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THAILANDE: Quelles leçons tirer des élections législatives du 24 mars ?

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 02/04/2019
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Gavroche ouvre le débat sur les élections législatives Thaïlandaises du 24 mars. Quelles en seront les conséquences ? Que penser de ce scrutin contesté ? Soyez nombreux à nous apporter votre témoignage et vos réactions. Notre ami Philippe Bergues, enseignant en histoire géographie et observateur avisé du Royaume, partage avec nous ses réflexions.

 

Huit ans après les dernières élections de juin 2011 à la Chambre basse, il était intéressant de voir comment les thaïlandais allaient appréhender ce scrutin maintes fois reporté par le Général Prayuth, premier ministre et chef du NCPO (Conseil national pour la paix et l’ordre), acronyme de la junte militaire à la tête du pays depuis le coup d’état de mai 2014.

 

La participation

 

Avec près de 66% de participation, ce chiffre annoncé initialement par la Commission électorale – qui a ensuite annoncé un autre chiffre, en hausse et controversé – constitue une surprise en ce sens que le pré-vote du 17 mars, très suivi par les électeurs, laissait présager à une bien meilleure mobilisation le 24 mars.

 

Pratiquement tous les experts et journalistes en accord avec les sondages avaient annoncé une participation d’au moins 85% pour les plus pessimistes et certains avaient même parié sur une fourchette haute de 95%, ce qui ressemblait à une soif exceptionnelle d’urnes après une disette d’expression de près d’une décennie.

 

On peut donc s’interroger sur ce décalage d’au moins 20 points, peut-être dû à un système électoral complexe mal compris par les électeurs entre les 350 élus de circonscriptions et les 150 élus au scrutin de liste proportionnel.

 

La réforme électorale initiée par le pouvoir militaire avait sans doute pour objectif premier de limiter une éventuelle victoire du Pheu Thai, le parti pro-thaksin, vainqueur de toutes les Législatives depuis 2001.

 

La campagne

 

On fut bien loin des standards démocratiques – français ou européens- car la junte a redoublé d’ardeur pour déstabiliser les voix ou partis critiques de son action.

 

Le contrôle de l’information, des réseaux sociaux par la loi sur la cybercriminalité, l’utilisation de l’arsenal judiciaire pour intimider les partis opposés au camp militaro-royaliste témoignent d’une campagne muselée et difficile même si les meetings des différentes formations semblent s’être tenus dans des conditions acceptables à Bangkok et dans les provinces.

 

Le 8 février 2019 restera une date marquante avec la candidature au poste de Premier ministre de la Princesse Ubolratana pour le compte du Thai Raksa Chart Party et la réponse du roi Rama X, le soir même, la jugeant « inappropriée » et fermant la porte à celle-ci pour interdiction par la constitution aux membres de la famille royale d’entrer en politique.

 

Néanmoins, des zones d’ombre demeurent sur cette initiative et sur les jeux de pouvoir au sein de la famille royale, auxquels l’intervention du monarque a mis fin.

 

Pour sanction, le Thai Raksa Chart Party, satellite du Pheu Thaï, a été dissous par la Cour constitutionnelle pour « avoir osé » sans que celui-ci n’ait les moyens de se reconstruire sous une autre forme dans des délais impartis.

 

Cela montre bien la volonté d’affaiblir l’opposition au parti Palang Pracharath Party, qui soutient la candidature du Général Prayuth à sa propre succession.

 

A deux jours du scrutin, la diffusion de clichés montrant la Princesse Ubolratana présidant la cérémonie de mariage de Paetongtarn «Ing», fille de Thaksin à Hong Kong, a été clairement interprétée comme un soutien de celle-ci aux candidats du clan Shinawatra.

 

En réponse, le roi Rama X a fait passer la veille des élections un message invitant à voter pour « les bonnes personnes », maintes fois répété sur les télévisions du pays, intervention inhabituelle dans le champ politique pour les monarques thaïlandais bien que son père, le roi Rama IX l’ait fait à une reprise en 1969 dans le contexte de la Guerre froide pour limiter le vote communiste au moment de la guerre du Viet-Nam.

 

Les résultats

 

On peut dire que la Thaïlande faisait figure de bon élève dans cette région du Sud-est asiatique lors des différentes élections législatives depuis 2001 : transparence (dépouillement, comptage des voix…) et acceptation des résultats par l’ensemble des partis.

 

Ce scrutin du 24 mars 2019 fait exception à la règle, étonnement, la Commission électorale a annoncé le soir même être incapable de donner des résultats intégrant 100% des bulletins – et l’a réitéré le lendemain.

 

On sait que les résultats officiels devront être proclamés le 9 mai, trois jours après le couronnement de Rama X.

 

Quelques interrogations s’imposent sur les éléments portés à la connaissance du public : que signifient les presque 2 millions de bulletins invalidés par « confusion de cochage » qui représentent 6% des votants ?

 

Des bulletins allant vers les formations pro-démocratiques du Pheu Thai et de Future Forward Party ?

 

Comment comprendre que dans certaines provinces, on ait compté plus de bulletins qu’il n’y avait de votants ?

 

Bourrage des urnes ?

 

Ces questions restent sans réponse et le travail actuel de la Commission électorale apportera sans doute des précisions utiles.

 

Selon les chiffres partiels annoncés, le Palang Pracharath Party est en tête avec 7,93 millions de voix suivi du Pheu Thai avec 7,42 millions, de Future Forward Party avec 5,87 millions, des Démocrates avec 3,70 millions et du Bhumjaithai Party avec 3,51 millions.

 

Mais avec la règle de répartition des sièges à la Chambre basse, le Pheu Thai est largement en tête mais est loin d’atteindre la majorité à lui seul.

 

Quelques constats s’imposent : le parti pro-junte a réalisé un bon score, sans doute car ses électeurs voient en lui un gage de stabilité et d’ordre, celui-ci s’est fait au détriment des Démocrates, la doyenne des formations thaïlandaises, habituels soutiens des élites économiques et militaro-royalistes dont le score n’avait jamais atteint un niveau aussi bas.

 

Un transfert de votes s’est opéré. le slogan de fin de campagne « Si vous voulez la paix, votez pour Oncle Tu ! », surnom du Général Prayuth, a renforcé la désaffection du camp démocrate pour renflouer celui du Palang Pracharath Party.

 

D’ailleurs, Abhisit Vejjajiva, a annoncé sa démission du leadership du parti dès dimanche soir car l’objectif fixé d’au moins 100 sièges n’a pas été atteint.

 

Le Pheu Thai n’a pas eu le résultat escompté mais il n’était pas présent dans toutes les circonscriptions et la disqualification de son parti jumeau, le Thai Raksa Chart Party a ruiné sa stratégie liée aux nouvelles règles de ce scrutin.

 

Le premier grand vainqueur est le Future Forward Party, nouvelle formation incarnée par Thanathorn, novice en politique.

 

Jeune homme d’affaires à la tête du groupe familial Thai Summit -qu’il a quitté en formant ce mouvement-, Thanathorn, pourfendeur de la junte, programme le changement de la constitution actuelle à l’avantage de celle-ci, la « démilitarisation » de la vie politique thaïlandaise en renvoyant les généraux dans leurs casernes (au service d’un gouvernement civil), une meilleure répartition des richesses dans un pays très inégalitaire et une liberté d’expression moins contraignante qu’aujourd’hui.

 

Cette approche a certainement séduit les jeunes thaïlandais qui votaient pour la première fois et qui représentent le Siam 2.0.

 

Le second grand vainqueur est le parti Bhumjaithai dont la proposition de légaliser la culture du cannabis comme complément de revenus aux paysans a entraîné une très forte adhésion électorale de ceux-ci surtout dans l’Est.

 

Le grand perdant de cette élection est Suthep Thaugsuban, l’un des barons du sud, avec sa nouvelle formation Action for Coalition Thailand, construite pour amener des députés supplémentaires en soutien au camp Prayuth.

 

Battu dans son fief de Surat Thani, celui qui avait organisé les vastes rassemblements de Bangkok dès la fin de l’année 2013 pour renverser le gouvernement Yingluck et provoqué le coup d’état de mai 2014, a réalisé un score très marginal.

 

Qui va gouverner ?

 

La Chambre basse élue ce dimanche comprend 500 députés, les deux formations en tête et rivales revendiquent la victoire et sont entrées dans l’étape de formations de coalitions : le Palang Pracharath Party car il est majoritaire en voix et le Pheu Thai, en sièges.

 

Comme à l’accoutumée dans la phase post-électorale en Thaïlande, les spéculations et marchandages commencent entre les partis.

 

Deux camps s’établissent pour former une coalition, celui des partis pro-junte et celui des partis pro-démocratie mais un point essentiel de la Constitution présentée par les militaires et approuvée par referendum en 2016 pourrait être crucial : la Chambre haute composée de 250 sénateurs est entièrement cooptée par l’actuel gouvernement militaire, ses désignés ne sont à l’instant toujours pas connus.

 

Ce qui veut dire que seuls 126 députés sont nécessaires pour que Prayuth trouve une majorité parlementaire sur les deux chambres.

 

Le Pheu Thai et le parti Future Forward font valoir que la seule vraie majorité ne peut-être que celle sortie des urnes par la volonté du peuple le 24 mars.

 

L’annonce le 27 mars par Sudarat, la candidate Premier ministre du Pheu Thai, d’une coalition trouvée de 7 partis comprenant 255 députés, sans que ce nombre ne soit définitif, veut démontrer la légitimité de son entreprise.

 

Il apparaît peu probable que cette coalition gouverne en mai tant le verrouillage constitutionnel avantage très nettement le Palang Pracharath Party et les partis alliés qui le soutiendront.

 

Philippe Bergues
Diplômé de l’Institut Français de Géopolitique – Paris 8
Professeur de lycée d’histoire-géographie

 

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