Une chronique de Ioan Voicu, ancien Ambassadeur de Roumanie en Thaïlande
Le mois de février 2025 restera dans l’histoire de la diplomatie multilatérale des Nations Unies comme marqué par des événements exceptionnels aux conséquences imprévisibles et potentiellement dramatiques pour l’avenir.
Le 18 février, le Conseil de sécurité, sous la présidence mensuelle de Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, a tenu une séance plénière officielle sur le thème « Pratiquer le multilatéralisme, réformer et améliorer la gouvernance mondiale », un sujet proposé par la Chine qui a suscité un vif intérêt au niveau de l’organisation mondiale dans son ensemble.
La liste des intervenants est longue et le niveau est souvent très élevé, les pays étant représentés par leurs chefs de diplomatie. Le premier intervenant a été le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, qui a déclaré dès le début de son discours : « La solidarité et les solutions mondiales sont plus que jamais nécessaires. La crise climatique fait rage, les inégalités se creusent et la pauvreté progresse. Comme le sait bien ce Conseil, la paix est de plus en plus inaccessible – du Territoire palestinien occupé à l’Ukraine, du Soudan à la République démocratique du Congo et au-delà. Le terrorisme et l’extrémisme violent demeurent des fléaux persistants. » Il a conclu son intervention en affirmant : « La coopération multilatérale est le cœur battant des Nations Unies. Guidé par les solutions proposées dans le Pacte pour l’avenir, le multilatéralisme peut devenir un instrument de paix encore plus puissant. Mais la force du multilatéralisme dépend directement du niveau d’engagement de chaque pays. Face aux défis du monde qui nous entoure, j’exhorte tous les États Membres à continuer de renforcer et d’actualiser nos mécanismes mondiaux de résolution des problèmes. Adaptons-les à leurs objectifs, aux populations et à la paix. »
Critique constructive
L’espace limité de cette chronique ne permet que des références sélectives au contenu des déclarations nationales, sur la base de comptes rendus in extenso, en privilégiant les déclarations des représentants du P5 et des pays asiatiques.
La Chine considère qu’un élément essentiel de la gouvernance mondiale est de garantir la justice. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un grand nombre de pays du Sud ont émergé sur la scène internationale, révélant une incompatibilité et une irrationalité croissantes au sein de la structure de gouvernance mondiale. « Dans le nouveau contexte, les affaires internationales ne devraient plus être monopolisées par un petit nombre de pays. Les pays du Sud ont le droit de s’exprimer et de défendre leurs droits et intérêts légitimes. Et les fruits du développement ne devraient plus être réservés à quelques pays seulement. Les peuples de tous les pays ont droit à une vie heureuse. La réforme du Conseil de sécurité devrait continuer à mettre l’accent sur la consultation démocratique, accroître la représentation et la voix des pays en développement, en particulier des pays africains, et remédier efficacement aux injustices historiques. »
Selon la France, « À l’heure où la gouvernance mondiale est remise en cause par la multiplication des crises, il ne faut pas céder à la tentation de l’unilatéralisme. Cela conduirait à un affrontement généralisé de tous contre tous, au détriment de tous, même de ceux qui s’estiment les plus forts. La France réaffirme son soutien au multilatéralisme, au respect du droit international et aux valeurs de coopération et de solidarité.»
Le représentant britannique a notamment rappelé que « le Royaume-Uni reste profondément attaché aux Nations Unies. Mais 80 ans après leur création, alors que plus de pays que jamais sont engagés dans des conflits, nous manquons à notre mission fondatrice : préserver les générations futures du fléau de la guerre. Et malgré les progrès réalisés en matière de santé et d’éducation, d’importants défis mondiaux demeurent : la crise climatique s’accélère et les Objectifs de développement durable sont en retard. »
La déléguée américaine a indiqué que « les États-Unis procèdent actuellement à un examen de leur soutien aux Nations Unies. Nous examinerons si les actions de l’Organisation servent les intérêts américains et si elle peut être réformée ». Elle a conclu en déclarant expressément que « les États-Unis soutiennent le retour des Nations Unies à leur mission fondatrice, à savoir promouvoir la paix et la sécurité dans le monde. Comme l’a déclaré le Président Trump, nous examinerons attentivement au cours des prochains mois les réformes que les Nations Unies doivent entreprendre pour y parvenir ».
La Russie a déclaré que « les Nations Unies ont globalement rempli leur mission principale, à savoir prévenir une nouvelle guerre mondiale. Cependant, le monde n’a jamais été aussi proche de ce seuil dangereux. Il est au bord d’une confrontation militaire directe entre puissances nucléaires. L’Occident, agissant sur la base de son « ordre fondé sur des règles », contourne les Nations Unies en concluant des accords sur des décisions importantes pour la plupart des pays, qu’il présente ensuite comme des solutions universelles, les imposant aux autres et sapant ainsi délibérément l’autorité des Nations Unies et la primauté du droit international dans les relations internationales ».
Le Pakistan a fait une déclaration cruciale selon laquelle « Les Nations Unies et son ensemble d’organisations constituent les plateformes indispensables pour répondre aux défis multidimensionnels du monde. Jusqu’à présent, les Nations Unies n’ont pas pu réaliser pleinement leur potentiel. Les structures des Nations Unies doivent être renforcées, et non démantelées. Cela peut se faire par le respect mutuel et une coopération globale. Pour relever les défis du XXIe siècle, nous devons réaffirmer notre engagement en faveur du multilatéralisme, entreprendre des réformes globales de l’architecture de la gouvernance mondiale et affiner et renforcer le multilatéralisme afin d’obtenir des résultats optimaux. Aucun pays ne devrait prétendre avoir une stature ou une influence supérieure à celle des autres. Le respect de la justice et de l’équité est une condition préalable essentielle à la paix et à l’harmonie entre les nations. »
Selon la République de Corée, « les Nations Unies, et en particulier le Conseil de sécurité, doivent faire preuve de plus de créativité et d’audace. S’il peut être difficile d’éviter une impasse sur des questions où les membres permanents ont des points de vue divergents, le Conseil de sécurité peut explorer d’autres domaines pour remplir son mandat et renforcer son statut institutionnel. Par exemple, les nouveaux défis sécuritaires doivent bénéficier de l’attention qu’ils méritent, suivie de délibérations plus actives. L’évolution rapide des technologies numériques, notamment de l’intelligence artificielle, a amplifié les risques pour la sécurité mondiale, en particulier lorsqu’ils sont exploités par des acteurs irresponsables comme la Corée du Nord. La prolifération de la mésinformation et de la désinformation a ouvert de nouvelles plateformes pour la manipulation. »
L’Indonésie a émis une déclaration très critique : « Le besoin de réformes n’a jamais été aussi grand depuis la création des Nations Unies. Commençons par une constatation franche : le système multilatéral traverse aujourd’hui une crise profonde. L’absence de guerre mondiale majeure ne signifie pas que la paix règne. En réalité, le système même conçu pour prévenir les conflits est assiégé, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Trop souvent, le multilatéralisme n’est adopté que lorsque cela est opportun et abandonné lorsqu’il ne l’est pas. Trop souvent, le respect du droit international et du droit international humanitaire est perçu comme un choix individuel plutôt qu’une obligation universelle. Malheureusement, certains des membres fondateurs des Nations Unies semblent aujourd’hui moins enclins à défendre le multilatéralisme. Alors que l’ONU approche de ses quatre-vingts ans, nous devons nous demander si elle restera un pilier d’espoir ou un miroir brisé de promesses non tenues. Nous devons poser cette question délicate : recherchons-nous réellement le bien commun ou un multilatéralisme défaillant, instrument d’intérêts étroits ? »
Selon la Thaïlande, « une coordination plus étroite entre les Nations Unies et les organisations régionales et sous-régionales est essentielle pour rendre le multilatéralisme plus réactif et plus efficace. Les organisations régionales et sous-régionales jouent un rôle crucial dans la traduction des engagements mondiaux en actions concrètes, tout en intégrant les réalités locales dans les processus d’élaboration des politiques à l’échelle mondiale. La Thaïlande accorde une grande importance au renforcement d’un partenariat plus étroit et plus significatif entre les Nations Unies et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, notamment par la mise en œuvre du Pacte pour l’avenir… Nous devons veiller à ce que les différentes plateformes multilatérales soient complémentaires et non mutuellement exclusives.»
Selon Singapour, « un Conseil de sécurité plus fort et plus réactif doit être capable d’anticiper, plutôt que de réagir tardivement, après l’éclatement ou l’escalade d’une crise. La prévention des conflits doit occuper une place beaucoup plus importante dans les outils du Conseil. Nous appelons le Conseil à collaborer plus étroitement et plus efficacement avec les autres principaux organes des Nations Unies, tels que l’Assemblée générale, le Conseil économique et social et la Commission de consolidation de la paix, qui pourraient faciliter l’alerte et la réaction rapides. »
Le délégué indien a salué le fait que « l’appel à un multilatéralisme réformé est un thème récurrent du débat public d’aujourd’hui. Si de nombreux intervenants ont déjà souligné l’impérieuse nécessité de réformes, je suis convaincu que plusieurs autres suivront. Cela témoigne clairement de la nécessité de revoir et de repenser l’architecture de ce forum, vieille de 80 ans, afin de l’adapter à ses objectifs. À l’heure où le monde exprime de plus en plus d’inquiétudes quant à la capacité des Nations Unies à répondre efficacement aux enjeux mondiaux urgents, les réformes ne sont plus un choix, mais un impératif.»
Les Philippines, quant à elles, ont exprimé l’avis que « le multilatéralisme s’épanouit sur la base d’un ordre fondé sur des règles qui crée les conditions de confiance, de solidarité, d’équité et de paix. Nous devons garantir la participation significative de tous les États membres, en particulier des États en développement, à la prise de décision mondiale. Cela passe par la réduction des fractures en matière de développement, notamment par une architecture financière internationale transformée et un meilleur accès à l’innovation, à la science et à la technologie. »
Lors de la même réunion du Conseil de sécurité, le Vietnam a déclaré : « Le renforcement du rôle des pays du Sud dans la prise de décision multilatérale renforcera la responsabilisation et favorisera de meilleurs résultats économiques, sociaux et sécuritaires à l’échelle mondiale. La réforme doit commencer ici même, au Conseil. Le Vietnam demeure un fervent défenseur du multilatéralisme et d’une coopération mondiale renforcée. Nous avons activement contribué au renforcement des institutions internationales, notamment par l’intermédiaire de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est et des Nations Unies, et à la promotion de la paix, de la sécurité, du développement durable et des droits de l’homme. Ces efforts reflètent notre profond engagement en faveur de la solidarité et de la coopération internationales et sont entrepris avant tout pour le bien-être de nos peuples. »
Le Cambodge a estimé que « le multilatéralisme est aujourd’hui remis en question de manière inédite. Au lieu d’unité, nous constatons des divisions croissantes. Au lieu de diplomatie, nous assistons à l’unilatéralisme. Au lieu de coopération, la méfiance s’accentue. Si nous voulons préserver la paix et la stabilité pour les générations futures, nous devons réaffirmer notre engagement en faveur du multilatéralisme, du respect de la Charte des Nations Unies et d’une gouvernance mondiale juste et inclusive. »
Selon la Malaisie, pays qui assure la présidence de l’ASEAN en 2025, « une réforme du Conseil de sécurité est impérative. La Malaisie est convaincue que le droit de veto doit être aboli à long terme. En attendant, il doit être totalement interdit en cas d’atrocités de masse telles que le génocide, les crimes contre l’humanité ou les crimes de guerre. De plus, nous pensons que pour être efficace, le veto doit être exercé par au moins deux membres permanents et soutenu par trois membres non permanents du Conseil de sécurité. La décision devrait ensuite être approuvée par l’Assemblée générale à la majorité simple. »
Dans la région Pacifique, la déclaration de la Nouvelle-Zélande mérite d’être mentionnée, car elle a été prononcée au nom de 61 groupes interrégionaux de pays. L’une de ses idées fondamentales était la suivante : « En tant que groupe, nous restons déterminés à trouver les moyens de moderniser nos institutions multilatérales, malgré leurs imperfections, afin qu’elles soient les mieux placées pour répondre aux défis collectifs auxquels nous sommes confrontés, notamment en ce qui concerne la paix et la sécurité internationales. Nous nous réjouissons que le Pacte pour l’avenir (résolution 79/1 de l’Assemblée générale) contienne de nombreux éléments qui, une fois mis en œuvre, permettront au Conseil de mieux s’acquitter de son mandat, mandat qui exige du Conseil qu’il agisse au nom de nous tous. Nous avons tous convenu de l’urgence d’une réforme plus approfondie et significative du Conseil de sécurité.»
Conclusion
Sur le plan doctrinal, la pratique du multilatéralisme a inspiré de nombreux mémoires de master et de doctorat dans de nombreux pays. Les événements de l’ONU de février 2025 encourageront davantage de recherches sur ce sujet d’actualité.
Les événements de février 2025 aux Nations Unies ont profondément marqué le discours politique, juridique et diplomatique sur le multilatéralisme, mettant notamment en lumière les tensions au sein de l’alliance transatlantique.
Sous l’administration du Président Donald Trump, les États-Unis ont adopté une approche plus conciliante envers la Russie, ce qui a entraîné des changements politiques notables. Par exemple, ils ont proposé une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à une fin rapide du conflit ukrainien. Cette résolution a recueilli le soutien de Moscou et de Pékin, mais a vu des alliés traditionnels comme la France et le Royaume-Uni s’abstenir en raison de l’absence de condamnation de l’agression russe.
L’évolution de la politique étrangère américaine, conjuguée aux efforts actuels de l’Europe pour affirmer son autonomie stratégique, offre un riche champ d’étude aux chercheurs qui examinent l’avenir de la coopération multilatérale et la stabilité des alliances de longue date.
En mars 2025, nous pouvons nous limiter à souhaiter la concrétisation d’un véritable système de coordination des relations entre plusieurs pays, fondé sur les principes fondamentaux de coopération, d’inclusion et d’adhésion à des règles et institutions communes, visant à relever les défis mondiaux et à atteindre des objectifs communs. Il est à espérer que le multilatéralisme sera plus visible dans les organisations et accords internationaux qui favorisent la diplomatie, la stabilité et l’action collective plutôt que dans les approches unilatérales ou bilatérales limitées.
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