Nous reproduisons ici un extrait du site The Conversation
Texte intégral en anglais ici.
Le 17 avril 1975, des chars sont entrés dans la capitale cambodgienne, Phnom Penh, sous les acclamations d’une foule qui croyait que la longue guerre civile du pays était enfin terminée.
Mais ce qui a suivi a été l’un des pires génocides du XXe siècle. Au cours d’un règne brutal de quatre ans, les idéologues communistes-nationalistes des Khmers rouges ont tué entre 1,6 million et 3 millions de personnes par des exécutions, le travail forcé et la famine. Cela représentait un quart de la population du pays à l’époque.
Cinquante ans plus tard, l’héritage des Khmers rouges continue de façonner le Cambodge sur les plans politique, social, économique et émotionnel. Il est gravé dans les os de tous les Cambodgiens, y compris les miens.
J’écris ceci non seulement en tant qu’universitaire ou observateur, mais aussi en tant que survivant. Mon père est mort sous les Khmers rouges, emporté par la dysenterie et la malnutrition après avoir été contraint de travailler dans un camp de travail. Ma mère a prétendu être vietnamienne pour sauver notre famille. Elle s’est échappée du Cambodge avec cinq enfants en 1976, traversant le Vietnam avant d’atteindre la France en 1978 et enfin les États-Unis en 1985. Nous avons été parmi les plus chanceux.
Aujourd’hui, le Cambodge est physiquement méconnaissable par rapport aux champs bombardés et aux villes vides des années 1970. Phnom Penh resplendit de gratte-ciel et de centres commerciaux de luxe. Pourtant, sous les paillettes, le passé perdure – souvent dans le silence, parfois dans l’exploitation cynique.
Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.
Il y a trois mois jour pour jour disparaissait le Père François Ponchaud. Il fut l’un des premiers à révéler au monde l’ampleur des crimes commis par les Khmers rouges dans son livre « Cambodge année zéro » publié en 1977. Il eut le mérite d’avoir raison avant tous les autres et surtout ceux qui, à Paris, s’extasiaient devant le spectacle qu’offrait Phnom Penh ce 17 avril 1975.
L’aveuglement inspiré par l’anti-américanisme ambiant associé à une idéologie tiers-mondiste répandue conduisit bon nombre d’intellectuels français à l’adoration de l’innommable. Et pourtant à Phnom Penh, les porteurs de lunettes supposés intellectuels étaient les premières cibles de l’éradication génocidaire en marche. Le précédent de la révolution culturelle chinoise servit de modèle. D’autres pointures de l’intelligence aveuglée s’associèrent aux célébrations de la libération de l’humanité par peuples interposés, Jean Lacouture et le toujours vivant Alain Badiou tenaient à figurer dans les premiers rangs. Ils exprimèrent, sur le tard, leurs regrets, dont acte. Patrice de Beer, pour le journal « Le Monde » s’enthousiasmait au spectacle de la libération et de la liesse qui s’emparait des rues mais qui menait directement aux massacres, n’importe ou, derrière les pagodes, aux « killing fields ». J. Decornoy qui dirigeait le service étranger du même journal refusait de tenir compte des témoignages pourtant accablants, il ne voyait qu’à travers des œillères rouges. le journal l’Humanité célébrait la victoire du peuple cambodgien. Le quotidien Libération saluait l’évènement de la prise de la capitale cambodgienne par les Khmers rouges qui allait aboutir à l’élimination de 1,7 millions de personnes soit un quart de la population. Convenons qu’au début, juger de l’évènement était difficile et le Père Ponchaud l’admet et atténue la portée de ces prises de positions. La réalité fut vite dévoilée et l’on rectifia, difficilement, les impressions premières.
Les thuriféraires du Kampuchea démocratique, forts nombreux dans la gauche intellectuelle étaient encore sous le coup de la révolution culturelle chinoise dont M.A. Macchiochi s’était entichée dans un ouvrage célèbre qui, à Paris, faisait office de bible. Et pourtant A Soljenitsyne venait de publier l’archipel du Goulag qui ne sera traduit qu’en juin 1975… Mais dans une des émissions d' »Apostrophes », le même, quelques jours auparavant, mettait en garde contre les aveuglements face aux méfaits du communisme. Son anti-communisme réputé viscéral, son anti-sémitisme réel et supposé devaient conduire à disqualifier les propos, accusé d’être un suppôt de l’impérialisme américain et réactionnaire.
La leçon n’a pas suffit, le réel ne devait pas exister. L’intelligentsia française de Saint-Germain – des – Près droguée à la culpabilité coloniale, à l’anti-américanisme primaire, au romantisme révolutionnaire et à un marxisme opposé à l’évidence des faits, s’enamoura selon ses habitudes anciennes et ancrées, d’une autre révolution. La révolution iranienne de 1979. Une révolution religieuse cette fois mais qu’on voulut voir libératrice, celle qui sous l’égide d’un mollah barbu boutait l’impérialisme américain hors des frontières et le confinait dans son ambassade à Téhéran. Des cohortes intellectuelles enrôlées par M. Foucault, alors sommité intellectuelle du temps, dirigeaient leurs yeux de chimères vers le protégé de Giscard d’Estaing le « saint homme » de Neauphle -le- Chateau et se prosternaient.
Conclusion : l’utopie est décidément une maladie incurable !