Nous y sommes. le héros de la voie du farang va retrouver la trace de son passé et mener l’enquête sur les crimes commis le long de la construction du gazoduc de Yadana. les camps de réfugiés sont toujours des mines d’information pour qui sait les visiter. La voie du farang est étroite: comprendre, alerter, crier, dénoncer….Et peut être ensuite devoir se taire !
Un roman inédit de Patrice Montagu-Williams
L’intrigue.
1996 : sur fond de contrat pétrolier sulfureux passé avec la junte militaire birmane, de manipulation des médias et des ONG par différents services secrets, Martin Decoud, agent de la DGSE, la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, est envoyé en mission à Bangkok.
Persuadé que, comme le dit Ernest Hemingway, « Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu », le farang, l’étranger, retournera en Thaïlande, près de vingt-cinq ans plus tard, pour tenter d’y reconstruire une existence que la vie a brisée et trouver le « Noble Chemin » des bouddhistes qui mène au nirvana.
Rappel de l’épisode précédent :Jessie et Martin se rendent au camp de réfugiés de Ban Mai Nai Soi, près de Mae Hong Son, à l’extrême nord-ouest du pays. Le camp est une véritable ville. Jessie lui propose de rencontrer le lendemain une personne d’une ONG avec laquelle il pourra se mettre d’accord.
Épisode 12 : Global Training for Refugees
Martin attendait devant le bureau du KnED, un bâtiment bas avec un toit en tôle. Il avait plu une partie de la nuit, mais le sol commençait à sécher.
— J’ai prévenu le responsable de Global Training for Refugees que tu voulais le voir, lui dit Jessie en sortant. GTR, c’est une filiale de GTG, Global Training Group, une société dont le siège social est au Panama. On ne sait pas exactement qui la finance – on a même parlé de la CIA – mais elle fait du bon boulot ici. Ils ont la réputation de ne pas être très regardants sur l’origine des fonds qu’ils reçoivent, ce qui n’est pas le cas de toutes les ONG, et c’est exactement ça qu’il te faut. Après tout, l’argent n’a pas d’odeur. Je te laisse aller seul à ton rendez-vous. J’ai encore deux ou trois choses à régler ici, au KnED, et puis je ne veux pas mêler le HCR à vos affaires. Tu verras, le bonhomme est ouvert et sympa. C’est un Américain, un ancien des forces spéciales et qui ne s’en cache pas. Son bureau se trouve un peu plus loin, à cinquante mètres, sur la droite. Quand tu auras fini, retrouve-moi au HCR.
Je m’appelle Woodward, comme le type du Watergate
— Je m’appelle Woodward, comme Bob, le journaliste qui s’est payé le scalp de Nixon dans l’affaire du Watergate. D’ailleurs, c’est un parent lointain, dit l’homme, un grand blond aux cheveux coupés en brosse, en lui écrasant la main. Tu veux une bière ?
— Avec plaisir, répond Martin.
— Jessie a dû te prévenir : je faisais partie de la Delta Force. Mais, après la bataille de Mogadiscio, il y a trois ans, où ces salauds de miliciens ont traîné dans toute la ville
les corps des deux snipers qui nous avaient sauvé la vie après le crash de notre hélicoptère, j’ai lâché prise. Ce n’est pas le monde dont je voulais…
L’homme prend le temps d’expliquer calmement à Martin ce que fait GTR.
— Nous travaillons avec le KnED, ici, à Bai Mai Nai Soi. Avec les formations professionnelles que nous délivrons, nous cherchons à renforcer les moyens de subsistance des réfugiés en leur donnant la possibilité d’acquérir des compétences qui les préparent à une nouvelle vie, en dehors du camp. Nous avons formé plus de mille cinq cents personnes à ce jour. Au début, nous ne proposions que des formations de niveau débutant, mais nous avons complété ça depuis par d’autres formations plus spécialisées comme la gestion hôtelière, la couture, la coiffure, l’informatique ou la réparation de motocyclettes pour répondre aux besoins du marché de l’emploi birman. Nous avons aussi formé des enseignants qui donnent déjà des cours dans le camp.
— Parfait. Tu sais qui je représente, demande Martin ?
— Jessie m’a parlé de Total. Elle m’a dit que la boîte avait un besoin urgent de redorer son image.
Une chaleur moite s’est abattue sur le camp.
— Encore une bière, demande Woodward ? La Chang est la meilleure…
L’homme se lève et va chercher deux canettes dans le réfrigérateur.
— GTR est un peu le black sheep des ONG. Mais c’est ça qui fait notre force. Nous faisons parties de ceux qui levons le plus de fonds. Pour nous, la fin justifie les moyens. La boîte a été fondée par deux anciens du Vietnam. En fait, au début, ils étaient trois, mais l’un d’eux les a lâchés en cours de route pour ouvrir un bar à Bangkok. C’était le fameux T.G « Cowboy » Edwards, celui qui est à l’origine du nom de Soi Cowboy, le quartier chaud de Bangkok. Ces types avaient tout juste vingt ans à l’époque et, après ce qu’ils avaient vécu, ils voulaient refaire le monde. Ils en ont plus de quarante aujourd’hui, mais ils n’ont toujours pas changé d’idées. On ne dira pas que le fric passe par nous, si tu préfères. Je sais comment faire. On parlera juste de ce à quoi il a servi et tu ne seras pas déçu, tu verras.
— Affaire conclue, dit Martin en serrant la main de Woodward.
Quelque chose de fort s’est passé entre ces deux hommes : ils ont compris qu’ils étaient de la même race, celle où le respect force l’amitié sans qu’ils aient, bien sûr, le besoin d’en parler…
Le royaume des éléphants
Avant de retourner à Bangkok, Jessie a tenu à montrer à Martin un sanctuaire pour éléphants, Wild Elephants Park, situé dans un petit village du district de Mae Taeng.
— Je connais bien la femme qui s’en occupe. C’est la fille d’un G.I qui était en permission à Bangkok et d’une prostituée. On l’appelle Jewel, car c’est un vrai bijou !
Martin sent que son rapport avec Jessie a changé. Il s’est déplacé insensiblement sur un terrain beaucoup plus personnel et ça lui plaît.
Une fois sur place, Jewel leur explique qu’elle a sauvé les pachydermes de leur travail de forçats pour touristes. Elle ajoute que l’éléphant d’Asie est plus petit que ses cousins africains mais plus facile à dompter. Les troupeaux comptent un nombre restreint d’individus et sont toujours commandés par des femelles.
— Les éléphants apprécient particulièrement cette région de la Thaïlande où les forêts sont denses et où ils trouvent facilement de l’eau et de la nourriture, leur dit-elle. Ils sont sociables, sensibles et intelligents. Ils communiquent entre eux par le toucher, l’odorat et la gestuelle, mais, surtout, par les sons, des sons qui nous échappent, la plupart du temps, à nous humains. Ces infrasons sont si bas que leurs vibrations, transmises par la terre, peuvent être perçues par d’autres éléphants jusqu’à cinq kilomètres, et même au-delà, ce qui peut permettre d’avertir d’un danger ou de faire savoir où il y a de l’eau. Une femelle peut aussi trouver comme ça un étalon ou un mâle demander de l’aide. Ces conversations sont coordonnées entre les différents interlocuteurs : dès qu’un appel se termine, un autre commence. Les messages sont connectés, comme une chaîne.
Au moment de quitter le sanctuaire, Jessie tombe en arrêt devant un éléphanteau. Elle commence à le caresser sous le regard de sa mère qui la laisse faire et semble même l’encourager.
— Il s’appelle Nong Oum et il a deux ans, dit Jewel.
— Je reviendrai pour l’adopter, répond Jessie en riant : je n’ai pas d’enfant !
— Merci pour tout, dit Martin à la jeune fille dans l’avion du retour en lui tenant la main un peu plus longtemps que nécessaire sans qu’elle ne dise rien.
A suivre…
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