Preuve que le débat démocratique existe en Thaïlande malgré la répression en train de s’abattre sur les leaders des manifestations, la chaine de télévision Thai PBS continue de suivre avec objectivité les convulsions politiques du royaume. Nous publions ici un éditorial très complet d’un de ses analystes, Thulsathit Taptim.
Nous reproduisons ici un éditorial publié sur le site de Thai PBS
Au début, il semblait que le Premier ministre Prayut Chan-o-cha serait assez facilement perdant. Puis le vent a tourné et il est apparu que les manifestants anti-establishment étaient confrontés à un travail bien plus difficile que prévu. Pourtant, ces derniers semblent détenir un petit avantage à ce stade du combat, bien qu’ils n’aient pas pu l’envoyer sur la toile.
L’épreuve de force est cependant loin d’être terminée. De plus, il reste à voir comment le jeu politique va changer suite à l’explosion d’une petite bombe et à la capture d’un suspect mercredi.
Nouvelle constitution
Premier point remporté par les manifestants: le début du processus de révision de la constitution, inimaginable voici quelques mois. Le fait que cette idée controversée ait été adoptée par le Parlement, bien que quelques obstacles supplémentaires restent à surmonter, est une réussite majeure, même si les manifestants eux-mêmes n’en sont apparemment pas satisfaits. En d’autres termes, ils ont obligé Prayut à reculer, mais n’ont pas réussi à le faire tomber.
Les manifestants veulent que le Premier ministre s’en aille maintenant, mais le processus de réécriture de la Constitution lui fera gagner du temps. D’une certaine manière, cela semble être une bonne affaire pour Prayut et ses rivaux, qui ont lutté ces derniers temps pour élargir ou même maintenir leur base de soutien.
Comment la charte sera modifiée
La question de savoir si ou comment la charte sera modifiée ou réécrite constitue une voie politique parsemée de mines qui peuvent le blesser ou blesser ses adversaires, ou les deux.
Les avis sont largement partagés, et la charte très mal conçue créée après le coup d’État de 2014 pourrait bien contenir du bon après tout. Le futur processus d’amendement de la charte appelle tous les thaïlandais – y compris les manifestants et leurs rivaux – à examiner attentivement les problèmes nationaux et à laisser tomber leurs préjugés (…)
Laissons de côté les théories de la conspiration et concentrons-nous sur ce que le pays peut faire de plus constitutionnellement pour l’améliorer. Un système de représentation proportionnelle équitable et étanche peut apporter la paix politique, car il peut garantir que le perdant ne perdra pas tout et que le gagnant sera tenu en haleine.
Le sens d’un vote
Quant aux électeurs, chacun veut que son vote ait un sens, et ce “quelque chose” n’est pas un rôle décoratif (en cas de vote “perdant”) . Si les gens se rendent dans les isoloirs en sachant que leur vote aura un sens quoi qu’il arrive, ils seront plus nombreux et trouveront les résultats plus acceptables.
La représentation proportionnelle n’est pas une nouveauté en Thaïlande, le système de listes de partis mis en place avant le coup d’État de 2014 en étant une forme. La Constitution de l’après-coup d’État l’a porté à un nouveau niveau. Les points positifs et négatifs de ces deux manières d’aborder les votes populaires doivent être examinés attentivement, en prenant bien soin d’adresser le problème du “winner-takes-all” qui a été au cœur des problèmes du pays.
Peu importe comment la Thaïlande en est arrivée là, il faut saisir l’occasion pour produire une Constitution qui compte vraiment, et non pas une Constitution qui favorise un autre camp dans le conflit politique.
Le mérite des protestataires
Le mérite en revient aux protestataires, sans lesquels les mérites et les défauts des systèmes politiques n’auraient pas été réellement pris en compte ou traités. Mais leur “réussite” a eu un prix élevé, car le système qu’ils préfèrent a lui aussi fait l’objet d’un examen minutieux, sans parler des doutes quant à savoir si la manière dont ils se battent pour leur cause est démagogique plutôt que véritablement démocratique.
Les manifestants ont réussi à donner un coup de fouet à la réécriture de la charte, à susciter un débat sans précédent sur des sujets sensibles et à soutenir une campagne difficile sur le plan logistique et politique, à ce stade de l’épreuve de force nationale. Toutefois, il n’est pas clair pour l’instant si la Thaïlande en tirera réellement profit. Cela dépendra en grande partie d’eux.
Tulsathit Taptim
Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.