait des ravages dans la région de Sagaing. Ces derniers jours, ce sont plusieurs dizaines de jeunes atteints d’hépatite A dont on parle de bouches à oreilles et sur les réseaux sociaux. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’inquiète par ailleurs d’une réémergence possible de la polio. La Birmanie est confrontée plus que jamais aux risques des maladies contagieuses.
Ces défis viennent s’ajouter à des épidémies de paludisme se multipliant depuis juin 2021 (+300 % de cas de malaria de 2020 à 2023.), aggravées par une pénurie chronique de fournitures antipaludiques (ex. moustiquaires imprégnées d’insecticide) et par l’interruption des interventions de lutte antivectorielle, visant à réduire la population de moustiques. Pour le malheur des Birmans mais aussi des populations des États limitrophes, la République de l’Union du Myanmar ne deviendra pas ainsi exempte de paludisme d’ici 2030 comme on l’espérait généralement avant le coup d’État du SAC.
Autre exemple d’inversion tendancielle, l’élimination des cas de tuberculose. En 2020, la Birmanie était l’un des rares pays en voie d’éliminer la maladie. Cependant, selon le dernier rapport de l’OMS, elle est aujourd’hui au 4ème rang mondial en termes de prévalence de nouveaux cas. Quant à la lutte contre la lèpre, force est de constater un manque accru d’accessibilité aux traitements indispensables pour contrecarrer une maladie pouvant pourtant générer des invalidités permanentes.
Les infections et les risques d’épidémie sont à prendre avec d’autant plus de sérieux que les autorités sont taiseuses (cf. les cas de choléra) et affaiblies y compris dans leurs capacités de détection, le système de santé étant en train de s’effondrer selon l’ONU. Alors que le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans est de 40 pour 1000 naissances vivantes, le taux le plus élevé d’Asie du Sud-Est, il pourrait bien s’aggraver encore. Les victimisations sont d’autant plus à craindre que la malnutrition s’avère très prégnante.
26 % de la population birmane est en insécurité alimentaire.
Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), en 2025, 6,4 millions d’enfants sont en besoin d’assistance humanitaire, soit un tiers de la population infantile du pays. Non seulement 55 % des enfants vivent d’ores et déjà dans la pauvreté mais plus de 40 % des enfants âgés de 6 à 23 mois n’ont pas accès à un repas diversifié et nutritif, essentiel à leur survie, à leur croissance et à leur développement. Par conséquent, 15 000 pourraient disparaître de faim cette année. 450 000 autres sont susceptibles d’en subir des carences à vie. Au total, cinq millions de bambins sont désormais confrontés à un risque accru d’infections, de maladies et de troubles de la vision en raison d’un manque de vitamine A.
Les défis sanitaires étant par ailleurs sans frontière, il est à craindre des débordements croissants des problèmes birmans chez les voisins. Des épidémies persistantes de diarrhée aqueuses dans 9 Etats et régions et dont les premiers cas furent signalés à Rangoun en juin 2024 semblent en être un des signes, notamment vers la Thaïlande. Dans ce contexte, la réduction des financements américains sur les capacités d’action des partenaires onusiens et non gouvernementaux des services de santé en Birmanie et dans les zones frontalières de la Thaïlande, où un grand nombre de réfugiés birmans n’ont plus accès aux soins, va s’avérer particulièrement dévastatrice si aucune solution de financements alternatifs ne s’esquisse rapidement.
François Guilbert
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