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BIRMANIE – POLITIQUE: Pourquoi l’armée peut tenter le pire

Journaliste : François Guibert
La source : Gavroche
Date de publication : 31/01/2021
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Nous avons publié, dans les colonnes de Gavroche, l’avertissement du ministère français des Affaires étrangères sur la situation politique en Birmanie où les parlementaires élus en novembre dernier doivent ce mardi se retrouver en session plénière. Les rumeurs de coup d’État militaire vont en effet bon train ces jours ci dans le pays. Retour sur une semaine de tensions politiques dans les coulisses du pouvoir birman.

 

Une analyse de François Guilbert

 

85 jours après les élections générales du 8 novembre 2020, mardi 2 février devrait s’ouvrir la première session parlementaire de la nouvelle législature de la République de l’Union du Myanmar. C’est donc dès le surlendemain de la fin du mandat de leurs devanciers que tous les parlementaires élus et les 166 militaires qui ont été désignés le 31 décembre 2020 par leur commandant-en-chef se retrouveront dans les hémicycles.

 

Depuis plusieurs jours déjà ils résident dans les logements mis à leur disposition dans la capitale. Les uns après les autres, il leur a fallu se soumettre d’abord à des tests de dépistage de la COVID-19 et depuis samedi à une première injection de vaccin. Si l’arrivée de tous les membres de la chambre basse (Pyithu Hluttaw) et de la chambre haute (Amyotha Hluttaw) s’est déroulée en bon ordre, la rentrée parlementaire s’annonce particulièrement tendue. Certes, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) a remporté un triomphe lors des derniers scrutins mais l’euphorie n’est pas celle d’il y a 5 ans quand la NLD s’apprêtait à se saisir pour la première fois des rênes du pouvoir après plus d’un quart de siècle de combats pacifiques. Au-delà d’un déploiement inaccoutumé de forces de l’ordre à proximité des assemblées, les propos successifs du porte-parole de l’armée et ceux du général Min Aung Hlaing ont laissé réapparaître le spectre d’un possible coup d’État militaire à brève échéance.

 

Rumeurs répandues dans le pays

 

Des rumeurs du même type s’étaient déjà répandus dans le pays peu avant les élections générales mais cette fois le langage militaire est très explicite. Le 27 janvier devant les auditeurs de l’université nationale de défense, le numéro 1 de la Tatmadaw n’a pas hésité à évoquer l’abrogation de la Constitution de 2008 comme cela avait été le sort des lois fondamentales de 1947 et 1974 quand les hommes en uniformes s’arrogèrent un pouvoir sans partage. Mardi 26, le général de division Zaw Min Tun, le seul porte-parole patenté de l’armée, faisait même savoir lors de sa conférence de presse hebdomadaire qu’un putsch était une option qui ne pouvait être écartée si le gouvernement et la Commission électorale de l’Union ne pouvaient démontrer que le scrutin d’il y a trois mois fut bien libre et équitable.

 

Démocratie «ordonnée»

 

La Tatmadaw ne retient plus ses coups et pose ses conditions à la poursuite de la « démocratie ordonnée » qu’elle a souhaité instaurer avec sa Constitution de 2008 qui lui arroge 25 % des sièges dans toutes les assemblées parlementaires, qu’elles soient sises à Nay Pyi Taw ou dans les États et régions. Aujourd’hui, le chef de l’armée se refuse à reconnaître les résultats des élections générales. Il demande la dissolution de la Commission nationale électorale (UEC), un nouveau décompte des voix avec l’ »aide » de l’armée, le report de la rentrée parlementaire et la convocation du Conseil national de sécurité et de défense, ce qui reviendrait ni plus, ni moins qu’à lui mettre les pleins pouvoirs. Si la rentrée parlementaire a été repoussée de 24 heures, toutes les autres exigences ont été repoussées par le pouvoir civil. Une position inflexible qui n’est pas sans risque.

 

Selon le quotidien Myanmar Now, si leur ultimatum n’est pas respecté les militaires n’auraient pas caché vouloir mettre en résidence surveillé pas moins que le président de la République, les présidents des deux chambres et la Conseillère pour l’Etat Daw Aung San Suu Kyi. En fin de semaine, cette perspective était jugée suffisamment crédible pour que certains élus précisent sur leur compte Facebook avoir préparé un paquetage en cas où et des citoyens et des citoyens aillent au marché pour quelques achats de précaution ou retirer un peu d’argent liquide. L’apparition ici où là dans le pays, abondamment relayée sur les réseaux sociaux, de quelques véhicules blindés a fini de rendre crédible la perspective d’un putsch. Dans l’opinion, la majorité ne veut toutefois pas y croire. Quel serait en effet l’intérêt de l’armée ? Il y a tant de défis immédiats non sécuritaires : la lutte contre la propagation de la COVID-19, le manque d’eau et d’électricité dans les semaines à venir de la saison sèche, sans même parler des conséquences économiques et sociales du coronavirus.

 

Aung San Suu Kyi au zénith de sa popularité

 

Pour conduire ces politiques publiques, les soldats ne pourront même pas se prévaloir d’avoir trouvé une situation où le gouvernement civil était profondément décrié et au point d’entre être totalement délégitimé. Au contraire, Daw Aung San Suu Kyi est au zénith de sa popularité et son action gouvernementale très appréciée. Dans ce contexte, les citoyens comme les observateurs se demandent ce que l’armée et son chef recherchent ? Certes, il est de notoriété publique que les relations entre les deux têtes de l’exécutif sont toutes sauf confiantes. Les deux intéressés ne se parlent pas, si ce n’est de manière indirecte. C’est d’ailleurs le cas à l’heure de cette crise aigüe. Le général Min Aung Hlaing n’est pas venu dire à Daw Aung San Suu Kyi ses récriminations et ses revendications. Celles-ci ont été véhiculées par l’entremise d’U Zaw Htay (porte-parole du gouvernement) et U Kyaw Tint Swe (ministre auprès de la Conseillère pour l’Etat) et la réponse abrupte de la cheffe de facto du gouvernement par la même voie. Si ces canaux sont depuis longtemps de confiance, ils ne facilitent pas une sortie rapide de la crise.

 

Les parties le veulent-elles d’ailleurs ? Chacun est incité à ne pas commettre l’irréparable mais personne ne croit que les différends apparus disparaîtront aussi vites qu’ils se sont récemment exprimés. Dans les semaines qui viennent, le pouvoir militaire disposera de bien des leviers pour faire obstacle au bon fonctionnement des institutions. Il pourra chercher à compliquer l’élection du président de la République. Celui-ci doit en effet être désigné parmi les candidats choisis par 3 collèges électoraux dont un est formé par les parlementaires militaires. Quant au gouvernement, comment pourrait-il se mettre en place si le commandant-en-chef ne désigne pas les ministres de l’Intérieur, de la Défense et des Frontières, prérogative que lui octroi la Constitution ?

 

Nouvelle cohabitation civilo-militaire durable ?

 

A défaut de trouver les rapidement les bases d’une nouvelle cohabitation civilo-militaire durable, l’urgence du moment est de parvenir à une désescalade des tensions. Du côté de la NLD, on s’affiche confiant sur l’attitude respectueuse de la Constitution par l’armée et on ledit urbi et orbi.

 

Du côté de la Tatmadaw, on a fait samedi 30 janvier marche arrière en soulignant que les propos du commandant-en-chef ont été mal compris et que bien évidemment l’armée respecte(ra) la loi et la Constitution. Sans que l’on en soit certain à 100 %, il se pourrait bien que le retour à un langage plus constitutionnel du porte-parole de la Tatmadaw soit lié à des dissensions au sein de l’appareil de sécurité sur la stratégie d’affrontement choisie par le général Min Aung Hlaing. Certains généraux sont convaincus qu’un putsch pourrait se révéler rapidement contraire à leurs intérêts individuels et collectifs. Sur le plan stratégique, l’isolement diplomatique et les nouvelles sanctions occidentales qu’induirait un coup d’Etat militaire, pousseraient la Birmanie dans les bras de la Chine, ce que nombre de soldats veut surtout éviter. Comme le rappellent des cronies compagnons de route des généraux, les conséquences économiques pourraient être toute aussi désastreuses.

 

Intérêts contradictoires

 

L’équation ainsi posée laisse apparaître deux autres questions clés : les intérêts de la Tatmadaw sont-ils totalement concordant avec ceux du général Min Aung Hlaing appelé à prendre sa retraite à l’été 2021 ? Les intérêts des militaires d’active sont-ils toujours assimilables à ceux du parti que la junte a mis en place il y a dix ans et qui vient de subir trois déroutes électorales successives au point où il y aura à la Pyithu Hluttaw 4,2 fois plus de militaires que d’élus du Parti de la solidarité et du développement de l’Union (USDP), une proportion qui atteint les 8 fois dans le cas de l’Amyotha Hluttaw ? Dans les assemblées parlementaires, les militaires devront compter sur eux-mêmes pour défendre les intérêts de leur corps bien plus que sur des formations politiques relais. Reste à savoir si les militaires qui ont été désignés fin décembre 2020 auront suffisamment de poids et d’influence pour peser au quotidien or force est de constater que ces députés d’un genre particulier ne sont pas toujours des officiers de haut rang.

 

A la chambre basse, 11,8 % des soldats nominés sont des officiers généraux dont seulement 2 major-généraux. A la chambre haute, ils sont un peu plus nombreux (16 %) mais il n’y a qu’un seul major-général dans une assemblée, il est vrai, à l’influence plus modeste. Quant aux assemblées provinciales, l’armée a fait le choix d’y dépêcher aucun officier général. Signe du peu d’importance accordée aux parlements des États et régions, 1 miliaire sur 19 est un colonel à Mandalay et 2 sur 31 a atteint les cinq barrettes à Yangon. Dans l’État Kayah, 2 des 5 officiers sont des personnels féminins alors que ceux-ci figurent de facto au second rang des listes transmises (2). Compte tenu de cette situation peu confortable dans les parlements, la tentation pour l’armée sera peut-être de jouer la rue contre le gouvernement. C’est ce qu’une certaine frange est aujourd’hui tentée de faire.

 

Pour mobiliser, il lui faut compter plus encore que sur les militants de l’USDP, sur les réseaux des ultra-nationalistes bouddhistes. Les manifestations orchestrées ce week-end à Yangon notamment autour de la pagode sacrée de la Shwedagon comptaient pas moins de 15 % de moines. Sur le devant de cette scène figure des volontaires de la Fondation Philanthropique Bouddha Dhamma, œuvre du moine ultranationaliste Wirathu (3). Médiatiquement, elle mobilise ses partisans, dénonce les ingérences étrangères et les soutiens occidentaux à la NLD et sa cheffe. Si jusqu’ici ces incantations mobilisent peu dans le pays, elles ne sont pas sans risques car la crise pourrait bien se déplacer des lieux de pouvoir la capitale vers la rue. Une partie de l’armée n’attend peut être que cela et espère que le sang coulera pour intervenir plus « légitimement ».

 

Conscient du risque d’un tel engrenage, consigne a été donné aux partisans de la NLD de ne pas descendre les rues mais d’afficher leurs couleurs aux quatre coins du pays. Comme aux heures les plus intenses de la campagne électorale, les pro-NLD ont ressorti les oriflammes du parti sur les devantures des échoppes et des maisons. Dans la rue, les taxis et cyclopousses ont fait de même. Sur les panneaux publicitaires fleurissent également de grandes affiches avec le portrait de Daw Aung San Suu Kyi et le slogan :

 

« Nous SOUTENONS ABSOLUMENT le nouveau gouvernement de la NLD dirigé par Daw Aung San Suu Kyi, pour qui nous avons voté ».

 

François GUILBERT

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