La crise provoquée par le coronavirus en Chine et en Asie du sud est dépasse de loin la seule question médicale. la confiance dans la capacité de l’État chinois à réagir à la hauteur des enjeux, et la nature des réponses apportées aux populations, sont un défi direct au pouvoir du président Xi Jinping. Gavroche se réjouit d’accueillir dans ses colonnes une deuxième contribution de Philippe Le Corre, Chercheur à la Harvard Kennedy School et à l’ESSEC-Irené.
Une analyse également publiée dans les colonnes du quotidien Ouest France
Par Philippe Le Corre
Superstitieuse, la Chine se souviendra longtemps de l’entrée dans l’année du Rat dans le calendrier lunaire, le 25 janvier 2020. L’épidémie du coronavirus, révélée après une longue période de silence (le premier cas ayant été repéré le 8 décembre), se répand rapidement à travers le pays à une époque où des centaines de millions de Chinois se déplacent traditionnellement pour les festivités du Nouvel an. Mais en matière de fête, ce ne sont soudainement qu’avertissements des médias et des autorités – jusqu’à ceux du numéro un du parti communiste, Xi Jinping qui, le 22 janvier, a qualifié la crise de « grave » – et mises en quarantaine pour plus de 60 millions de personnes au minimum, notamment dans la ville d’où est partie l’épidémie au centre de la Chine, Wuhan (11 millions d’habitants).
La Chine «au centre du monde»
Pour Xi Jinping, qu’on présente comme le dirigeant plus puissant du pays depuis Mao Zedong, le défi est à la hauteur des ambitions : à force de vouloir placer la Chine « au centre du monde », et d’en découdre avec l’Occident, il doit cette fois expliquer la gestion de cette crise sanitaire – la plus grave depuis celle du Sras en 2003- à la communauté internationale, mais surtout à ses concitoyens, qui se voient privés de vacances. Certes, les autorités ont pris le taureau par les cornes et multiplié les actions médiatiques et sanitaires, interdisant notamment les déplacements pour les régions les plus touchées, mais on ne peut pas interrompre la vie dans un pays de 1,4 milliard d’habitants.
Un coup dur pour l’image
Il s’agit d’un coup dur pour l’image du régime, qui doit faire face à un ralentissement économique évident, à une guerre commerciale avec les États-Unis loin d’être réglée en dépit d’un accord partiel avec l’administration Trump le 15 janvier, et à de graves problèmes à la périphérie, notamment dans la région administrative spéciale de Hong Kong (qui manifeste bruyamment son opposition à la formule « un pays, deux systèmes » depuis huit mois) et dans l’île autonome de Taïwan (laquelle vient de réélire triomphalement sa présidente pro-indépendance, Tsai Ing-wen).
La méthode Xi
La méthode Xi, qui depuis l’automne 2017 consiste à projeter une Chine conquérante, nationaliste et autoritaire, tant vis-à-vis des dissidents de tous ordres qu’à l’égard des pays étrangers, commence à se fissurer. Une fois la crise du 2019-nCoV passée, ce qui prendra de longs mois, l’heure des comptes viendra. Les oppositions pourraient bien s’exprimer au sein des instances comme de la population. Depuis plusieurs années, cette dernière a subi la reprise en main, observé les projets pharaoniques des « routes de la soie » et du plan « made in China 2025 » visant à faire du pays une puissance technologique capable de supplanter l’Occident, mais elle vient d’entrer dans une phase de grande inquiétude et de pessimisme qui rappelle l’époque du Sras. La lenteur avec laquelle les médias ont diffusé les nouvelles, l’opacité qui entoure les opérations sanitaires ne sont pas de nature à rassurer les Chinois, frustrés de ne pouvoir célébrer comme de coutume la plus importante fête traditionnelle chinoise. Le commerce risque lui-aussi de faire les frais de la situation.
Dans les semaines qui viennent, la réponse du gouvernement pour endiguer l’épidémie sera observée avec attention. Sur plan économique comme sur le plan sociétal, cette crise est un nouveau défi pour le parti communiste chinois, qui doit célébrer en 2021 son centième anniversaire.