Nous avons plusieurs fois, dans les colonnes de Gavroche, évoqué le souvenir et l’œuvre littéraires d’Henry Daguerches, l’un des grands romanciers de l’Indochine française. Notre ami et chroniqueur littéraire et historique François Doré revient sur l’œuvre de cet ancien militaire, devenu romancier et révolté.
Une chronique historique et littéraire de François Doré
Hélas ! Nous ne connaîtrons jamais la suite des combats de Tourange. Henry Daguerches a rejoint la France où il va brillamment exercer son métier de soldat, chef d’un escadron d’artillerie lourde, au cours de la tragédie mondiale. 1918 : joies de la Victoire, mais aussi que de souffrances intimes. C’est cette même année qu’il se sépare d’Hélène, qu’il avait épousée à Nice en 1907. Il décida alors de repartir pour l’Indochine.
Retraite à Saïgon
Il a 42 ans, et c’est l’année suivante qu’il est libéré du service actif et se retire à Saïgon. Il publiera quelques poésies et articles dans des revues locales. C’est en 1924, soit bien avant la création du quotidien ‘L’Indochine’ par Paul Monin et André Malraux, que Daguerches sortira de son silence pour se présenter à la Délégation de l’Annam au Conseil des Colonies. Il dénoncera dans son programme politique les nombreux scandales financiers provoqués par l’administration corrompue de la Cochinchine et s’opposera vivement à son gouverneur, Maurice Cognacq Mais là encore, ce sera un échec, et Henry Daguerches se réfugiera dans le silence.
Le monde chinois l’attire, ses rêves, ses mystères mais aussi ses pièges. Tout pour oublier ses chagrins intimes dont il ne parlera pas. Il se consacrera désormais au culte des belles porcelaines chinoises… C’est de là que viendra la dernière œuvre, ‘Le Paravent Enchanté’, paru en 1930 à Hanoï et qui ne sera tiré qu’à 500 exemplaires. Daguerches a voulu allier, dans cette ‘Chinoiserie avec divertissement’, sa profonde connaissance de la vieille Chine avec la préciosité du XVIIIè siècle français : une marquise du grand siècle, se retrouve engluée dans un paravent chinois avec un galant chevalier servant.
La laque fondue
Petit à petit, la laque qui les retenait prisonniers se met à fondre, et ainsi à libérer, en même temps que les deux héros qui se réfugient sur le haut du meuble, tout le monde chinois qui grouillait sur le paravent : voici que reviennent à la vie toutes sortes de personnages, une nature exubérante et inconnue, fleurs et fauves, toute une mythologie de monstres et de dragons crachant le feu…Le tout accompagné d’un orchestre traditionnel chinois qui fait un bruit de casserole épouvantable, rythmé de tambours et de cymbales… Sans surprise, ce divertissement précieux et ésotérique n’aura pas un grand succès populaire auprès de ses compatriotes. Alors viendront les années mystiques. Désireux de s’évader des laideurs de la vie quotidienne, comme tous les vrais artistes, il se laissera attirer par le mystère enchanté des fumeries.
Le calvaire de l’opium
Paul Bonnetain, dans son roman terrible ‘L’opium’ en 1896 avait étonnamment décrit le calvaire qu’allait traverser Daguerches, vingt ans plus tard : ‘J’ai souffert, j’ai fumé l’opium J’ai fumé l’opium, j’ai souffert ! Je n’ai pas vécu, je me suis laissé vivre, et j’ai fumé et j’ai été malheureux, parce que je respirais… ». Camille Aymard lui rendit hommage : ‘La nuit, c’est l’heure divine. Mais c’est aussi, pour les hommes, l’heure de la tentation et de la chute. Daguerches trouvait maintenant la vie si vide, si vaine et si bête, hors des heures d’opium. Ce jour là, Daguerches avait terminé sa vie d’écrivain…’. Jean Dorsenne lui rendit visite en 1932. Il décrivit ‘la vie retirée, ouatée de silence, embaumée par le parfum des pavots’ de l’écrivain. Il avait vu sur son bureau, ‘les manuscrits qui s’en tassaient, les poèmes, les contes et les romans qui ne seront jamais publiés car son souci de la perfection l’en empêchait…’
L’opium, implacable et jaloux
Tous ses amis essayèrent d’aider Daguerches à sortir de son silence. Ses pairs reconnurent la qualité de son œuvre, en faisant de lui, en 1930, le premier lauréat du Prix Littéraire des Français d’Asie… Mais rien n’y fit. Son état de santé étant devenu inquiétant, ils se cotisèrent pour organiser son retour vers la France au début de l’année 1939 et c’est à Marseille, en arrivant, que mourut l’écrivain, lui qui avait toujours rêvé de libérer son âme dans sa chère Indochine. Vers lui se serait penché l’impassible visage de Consolata, fille du Soleil ! Il est mort d’être rentré en France, car l’opium est un maître implacable et jaloux’ assurait Camille Aymard.
François Doré.
Librairie du Siam et des Colonies
Retrouvez tous les livres cités dans ses chroniques à la librairie du Siam et des Colonies. Contact: librairiedusiam@cgsiam.com
Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.