L’image du face à face de ce mercredi 14 octobre sur l’avenue Ratchadamnoen de Bangkok, entre partisans d’un régime politique inchangé et contestataires pro-démocratie, restera peut être dans les mémoires. A l’évidence, la fracture politique est béante dans le royaume, en particulier dans les grandes villes du pays. D’un coté, une grande partie de la population toujours attachée au système traditionnel dominé par le Roi. De l’autre, une frange mobilisée, surtout au sein de la jeunesse, résolue à utiliser le moment actuel pour obtenir des concessions et des réformes.
Plus de 30 groupes pro-démocratie mobilisés dans toute la Thaïlande ont participé mercredi 14 octobre à la manifestation pro-démocratie sur l’avenue Ratchadamnoen, suivie par des milliers de participants.
La Thaïlande a connu un mouvement de protestation croissant depuis la dissolution, ordonnée par le tribunal, du Parti de l’avenir (Future Forward Party), qui s’est classé troisième aux dernières élections du pays, face au Premier ministre Prayut Chan-o-cha.
Vague de protestations
La vague de protestations a également été alimentée par le ralentissement économique qui a accompagné la pandémie de COVID-19 en Thaïlande. Selon les dernières perspectives économiques de la Banque mondiale, l’économie thaïlandaise, très inégale, devrait se contracter de 10,4 % en 2020, contre 7,6 % en 1998, l’année qui a suivi la crise financière asiatique.
La manifestation du 14 octobre a eu lieu de nouveau près du Monument de la démocratie, qui a été construit pour commémorer la révolution de 1932 qui a mis fin à la monarchie absolue de la Thaïlande et a introduit la première constitution du pays.
Les récentes protestations ont montré une irrévérence croissante à l’égard de l’institution monarchique toujours très respecté par la grande majorité de la population du royaume. Preuve de cette irrévérence: le 13 octobre, quatrième anniversaire de la mort du roi Bhumibol, certains utilisateurs de Twitter thaïlandais ont posté des messages commémoratifs qui ont remplacé les photos du roi par celles d’une star de la K-pop.
Poids symbolique
Comme si souvent en Thaïlande, la date de la manifestation a un poids symbolique : Le 14 octobre sera le 47e anniversaire du soulèvement étudiant de 1973 qui a abouti à la chute du gouvernement militaire du maréchal Thanom Kittikachorn.
La dernière grande manifestation des 19 et 20 septembre a vu environ 50 000 personnes se déverser sur le campus de l’université Thammasat et sur l’esplanade adjacente de Sanam Luang, un ancien site d’incinération royal qui fait face au Grand Palais sur la rivière Chao Phraya.
Là, les militants ont cimenté dans le sol une plaque portant les mots “En ce lieu, le peuple a exprimé sa volonté : que ce pays appartienne au peuple et ne soit pas la propriété du monarque comme ils nous ont trompés”. La plaque a été conçue pour remplacer une plaque commémorant la révolution de 1932 qui a disparu une nuit d’avril 2017 – un des nombreux monuments de la révolution qui ont été démolis ces dernières années. Elle a été rapidement enlevé par les autorités.
Manifestants blâmés
Le 12 octobre, le premier ministre thaïlandais a blâmé les manifestants pour le malaise économique de la Thaïlande, arguant que pour que l’économie se rétablisse, le pays doit “être pacifique”, faisant valoir que les mois de protestations anti-gouvernementales étaient “inutiles” et contre-productifs.
Cette décision a été prise après que le nouveau chef de l’Armée royale thaïlandaise ait mis en garde les étudiants protestataires contre le fait de pousser leurs revendications trop loin. “Ils devraient d’abord se regarder eux-mêmes pour voir s’ils ont fait tout ce qu’il fallait avant de dire aux autres ce qu’ils doivent faire”, a déclaré le commandant de l’armée, le général Narongphan Jitkaewtae, qui a accédé à la tête de l’armée au début du mois.
Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.