Notre chroniqueur historique et littéraire François Doré a toujours en tête des références sans pareille, qui nous replonge dans le passé avec l’éclairage du présent. En ces journées de Noël et de fêtes de fin d’année, revoici l’émotion de 1945, dans la plus belle des colonies françaises qui est aujourd’hui le Vietnam
Une chronique de François Doré
Bonjour à toutes et à tous.
En ces temps de Noêl, un petit texte de 1945 pour nous rappeler qu’il y eut des Noëls
de temps de paix et des Noëls de temps de guerre.
Que le Noël de cette année, si troublée, que les combats actuels et les morts si cruelles, ne nous laissent pas oublier la venue de Jésus et la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.
Joyeux Noël à tous et prenez bien soin de vous !
Le libraire de Sukhumvit.
Un texte signé Jean-Michel Hertrich. Mensuel «France d’Asie». Mai 1946
Après deux mois passés à Hanoï, je redescends à Saïgon pour le soir de Noël. Je ne m’y reconnais plus. On s’écrase dans les bars, dans les cafés, dans les restaurants. Une extraordinaire animation règne dans les rues, principalement dans la rue Catinat, la ‘Rue de la Paix’ de notre belle Indochine. Les hommes ont quelquefois des tenues bien pittoresques, particulièrement les parachutistes qui oublient, ce soir, de longues semaines d’isolement… Tout le monde chante, hurle dans la nuit. Ceux qui ne peuvent circuler en jeep se tassent dans des camions… Étrange Noël d’apocalypse ! Oublient-ils ce qu’ils ont vécu, ces hommes qui s ‘amusent comme de grands enfants ?
La neige des Vosges et de l’Alsace
Oublient-ils le Noël précédent et la neige des Vosges et de l’Alsace ? Non, ils ne peuvent oublier ni leurs camarades morts sur la terre de France, ni ceux qui viennent de tomber dans les rizières d’Indochine. Cette guerre, une fois de plus a transformé les conventions. Parce qu’ils ont beaucoup souffert, ou vu beaucoup souffrir, les hommes nouveaux vivent une vie plus brûlante. Parce qu’ils ont manqué de beaucoup de choses, ils ont envie de beaucoup de choses. Il est une heure du matin. Dans la nuit monte un chant doux, musical et dansant. Un camion descend, presque au pas, la rue Catinat. Les bâches ont été enlevées. Sur la charpente de fer, des lampions se balancent. Dans le camion, un piano, et devant le piano, un soldat rêveur qui joue doucement, tandis qu’un guitariste l’accompagne. Ils circulent sans but dans les rues de la ville. Ils ont oublié la haine et la guerre. Ils vivent un beau soir de Noël où l’air est doux comme leur musique, où de chauds parfums montent des buissons en fleurs…. Les jeunes filles sont en robe légère, les hommes en chemisette. Et cela rappelle presque les nuits d’été de Paris, quand toutes les fenêtres sont ouvertes, quand les radios modulent les chansons populaires…
La nuit tombe, comme un rideau
Mais l’heure passe… la nuit tombe, comme un rideau…. Le théâtre est vide… Pas pour longtemps, car le grondement des premiers convois réveille les dormeurs : automitrailleuses, jeeps de commandement, camions de ravitaillement, ambulance, c’est le cortège habituel qui part vers l’intérieur. Casqués, l’œil dur, les hommes gardent le souvenir de leur nuit de Noël : le lieutenant rêve à un air de valse, à la jeune fille rose et blonde qui paraissait si tendre. Le soldat songe à ceux qui chantaient près de lui et s’interrompaient pour raconter leurs souvenirs nostalgiques… Le soleil se reflète durement dans l’eau de la rizière où la mort guette. Une vision de campagne française, avec des blés ondoyants et dorés s’impose un instant. Les opérations continuent…
Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.