Chaque semaine, notre ami Richard Werly, conseiller éditorial de la rédaction de Gavroche, partage sa vision de la France sur le site d’actualités helvétique Blick. Vous pouvez vous abonner ou consulter sa lettre d’information Republick.
En voici l’éditorial. L’intégralité de la newsletter disponible ici.
Je comprends l’attachement des Français au service militaire, disparu en 1996. Ils sont, tenez-vous bien, 86% à souhaiter son rétablissement, si l’on en croit l’un des derniers sondages de l’institut IPSOS. Logique. Quoi de plus symbolique, en termes de creuset national, que cette expérience sous les drapeaux, au service de la collectivité, avec ce qu’il faut de discipline et d’exigence pour (espérer) remettre en ordre les cerveaux parfois brouillés des adolescents. Je fais partie de cette génération qui a connu la conscription en France. La comparer avec l’armée de milice à la Suisse était un sujet alors inépuisable. Vous imaginez la tête de mes potes lorsque je leur disais que dans le train de la placide et neutre Helvétie, le fusil-mitrailleur (sans cartouches) est autorisé ? Certains clichés, on le sait, valent parfois bien mieux que de longues explications.
Je ne comprends donc pas pourquoi ce sujet du service militaire, universel et obligatoire (avec ce qu’il faut d’exemptions ou de possibilités civiles alternatives) n’est pas vraiment remis sur le tapis par Emmanuel Macron, à la faveur du débat sur la guerre en Ukraine, la menace russe et le lâchage en règle de l’Europe par Donald Trump. Bien sûr que cela couterait cher, mais au moins, beaucoup de Français auraient le sentiment que l’argent dépensé sert à quelque chose. Les générations se retrouveraient autour de leurs récits mutuels sous les drapeaux. La guerre ne rimerait pas seulement avec technologie, drones et intelligence artificielle. Un référendum pourrait même valider l’hypothèse.
Tous sous les drapeaux ! Cette idée du service militaire, que l’on pourrait imaginer européen, comme une sorte d’Erasmus kaki, est-elle si saugrenue ?
Bonne lecture, puisqu’à 20 ans, on n’a rien d’autre à faire !
(Pour débattre: richard.werly@ringier.ch)
Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.
Giscard d’Estaing. ministre de finances, disait; « le bon impôt, c’est celui qui est payé par les autres ». Par analogie le service militaire obligatoire obligatoire, c’est bien quand ce sont les autres qui le font.
Le service militaire est nécessaire en référence à une menace. Cette menace était, depuis le congres de Vienne, l’alliance de la Prusse et de la Russie (« aucun prince prussien ne doit rien entreprendre sans s’être assuré de la bienveillance de la Russie »), ce qui a déterminé l’entente des « puissances de l’ouest », France et Angleterre.
En 1945 cette menace a disparu, avec la dissolution formelle de l’Etat prussien en 1947 : les efforts laborieux d’une Ve République en proie aux spasmes de l’agonie, pour rétablir la fiction d’une menace russe ne trompent personne.
Étant enfant, j’avais demande à mon grand père qui avait fait Verdun sous les ordres du Maréchal, s’il avait tué beaucoup d’Allemands : j’avais bien vu que je l’avais gêné. En revanche j’ai vu dans ses papiers qu’il avait rejoint la Résistance dès le 27 août 1944, soit 10 jours après le départ des Allemands. Aussitôt il a eu un bureau à l’état-major, une voiture de fonction à l’essence qui va avec. En septembre 1944, il fallait le faire, je conserve précieusement tous ses papiers y compris son brassard à croix de Lorraine : L’armée, c’est mieux comme ça.
Le plaidoyer de notre éditorialiste est-il convaincant ? Surtout lorsqu’il s’extasie devant le fusil mitrailleur suisse et les trains de « bidasses », parfois en folie et toujours alcoolisés, de sa jeunesse … Les spectres accumulés et martelés, celui de la guerre en Ukraine, de la menace du couteau entre les dents recyclé et du char sur les champs Élysées, de la « trahison de Trump réussiront-ils à doper le mental des français, comme en 14, comme en 40 ? Le « joujou patriotisme » comme le nomma Rémy de Gourmont sévira -t-il à nouveau de hochet ? En 1915 Abel Faivre dessina la fameuse affiche « pour la France, versez votre or, l’or combat pour la victoire ». Les poilus, guillerets, s’imaginèrent embarquer, somnambuliquement, pour une promenade de santé pour quelques semaines seulement, un embarquement pour Cythère. Leurs épouses, leurs sœurs, leurs enfants, sur les quais, les encouragèrent, gorgées de slogans, dans un voyage vers la mort.
86 pour cent des Français seraient pour le rétablissement de la conscription ? Le service militaire national à été suspendu en 1996 dans le contexte dit des « dividendes de la paix » et la professionnalisation de l’armée. Une logique de volontariat qui existait de fait auparavant (exemptions et « pistons ») s’est imposée avec une sélection de compétences techniques, psychologiques, personnelles élevées. La protection nucléaire du territoire a sans doute pesé dans la décision. Parmi les motifs, celui du coût représenté par l’entretien d’un contingent et des infrastructures est apparu exorbitant par rapport aux bénéfices attendus dans le cadre des menaces et des nouveaux conflits possibles. Le motif financier est sans doute aujourd’hui celui qui conduit le Président de la République à écarter cette option au profit d’une extension de la réserve.
Il serait intéressant et éclairant de sonder les motifs des sondés pour comprendre un score de type « poutinesque ». La première question serait de connaitre les proportions par classe d’âge. Celle de M. Werly sera plutôt portée à répondre positivement : risques minimes. S’il a un petit fils de 20 ans, la réponse sera peut-être différente. Les classes d’âge jeunes seront plus circonspectes dans leur réponse sauf si elles ont la certitude d’échapper au casse-pipe (les pistonnés et le planqués) ; ce qui pourrait être le cas dans l’hypothèse d’un volontariat ou non, comme ce fût le cas avant 1996. Les propositions semblent opter pour un volontariat qui actuellement ne permet pas un recrutement à la hauteur nécessaire, à moins, comme Poutine, de proposer des rémunérations égales à 5 fois le salaire minimum et en cas de décès, une somme équivalente à 50 000 euros.
Ce sondage me semble reposer sur des ambiguïtés des fantasmes et des contradictions :
1- la question posée se déroule dans un contexte mobilisant la peur de la guerre qui résonne plus largement sur le terrain de l’insécurité ambiante réelle ou ressentie (Dupont-Morreti). La lutte contre le narco-trafic fait partie des ingrédients du tableau d’ensemble. La capacité limitée si ce n’est l’échec des forces de police dans le rétablissement de l’ordre public conduit à valoriser l’efficacité supposée de l’armée dont l’intervention est périodiquement plébiscitée. Une armée dont les effectifs seraient à même de circonscrire les « territoires perdus de la république » et des populations dites, selon des expressions politiquement incorrectes, « inassimilées », parfois supposées « inassimilables », en rupture rupture de ban si ce n’est insurrectionnelles, hostiles.
2 – Une crainte à l’égard de populations issues de l’immigration dont le degré d’allégeance serait considéré comme problématique. Il s’agit explicitement des « beurs » d’ascendance étrangère et de religion supposée différente. Cette idée a été conceptualisée par Alon Pelde comme le dilemme du « cheval de Troie » (Alon Peled : « A question of loyalty military manpower policy in mutiethnic states » Ithaca; N.Y. Cornell University Press, 1998, 206 p) pouvant remettre en cause l’unité de l’armée ou du moins la menacer.
Si l' »effet éducatif » du service militaire est souvent décrit comme un creuset assimilateur et milite en la faveur de son rétablissement, remplaçant une école et une éducation familiale supposées défaillante, la question est toutefois évoquée au regard de certaines populations. Ces considérations sont à même de relativiser la proposition d’une conscription généralisée. Quelle en serait l’efficacité si la durée proposée serait de 3 mois, coût oblige, selon les propositions avancées ? Beaucoup de pays sont amenés à composer leurs armées avec des segments de leur population dont la loyauté est remise en cause ou suspectée par l’opinion publique (comme en Israël pour les arabes musulmans mais pas les arabes chrétiens, ni les Druzes). Quel serait le résultat d’un sondage au prisme de ces interrogations ? D’autres peurs…
Les stéréotypes d’aujourd’hui ont succédé à d’autres, comme en France, lors de l’affaire Dreyfus. La « menace communiste » et l’émergence de nouveaux mouvements terroristes ont alimenté les processus de suspicion ; La suspicion de « pro-poutinisme », assez répandue dans certaines sphères de l’armée française pourrait réactiver la crainte des « chevaux de Moscou » succédant aux fameux « yeux »…
Aux références musicales dont notre éditorialiste s’émeut volontiers, ces paroles d’un poème de Léo Ferré écrit en 1968 et interprété par Noir Désir: « Des armes » qui toujours et surtout maintenant, immanquablement, me font verser des larmes…
.
Des armes, des chouettes, des brillantes
des qu’il faut nettoyer pour le plaisir
Et qu’il faut caresser comme pour le plaisir
l’autre, celui qui fait rêver les communiantes.
Des armes bleues comme la terre
Des qu’il faut se garder au chaud au fond de l »âme
Dans les yeux, dans le cœur, dans les bras d’une femme
Qu’on garde au fond de soi comme on garde un mystère.
Des armes au secret des jours
Sous l’herbe, dans le ciel et puis sous l’écriture
Des qui font rêver très tard dans les lectures
Et qui mettent la poésie dans les discours.
Des armes, des armes,, des armes
Et des poètes de service à la gâchette
Pour mettre le feu aux dernières cigarettes
Au bout d’un vers français.
Brillant comme une larme
Des armes
Des armes
On y ajoutera deux poèmes de Rimbaud, datés de 1870 « le dormeur du Val » : « Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; / Il dort dans le soleil, la main sur la poitrine / Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit » et surtout « le mal » : « tandis que les crachats rouges de la mitraille / Sifflent tout le jour par l’infini ciel bleu (…) Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées (…) Et se réveille, quand des mères, ramassées / Dans l’angoisse, et pleurant sous leurs vieux bonnets noirs, / Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir.