Gavroche aime de temps à autre s’éloigner de ses bases géographiques. Nous sommes enracinés en Asie du sud-est, mais nous regardons plus loin, vers l’Asie du sud et l’Asie du nord. Exemple de ces pérégrinations: l’article que notre collaborateur François Guilbert, passionné de géopolitique, consacre à la nomination d’un Bhoutanais à la tête de l’Initiative du golfe du Bengale pour la coopération technique et économique multisectorielle (BIMSTEC). Une initiative dont font partie la Thaïlande et la Birmanie.
Une contribution de François Guilbert, universitaire, spécialiste de l’Asie
Lundi 20 septembre, le diplomate de carrière Shahidul Islam qui fut ambassadeur du Bangladesh à Paris (2013 – 2017) quittera les fonctions de Secrétaire-général de l’Initiative du golfe du Bengale pour la coopération technique et économique multisectorielle (BMSTEC), une responsabilité politico-administrative qu’il exerce depuis septembre 2017. Il s’envolera alors vers les États-Unis où il prendra les rênes de la mission diplomatique de Dacca à Washington, une capitale qu’il connait pour y avoir résidé de 2001 à 2006 et exercé les fonctions de numéro 2 à l’ambassade.
Sept États… dont la Thaïlande et la Birmanie
Pour lui succéder à la tête de l’organisation régionale qui rassemble sept États (Bangladesh, Bhoutan, Birmanie, Inde, Népal, Sri Lanka, Thaïlande), les ministres des Affaires étrangères devraient appointer tout prochainement un citoyen bhoutanais. Une première dans l’histoire de l’organisation interétatique établie le 6 juin 1997 ! Le choix de l’heureux a échu à Timphu selon la règle de la rotation alphabétique des États membres pour le poste le plus éminent alors même le pays conduit par le monarque Jigme Khesar Wangchuck n’a jamais présidé aux destinées de l’institution multilatérale de coopération, ni même accueilli l’un de ses quatre sommets biennaux ([1]) ou une réunion des ministres des Affaires étrangères et de l’Économie.
Le royaume himalayen n’est certes pas un pays riverain du golfe du Bengale, il n’a même aucun accès maritime, mais il a rejoint l’organisation sous-régionale en février 2004, en même temps que son voisin népalais. Deux adhésions simultanées qui ont donné une nouvelle identité et un nouveau nom à l’instrument de coopération transnational rassemblant 21 % de la population mondiale et cumulant 4% du PIB de la planète.
Renforcer la coopération
La BIMSTEC a été fondée sous la dénomination de BIST-EC (Bangladesh, Inde, Sri Lanka, Thaïlande – Coopération économique) puis renommée BIMST-EC quand la Birmanie en devint un État – membre le 22 décembre 1997. Elle changea à nouveau de nom 7 ans plus tard pour celui que l’on lui connait désormais. Présidée depuis 2018 par le Sri Lanka et cela jusqu’au Vème sommet des chefs d’État et de gouvernement qu’accueillera Colombo en janvier 2021, la BIMSTEC a pour projet de renforcer les coopérations entre les États de l’Asie du sud et du sud-est. Bien que l’Inde soit incontestablement le poids lourd de l’ensemble, un rôle spécifique a été dévolu à chacun des États – membres. Parmi les 14 thèmes de coopérations prioritaires, les ministres des Affaires étrangères ont acté en mars 2020 une répartition des tâches. Les questions relatives au commerce, aux investissements et aux politiques de développement seront pilotées pour les années qui viennent par le Bangladesh ; l’environnement et le changement climatique par le Bhoutan ; l’agriculture et la sécurité alimentaire et la pêche par la Birmanie ; la sécurité et la lutte contre le terrorisme, la gestion des catastrophes et les politiques énergétiques par l’Inde; les relations entre les peuples, la culture et le tourisme par le Népal; les sciences, la santé, les technologies et l’innovation par le Sri Lanka tandis que la Thaïlande aura la responsabilité des projets liés à la connectivité.
Secrétariat permanent
Afin d’ordonnancer tout ce travail, un secrétariat-général permanent a été établi en 2014. Le troisième détenteur du portefeuille ne sera pas un diplomate de carrière, à l’inverse de ses prédécesseurs. Le ministre bhoutanais des Affaires étrangères, le Dr. Tandi Dorji, a présenté à ses pairs la candidature d’un homme politique de premier plan: Tenzin Lekphell. Peu connu en dehors des frontières du Bhoutan, l’homme de 54 ans, sans expérience ministérielle, est l’un des fondateurs du Parti de l’unité du Bhoutan (Druk Nyamrup Tshogpa) au pouvoir depuis deux ans. L’ex-Secrétaire général du parti victorieux aux élections législatives de 2018 qui ont porté à la tête du gouvernement l’actuel Premier ministre le Dr. Lotay Tshering, fut lui-même un élu des scrutins de 2013 et 2018 dans la circonscription de Trashigang / Bartsham-Shongphu à l’Est du Royaume où il sut articuler et manœuvrer un mouvement politique nouveau de 11 000 adhérents à l’échelle national. Aujourd’hui, l’homme qui va s’installer au secrétariat permanent à Dacca prend ses distances de la politique intérieure bhoutanaise et du DNT dont il a refusé l’année dernière la présidence.
Directeur-fondateur de l’Institute of Management Studies, le nouveau Secrétaire-général de la BIMSTEC n’a pas d’expérience internationale autre que celle d’avoir effectué ses études supérieures au Royaume-Uni ([2]). Il lui faudra néanmoins se plonger très vite dans des dossiers de coopération complexes où chaque État – membre est soucieux de sa souveraineté, mobiliser des ressources humaines souvent insuffisantes et trouver des financements à des projets notamment de connectivité qui en manquent. Pour marquer de son empreinte l’institution, le temps lui sera compté car le mandat qui l’attend est de trois ans. Il sera non renouvelable selon les statuts instauré il y a six ans à la prise de fonction du sri-lankais Sumith Nakandala.
Coordonner et faciliter
Il faudra donc à Tenzin Lekphell coordonner et faciliter la mise en œuvre des activités et travailler en bonne synergie avec la présidence sri-lankaise qui court encore pendant quatre mois, avant que celle-ci ne revienne entre les mains de la Thaïlande jusqu’en 2022. A très court terme, l’objectif est de pouvoir parapher plusieurs accords notamment ceux relatifs à l’entraide judiciaire régionale en matière pénale, à la création d’une facilité de transferts des technologies BIMSTEC (TTF) et à la coopération mutuelle entre les académies diplomatiques. A n’en pas douter à cette liste devrait venir s’ajouter un chapitre coopératif consacré au domaine des politiques de santé publique. Bien que le BIMSTEC se soit consacrée jusqu’ici aux échanges sur les médecines traditionnelles, la COVID-19 va s’inviter à l’agenda de cette organisation régionale comme elle s’est déjà imposée dans toutes les institutions intrasiatiques. C’est si vrai que la BIMSTEC vient d’établir un protocole d’accord entre son secrétariat et la Banque asiatique de développement (ADB) pour obtenir un plus grand soutien aux projets d »e santé publique dans la sous-région.
François Guilbert
[1] Bangkok : 31 juillet 2004, New Delhi : 13 novembre 2008, Nay Pyi Taw : 4 mars 2014, Katmandou : 30 – 31 août 2018.
[2] Diplômé d’une maîtrise de sciences agricoles de l’université de Londres.
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