Aim et Us se sont mariés à Baan Kong Kha, village de montagne de l’ethnie Karen Sgaw près de Mae Sariang, dans la province de Mae Hong Son. Us est thaï, mais les amoureux ont décidé de célébrer leur union selon les traditions karens. Plongez dans les préparatifs de ce jour mémorable…
Traditionnellement, les Karens se marient au sein de leur propre groupe (Karen Sgaw, Pwo, Kayan ou Padaung), la famille étant le fondement de leur identité, mais un zeste de modernité semble souffler sur la communauté de Baan Kong Kha car une Karen Sgaw va unir sa vie à un Thaïlandais. Pourquoi cet ostracisme de la part des Karens ?
Les Thaïlandais ont la réputation de ne pas être fidèles et d’avoir des « mia noï » (maîtresses entretenues) et les Birmans seraient violents avec leurs épouses.
« Pour nous Karens, le mariage est un engagement à vie, nous sommes strictement monogames et les relations hors mariage sont sérieusement condamnées par la communauté, jusqu’à l’exclusion du village parfois », m’explique le phou yaï (chef du village) qui nous accueille en maître de cérémonie, aidé par toute la communauté. Le mariage c’est l’affaire de tous, un moment de bonheur partagé… tout comme l’alcool de riz !
Préparatifs
Derrière la maison, les hommes préparent le « lapp », viande fraîche de buffle mêlée aux herbes et au chili. « Une nourriture qui porte chance et que les Thaïlandais appellent « chock lapp » me dit An Sarot. Les femmes préparent les autres plats à base de porc, de poulet et de légumes. Aim m’entraîne par la main jusqu’au deuxième étage de la maison. Elle va se maquiller et revêtir la tenue blanche traditionnelle que portent toutes les jeunes filles karen jusqu’au jour de leur mariage : la cha wa.
« J’ai 27 ans, mon futur mari, 28. Il y a quelques années, on mariait les filles entre 13 et 20 ans… Au-delà, aucun homme n’aurait été intéressé par quelqu’un d’aussi âgé ! », me confie-t-elle avec un sourire.
« Comme d’autres femmes karens aujourd’hui, je suis allée à l’université et j’ai travaillé pendant deux ans pour économiser de l’argent. Mon futur mari est enseignant comme moi. Nous nous sommes rencontrés à l’école. »
Rituels
Mariage bouddhiste/animiste célébré à la maison et coutumes mêlées : Aim, selon la tradition, verse l’eau purificatrice sur la tête des « vénérés anciens », eau dans laquelle flottent des cosses d’acacia. Jolie façon de réclamer leur indulgence pour de possibles écarts de jeunesse. Pardons et bénédictions accordés dans de grands éclats de rire. A 10 heures précises, Us, selon un timing déterminé par le shaman, arrive à l’entrée du village, point de rencontre des deux familles. Rituel de l’alcool de riz partagé et palabres dans une liesse assourdissante et déjà bien arrosée depuis 6 heures du matin.
De retour à la maison, Aim échange sa cha wa blanche contre une tenue traditionnelle noire. Les vêtements karens et les motifs de tissage qui les ornent révèlent les différentes appartenances. Les coiffes et façons de les porter indiquent également l’identité de chaque village.
Après avoir consommé le khao ber, (soupe de riz et de légumes), les jeunes mariés reçoivent les félicitations de tous les invités. Chacun à leur tour et dans une joyeuse bousculade, ils murmurent des souhaits de bonheur et de prospérité au jeune couple tandis qu’ils attachent les petits cordons blancs autour de leurs poignets. Aim et Us sont maintenant engagés pour la vie.
Si le marié s’est plié au rituel karen, il apporte sa « note » thaïe en offrant de l’or et un « kha nam nom » (le prix du lait de la mère : en fait, une dot) à la mère de son épouse. Selon le chef du village, les Karens, dans le passé, n’exigeaient pas de dot. « Avec l’arrivée d’un beau-fils, ils espéraient une main d’œuvre supplémentaire à la maison pour les travaux agricoles. »
Cela me rappelle cette belle et terrible remarque d’une Karen rencontrée dans un autre village de montagne : « Les jeunes sont l’énergie de nos villages, mais aujourd’hui, ils pensent à leur avenir et vont étudier et travailler à la ville. Quand on a de la chance, ils reviennent parfois les samedis et dimanches pour aider aux moissons ou récoltes ».
J’ai une passion pour les ethnies karen, sans doute parce que j’ai été amenée par le plus grand des hasards à donner des cours d’anglais à un groupe de réfugiés karens originaires de Birmanie. J’ai beaucoup appris à leur contact. Arrivés de la lointaine Mongolie il y a des siècles, ils ont fini par s’établir aux environs du XVIIIe, dans ce qui est aujourd’hui la Birmanie et la Thaïlande.
Les Karens se considèrent comme les fils de la forêt qu’ils exploitent en la respectant. Mais leur avenir est incertain car leur mode de vie est menacé par les différentes politiques forestières et environnementales du gouvernement thaïlandais. « Lorsque nos enfants partent à la ville, c’est comme s’ils étaient morts pour nous, car ils ne reviennent plus, ou alors ils ont honte de nous », me disait un autre chef de village. En ville, ils sont souvent utilisés pour des travaux méprisés par les Thaïlandais et on les rencontre sur les sites de construction où ils travaillent jour et nuit dans des conditions plus que précaires.
En accueillant un beau-fils « moderne » au sein de leur famille, les parents de Aim ne bénéficieront pas – comme par le passé – de bras supplémentaires pour les durs travaux de la terre. La dot, amassée par Us au cours de ses deux années d’enseignement, constitue donc pour eux une agréable compensation.
Et ceci compensera cela…
Michèle Jullian
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