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THAÏLANDE – SOCIÉTÉ: Portrait Thorn Banjo, le cowboy de Chatuchak

Journaliste : Lionel Corchia
La source : Gavroche
Date de publication : 17/11/2020
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Si vous êtes déjà passé par les artères extérieures brûlantes du marché de Chatuchak, vous aurez sans doute croisé un personnage étonnant armé d’un banjo, ranimant à lui tout seul par les cordes de son instrument autant que par ses tenues chargées de noblesse ces anciennes légendes de la culture western américaine. De Roy Rogers à Clint Eastwood, il aime transmettre avec fierté ce qui pour lui reste un univers de pureté et de liberté.

 

Nous republions ce portrait issu de notre magazine.

 

« Pour moi, cette vie de cowboy reste un symbole de simplicité d’existence que nous avons perdue, un appel au voyage et un cheminement initiatique intérieur loin des dogmes de notre société. Ce même confort apaisant que l’on peut retrouver intact dans les milieux sauvages de ma terre natale. La Thaïlande peut être parfois un territoire chamanique très proche de ce continent amérindien qui fut ma source d’inspiration jusqu’à aujourd’hui. » A 52 ans, Thorn Banjo, alias Thanutch Asawanonwiwat, reste une référence incontournable de cette petite partie de Far-West bangkokoise qui revit chaque week-end de l’année depuis 1984. Avec plusieurs amis passionnés, ils s’unirent afin de créer un bazar hors normes rendant hommage au culte du Western, glorifiant ces valeureux pionniers oubliés à travers l’art, la musique et leurs codes vestimentaires.

 

Cette association de bienfaiteurs propose des œuvres originales, entre autres dans le travail du cuir et la fabrication de bottes. Une entreprise familiale créée en 1975, mais un processus qui vit le jour dix ans auparavant, son grand-père ayant été formé à cette technique par des GI lors de la guerre du Vietnam. D’Udon Thani à Samut Prakan, Accing Bootery a maintenant élu domicile dans un refuge hors du temps de la capitale. Thorn Banjo y vend ses CD et ouvrages artistiques qu’il confectionne dans son atelier de Chonburi d’où il est originaire. « Je créais moi- même les vêtements que j’ai envie de porter en m’inspirant de mes créations picturales. J’aime transmettre cet attachement idéologique à mes contemporains. J’attache aussi énormément d’importance au mysticisme amérindien qui se traduit dans mes objets en céramique. Mais plus que tout, c’est la musique qui guide mon inspiration. Je ne suis hélas qu’un piètre chanteur », esquisse-t-il d’un sourire, se tamponnant le front d’un mouchoir aux couleurs du drapeau confédéré.

 

L’âme d’un cowboy

 

Dès ses 14 ans, Thorn Banjo commença à gratter ses premières notes. « J’ai appris le banjo en autodidacte. Mes professeurs étaient des bouquins, des vidéos VHS et surtout des artistes comme Bill Monroe ou Jimmy Martin. » Marginal au sein de sa propre culture, il a su tout de même convertir sa famille à cette passion naissante qui allait habiter toute sa vie. Quatrième né d’une fratrie sino-thaïe de six enfants originaire de la province de Chonburi, il s’orienta très vite vers des études artistiques au sein du départe- ment des Beaux Arts du collège Pohchang. Il s’intéressa d’abord à la peinture, avant d’aller user la corne de ses doigts sur des scènes plus tonitruantes et enfumées où allait se révéler sa passion pour la musique bluegrass. Les Blue Mountain Boys naquirent il y a plus de quinze ans maintenant et sont devenus sa seconde famille. Ces sept mercenaires, dont six hommes, viennent d’horizons professionnels très inattendus comme la police, l’éducation et même la politique avec un ancien gouverneur. Chacun d’entre eux a donné une partie de son âme afin de donner naissance à quatre albums au rythme des mandolines, accordéons et violons, chaussant leurs santiags, arborant avec fierté leurs Stetson toute l’année dans cette vie de substitution. « Nous partageons tous une certaine philosophie d’existence avec un public sans cesse renouvelé à travers toute la Thaïlande », précise Thorn Banjo. Une notoriété qui ne s’arrête pas à la scène puisque l’artiste s’est aussi commis à de multiples shows télévisés et radiophoniques, parfois même réclamé par-delà les frontières du royaume, au Japon ou à Singapour, mais refusant toujours de quitter le sol thaïlandais auquel il demeure très attaché.

 

D’une génération à l’autre

 

Ses adeptes sont essentiellement des Thaïlandais de plus de 40 ans, conquis ou amusés de découvrir cet univers musical et dansant. SI Quelques « farangs » américains et canadiens le suivent dans ses concerts, les jeunes générations restent plus intéressées par des sonorités un peu plus à la mode. Les festivals spécialisés sont pourtant nombreux dans le pays et suscitent toujours énormément d’intérêt, comme le montrent les nombreux rassemblements dédiés à la culture cowboy tout au long de l’année (Kao Yai, Pakchong, Muak Lek, Had Yai, Chiang Mai, Rayong, pour ne citer qu’eux).

 

Chaque samedi, à partir de 21 heures, Thorn sévit au Cowboy Way sur Bangkok, un « saloon » sur Vibhavadi Rangsit Road consacré à la musique et à la danse country. D’autres lieux underground comme le Parking Toys sur Kaset Nawamin Road sont des passages obligés pour tous ces aficionados décalés cherchant une vérité d’âme dans ces antres de la culture rockabilly, rythm’n’blues et bien entendu country si chère au cœur de Thorn Banjo.

Inconditionnel de ces établissements, il n’a de cesse de vouloir rallier à cette patrie musicale de nouveaux partisans. Il enseigne d’ailleurs le banjo depuis des années à quelques étudiants de l’université de Chonburi, certains de ses élèves assidus venant jusqu’à sa boutique du marché de Chatuchak pour des leçons privées, dont Richman Toy, chanteur d’un groupe pop adulé par les adolescents thaïlandais. Un flambeau d’ores et déjà transmis à Jeab, sa jeune partenaire et chanteuse qui l’accompagne depuis plus de dix ans au sein des Blue Mountain Boys. « Une fibre artistique que l’on retrouve chez mes deux filles, mais avec plus de rationalité puisqu’après un passage par le piano et le chant moderne, elles choisirent toutes deux une carrière dans la médecine, bien loin d’embrasser ma profession non-conformiste », lâche- t-il empreint d’émotion en mi-teinte entre regret et fierté.

 

La démocratie au nom du Père

 

Ce père de famille reste très attaché à l’éducation de ses enfants, prêchant pour un dialogue populaire nécessaire et non pas seulement entre les cowboys et les indiens… Ce doux rêveur n’en reste pas moins un combattant de la liberté dans son pays dont il parle parfois avec inquiétude. « Mon travail a bien entendu été affecté par les manifestations et couvre-feux successifs, et même si j’apprécie ce retour au calme fragile, je ne peux que déplorer le manque de liberté démocratique dans notre politique. Notre nation a beaucoup à apprendre de l’histoire de pays comme la France ou les États-Unis qui demeurent des modèles d’indépendance. Nous avons besoin d’élections et sur- tout que tous les partis puissent unir leurs énergies au lieu de se battre dans des querelles stériles et fratricides. L’armée reste importante pour assurer la sécurité des citoyens, pas pour être l’instrument des gouvernements successifs. »

 

Bangkok reste pour Thorn qu’un point sur un vaste territoire dont les beautés et richesses culturelles ne sont certainement pas à mesurer en fonction des événements turbulents qui semèrent le trouble dans les communautés. « Les Thaïlandais sont de nature pacifiste et guidés par le bouddhisme. Nous aspirons tous au changement, mais surtout demeurons respectueux de notre roi qui est notre père à tous. Nous devrions user d’amnisties afin de réduire les divisions et certaines peines pour les crimes de lèse-majesté. Je souhaite un mouvement plus démocrate et libéral, sans cependant mettre à mal la légitimité de notre suzerain qui est à lui seul le symbole de notre juste milieu social et idéologique.»

 

Mais sa plus grande fierté et son plus indomptable combat resteront à jamais son précieux univers musical, et la transmission de sa foi en la culture bluegrass qui coule dans ses veines depuis sa plus tendre enfance. Thorn Banjo reste un cowboy…, un vrai, au sens le plus noble du terme.

 

Lionel Corchia

 

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