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GAVROCHE – ROMAN: «La voie du farang», épisode 9: La céramique de Baan Chiang

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 03/12/2020
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Les ténèbres de Bangkok sont impénétrables. Du moins, pour ceux qui ne connaissent pas la ville. Pour les autres en revanche: tout est plus simple. La capitale thaïlandaise est un rébus qu’il suffit de savoir défricher. Un rébus dans lequel excelle notre romancier Patrice Montagu Williams.

 

Un roman exclusif de Patrice Montagu Williams

 

L’intrigue.

 

1996 : sur fond de contrat pétrolier sulfureux passé avec la junte militaire birmane, de manipulation des médias et des ONG par différents services secrets, Martin Decoud, agent de la DGSE, la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, est envoyé en mission à Bangkok.

 

Persuadé que, comme le dit Ernest Hemingway, « Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu », le farang, l’étranger, retournera en Thaïlande, près de vingt-cinq ans plus tard, pour tenter d’y reconstruire une existence que la vie a brisée et trouver le « Noble Chemin » des bouddhistes qui mène au nirvana.

 

Rappel de l’épisode précédent : lors d’une soirée organisée à l’ambassade de France, Martin Decoud rencontre Jessie, qui travaille au Haut Comité pour les Réfugiés. La reprise des hostilités entre les rebelles karens et l’armée birmane fait que leur nombre explose dans les camps, le long de la frontière. Il lui laisse entendre qu’il peut l’aider.

 

Épisode 9 : La céramique de Baan Chiang

 

Quand il sort pour aller dîner, la voiture est là et le garde du corps lui tient la portière ouverte.

 

— Il fallait que je te parle, lui dit Winnie. Allons chez moi. Là-bas, je suis sûre que personne ne va nous écouter.

 

Une maison traditionnelle

 

Posée sur les bords du canal Khlong Saen Saep, à Pathum Wan, et entourée d’arbres, c’est une maison traditionnelle construite sur pilotis, en raison des inondations en période de mousson. La pente du toit est forte de façon à ce que l’eau de pluie s’évacue rapidement. Les constructions en béton sont maintenant la norme à Bangkok, mais celle-ci est bâtie en bois de teck, un matériau aujourd’hui interdit, et en bambou. Tout est ouvert de façon à faciliter la circulation de l’air. De larges avant-toits protègent une véranda du soleil et des violentes précipitations tropicales.

 

— J’ai hérité de la maison de mes parents. En raison de son emplacement unique, on m’a souvent proposé de me l’acheter, mais j’ai toujours refusé : jusqu’ici, elle a réussi à me protéger des fantômes et des esprits malveillants. Mon père disait que cela tenait à l’odeur du sol et à la façon dont les arbres étaient plantés.

 

Les meubles aussi sont en teck. D’épais coussins recouverts de tissu hmong de toutes les couleurs sont disposés sur des sièges en rotin. On a percé de larges fenêtres dans les murs, ce qui fait que les pièces sont claires et aérées. Sur une table, trône une céramique de Ban Chiang, un site archéologique qui se trouve au nord-est du pays célèbre pour ses poteries peintes en rouge.

 

L’amour sous le regard du bouddha

 

Elle le conduit directement dans la chambre.

 

— Viens, dit-elle simplement en commençant à se déshabiller.

 

Au-dessus du lit, un grand panneau sculpté représente le bouddha tandis qu’une lampe en bois de manguier et de bambou diffuse une lumière tamisée par une crépine de soie.

 

— Le bouddha n’est pas un voyeur, petit farang, mais il peut lire dans tes pensées et il verra si tu es sincère quand tu me fais l’amour, lui dit Winnie en se laissant tomber sur le lit.

 

Double jeu côté yankee

 

Quand elle revient de la salle de bains, elle est toujours nue. Elle porte un plateau avec deux verres de ce qui lui semble être du whisky. Le regard de Martin se pose sur son sexe soigneusement épilé.

 

— Un de mes amants l’avait appelé Heaven’s gate, en souvenir du film de Cimino, dit-elle, car elle a capté le regard de l’homme. Ils sont nombreux à avoir franchi les portes de ce paradis…

 

Elle pose le plateau sur le lit et s’assoit en tailleur, à côté de Martin.

 

— C’est du Jameson, trois fois distillé.

 

Cette femme est incroyable, se dit-il : déterminée, sans aucune pudeur et terriblement sensuelle.

 

— Maintenant tu vas comprendre pourquoi je te disais l’autre jour que l’amour faisait partie de mon métier. Dans mes relations, il y a un type important de la CIA qui est basé ici. Nous couchons ensemble parfois. Il ne se débrouille pas trop mal. Moins bien que toi, bien sûr. D’abord, il est plus âgé, et puis c’est un Américain et il n’a pas la sophistication des frenchies qui se sont spécialisés dans le sexe depuis Versailles et la cour du roi Louis. Pendant l’amour, il se laisse parfois aller.

 

Un naïf, comme tous les farangs

 

C’est un naïf, comme tous les farangs, surtout les Yankees. Et je sais comment lui arracher des informations : je suis allée prendre des cours auprès des putes que nous employons dans plusieurs des meilleurs bordels de Bangkok. On a parlé de Chevron. Il m’a demandé pourquoi ça m’intéressait. Je lui ai dit que le problème des réfugiés karens prenait des proportions inquiétantes et que nous aurions peut-être besoin de leur aide. Il m’a répondu qu’ils faisaient déjà beaucoup sur le plan de la santé, de l’éducation, de l’agriculture, des programmes vétérinaires, et même de la microfinance. Cela leur coûte très cher, mais fait partie de leur plan de communication. C’est ce qu’il m’a dit ensuite qui est le plus intéressant : Chevron joue double jeu vis-à-vis des Karen.

 

Les réfugiés, ça n’a jamais été leur priorité. Le groupe veut la jouer en solo en Birmanie, sans son partenaire Total. Il s’agit d’un nouveau projet qui concerne le bassin Rakhine, dans la baie du Bengale, où deux blocs d’exploitation les intéressent et où ils veulent être seuls maîtres à bord. Ils auraient d’ailleurs secrètement signé un PSC, un Production Sharing Contract, avec Moge, la société d’état birmane. Et, cette fois, ce ne serait pas comme pour Yadana : ils auraient le contrôle de la totalité de l’opération. Le deal comporterait aussi un accord secret : Chevron financerait un contrat avec Constellis, une société qui mettrait à disposition des Birmans des mercenaires, anciens des forces spéciales, pour les aider à combattre la rébellion Karen. Dans ce contexte, il pense que Chevron n’est pas totalement innocent dans l’explosion soudaine du scandale Yadana qui contribue à discréditer Total, le chef de file du projet, et pas Chevron qui n’apparaît que comme un exécutant de second rang.

 

Good job

 

— Good job, lui dit GAK quand ils se revoient, le lendemain, à l’ambassade. J’ai passé les infos à Total sans leur dire comment nous les avions obtenues. À propos, ça n’a pas été trop dur, ajoute-t-il en souriant ?

 

En quelques jours, Martin et lui sont devenus plus que des complices : des amis.

 

— Chez Total, ils étaient bluffés, continue GAK. Ils m’ont rappelé leur promesse de mettre des fonds à disposition des ONG de la façon que nous jugerions la plus efficace. J’ai pensé à Jessie, la fille du HCR que je t’ai présentée l’autre jour…

 

A suivre…

 

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