Rien de tel que l’expertise d’un diplomate pour nous décrire la marche du monde. Notre ami Yves Carmona, ancien ambassadeur français, a le sens pédagogique aigu. Pour lui, aucun doute : Joseph Biden sera un meilleur Président des États-Unis que son prédécesseur. A un incompétent égoïste va succéder un homme sérieux et expérimenté, respectueux de ceux qui ne sont pas de son bord politique et associé à une vice-présidente aux multiples origines, dont on vante également le sérieux. Mais ne nous laissons pas non plus abuser…
Une tribune d’Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal
Ne boudons pas ce plaisir ! Mais ne nous laissons pas non plus abuser. Comme Donald Trump, plus de 74 millions d’Américains ont estimé que les États-Unis étaient le pays le plus important au monde et ce dernier aurait sans doute gagné sa réélection si la COVID n’était venue montrer qu’on ne peut plus être grand tout seul.
La presse et les experts occidentaux ont quitté Washington et pendant qu’ils regardaient ailleurs, l’Asie a continué sa vie.
Résistance asiatique
L’Asie – ou plutôt l’Asie-Pacifique pour reprendre le découpage en vigueur – subit elle aussi la crise sanitaire.
Moins de manière directe que la plupart des pays occidentaux, comme le montrent les statistiques, certes plus ou moins biaisées dans tous les pays mais qui montrent quand même que les Asiatiques ont mieux résisté à la COVID que l’Occident, quelles qu’en soient les raisons; mais surtout de manière indirecte car la crise économique et sociale a touché à peu près tout le monde avec le ralentissement du trafic aérien et du tourisme internationaux et l’amplification des critiques contre la mondialisation. Ainsi, d’après l’OCDE, le PIB des membres du G20 a chuté au 2ème trimestre 2020 d’un taux de -6,9%.
La Chine a été le seul pays du G20 à connaitre la croissance (+11,5 %) au deuxième trimestre de 2020, reflétant le début précoce de la pandémie dans ce pays et la reprise qui s’en est suivi. Le PIB s’est contracté en moyenne de -11,8 % dans l’ensemble des autres économies du G20 au deuxième trimestre de 2020, alors que les effets de la pandémie ont commencé à se faire plus largement sentir.
Que nous disent les Universitaires d’Asie, qui sont peu suspects de manipuler les faits à des fins politiques ?
Qu’ils ne veulent pas, et leurs gouvernements non plus, choisir entre une Chine impérialiste et des Etats-Unis qui n’ont pas renoncé à l’être.
Beaucoup de gouvernements d’Asie-Pacifique, traumatisés par le mépris dont les a accablés pendant 4 ans l’occupant de la Maison Blanche, cherchent des alternatives.
Beaucoup cherchent aussi des alternatives à la puissance chinoise.
C’est ainsi que M.Suga, devenu premier ministre du Japon impromptu à la place de M.Abe a consacré sa première visite à l’étranger à deux pays-phares d’Asie du Sud-Est, le Vietnam et l’Indonésie. Il est vrai que Washington était en plein désarroi puisque l’élection de M.Biden était encore incertaine. Les deux pays visités sont symboliques du “China plus one” auquel s’appliquent depuis des années les entreprises japonaises. Ils sont aussi symboliques de la constitution face à la Chine d’un contrepoids politique qui ne dit pas son nom et se tient éloigné de toute idéologie. Rappelons que le Vietnam est gouverné comme la Chine par un Parti communiste unique mais refuse depuis des siècles de soumettre à l’Empire du milieu. Quant à l’Indonésie, 4ème population mondiale où les musulmans sont de loin les plus nombreux mais où les autres confessions sont bien présentes, s’efforce sous la houlette du Président “Jokowi” de garder son unité et son indépendance.
Indépendance australienne
Pays le plus développé de l’Océan Pacifique, l’Australie essaie de rester indépendante de la Chine tout en continuant avec elle de pratiquer un commerce de premier rang. C’est bien difficile ! La Chine a récemment refusé de vendre à l’Australie des terres rares, indispensables pour continuer à fabriquer des semi-conducteurs . Sans le dire, ne s’agit-il pas pour le pouvoir politique de la PRC de montrer à l’Australie qu’elle prend des risques en adoptant une politique “anti-chinoise”?
Cela n’a pas empêché Scott Morrison, premier ministre australien, d’effectuer à Tokyo une visite remarquée. D’autant plus que pour la première fois depuis 1945, le Japon a conclu un accord de défense avec un autre pays que les États-Unis qui en avaient l’exclusivité.
Sans exagérer la portée de cet accord, il n’est pas fait pour rassurer les deux hyperpuissances qui dominent le monde.
Conclusion, au risque de se répéter, l’auteur de ces lignes espère que des puissances – encore faut-il qu’elles aient de la puissance – sauront imposer aux deux premières une vision plus équilibrée des rapports internationaux, qui passe par le multilatéralisme et non son refus méprisant.
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