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BANGKOK – ATTENTAT : Qui était visé ?

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 02/03/2016
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Cinq jours après l’explosion d’une bombe dans le centre de Bangkok (20 morts, dont 14 étrangers et plus de 140 blessés), suivie le lendemain d’une autre explosion près d’un ponton qui par miracle n’a pas fait de victimes, les autorités thaïlandaises, après avoir rapidement évoqué la thèse du terrorisme international, semblent aujourd’hui se tourner vers l’hypothèse d’une organisation interne cherchant à déstabiliser la junte militaire au pouvoir depuis le coup d’Etat de mai 2014. A l’heure où le suspect numéro 1 repéré par les caméras de surveillance est introuvable, de nombreuses questions restent en suspend quant aux motifs des assaillants, alors qu’aucun des deux attentats n’a été revendiqué.

 

C’est certainement cette absence de revendication qui a permis d’écarter rapidement l’une des premières hypothèses soulevées par les autorités au lendemain de l’attentat dans le centre de Bangkok : un acte de revanche contre la Thaïlande qui a expulsé, fin juin, une centaine de réfugiés ouïghours turcophones vers la Chine où ils sont persécutés et qui avait donné lieu au saccage du consulat de Thaïlande à Ankara. D’autant que les extrémistes ouïghours n’ont jamais auparavant été impliqués dans des attaques hors de la province chinoise du Xinjiang.

 

Le ou les assaillants ciblaient-ils les touristes chinois en particulier ?

 

Cette hypothèse a été vite écartée sur le principe que les lieux choisis ne sont pas spécialement fréquentés par des Chinois, qui représentent aujourd’hui la plus importante population de touristes étrangers du pays, avec plus de 4 millions de visiteurs en 2014. Le sanctuaire Erawan et sa représentation de Brahma, situé au croisement d’un carrefour très commerçant et touristique du centre de Bangkok, est vénéré par les Thaïlandais bouddhistes et les touristes asiatiques de toutes nationalités et confessions (les 14 victimes étrangères sont d’origine asiatique).

 

Le lieu est par ailleurs très vulnérable car peu surveillé et dégagé, contrairement aux centres commerciaux et au métro où un dispositif de dissuasion, bien que léger, est en place (détecteurs de métaux et ouverture des sacs). De même que la bombe jetée le lendemain depuis un pont sur une passerelle au bord du fleuve Chao Praya visait un passage très fréquenté par les touristes étrangers, mais aussi par de nombreux Thaïlandais qui traversent la rivière à cet endroit pour rentrer chez eux de l’autre côté du fleuve.

 

Les autorités ont également évoqué la préparation méticuleuse qui aurait mené à l’attentat du sanctuaire Erawan – et probablement à celui du pont de Sathorn par le même groupe, comme semble l’avérer les fragments de bombes repêchés – qui impliquerait plusieurs complices et l’appui d’un réseau de soutien et de logistique local. Ce qui écarterait les probabilités d’un acte de revanche rapidement monté, même si le royaume a la réputation d’être un « supermarché » d’armes de guerre utilisées lors des différents conflits politiques et dans le sud du pays où le combat entre séparatistes musulmans et le gouvernement de Bangkok a déjà fait plus de 6500 morts depuis 2004, pour la plupart des victimes civiles.

 

L’hypothèse qu’une ou plusieurs factions séparatistes veuillent étendre le conflit au-delà des trois provinces concernées en perpétuant des actes terroristes a aussi été écartée par le gouvernement. Le type de bombe et le modus operandi ne correspondraient pas à ceux habituellement utilisés dans le sud. La cible non plus, les séparatistes s’en prenant principalement aux militaires, aux fonctionnaires et aux civils à la solde du gouvernement. Certes, des moines bouddhistes sont également visés et des attentats dans des villes touristiques proches de la Malaisie, comme Songkla ou Hat Yai, ont déjà eu lieu, mais la cible choisie à Bangkok ne semble pas correspondre à celles privilégiées par les groupes séparatistes.

 

Quant à la théorie d’un acte mené par une organisation islamique terroriste régionale ou internationale, elle a aussi été écartée. Trop rapidement peut-être ?

 

Un nouveau Boston ?

 

Le gouvernement, et on peut s’en étonner, n’a pas évoqué la thèse d’un ou plusieurs individus sympathisants à la guerre menée par l’Etat Islamique, agissant de leur propre chef, à l’image de l’attentat du marathon de Boston perpétré par les frères Tsarnaev qui voulaient « terroriser » l’Amérique et qui n’étaient rattachés ou commandés par aucune organisation terroriste internationale.

 

Le fait que 10% des combattants de Daesh en Irak et en Syrie soient originaires d’Asie du Sud-Est selon certains analystes et que l’Asie du Sud-Est soit le principal vivier de recrutement des combattants de l’EI hors du Moyen-Orient, n’est pas anodin quand on sait qu’en Indonésie, en Malaisie ou aux Philippines, les principaux mouvements de l’Islam radical, comme Abou Sayyaf, dans le sud des Philippines, ou le Jemaah Islamiyah en Indonésie, ont déclaré allégeance à Daesh et veulent amener le Jihad en Asie du Sud-Est en créant leurs réseaux terroristes. Une menace qui pèse à travers les combattants revenus du Moyen-Orient, mais aussi des sympathisants qui agiraient, comme à Boston, de façon isolée mais déterminée.

 

La Thaïlande, jusque là épargnée par des actes de terrorisme islamique, est-elle la nouvelle victime du jihad mondial ? Le traitement des immigrés rohingyhas et ouïghours, le conflit séparatiste dans le sud sont-elles autant de raisons qui pourraient pousser des individus établis dans le royaume à se « venger » ? Si on peut admettre que le portrait robot du suspect diffusé par les autorités n’indique pas avec certitude s’il s’agit d’un étranger ou non, ou qu’il ne se soit pas déguisé, les témoignages des chauffeurs de tuk-tuk et de moto-taxi qui ont déposé l’homme au tee-shirt jaune avant et après l’attentat indiquent que ce dernier s’exprimait dans une langue étrangère et qu’il a utilisé un plan pour se diriger.

 

Des Thaïlandais derrière l’attentat ?

 

Les autorités n’ont aucun doute : le suspect n’a pas agi seul et a bénéficié de la complicité « d’une dizaine de personnes » en Thaïlande. C’est l’élément principal qui pousse aujourd’hui l’enquête vers les ennemis de la junte militaire qui a pris le pouvoir par un coup d’Etat en mai 2014. Qui sont-ils et que veulent-ils ?

 

Plusieurs pistes sont suivies. La première est celle d’un groupe d’individus radicalisés proches des Chemises rouges et du clan Shinawatra, chassés du pouvoir par les miliaires en 2006 et 2014. En février, deux bombes artisanales de faible puissance ont explosé au pied du Siam Paragon, un centre commercial situé à quelques centaines de mètres de l’attaque de lundi, ne faisant qu’un blessé léger. En mars, une grenade a été lancée devant l’entrée de la Cour Criminelle de Bangkok. Les deux suspects arrêtés peu de temps après seraient connectés à un réseau politique d’opposition et liés à l’attaque du Siam Paragon, sans que le gouvernement n’ait encore révélé pour qui ils ont agi.

 

Les attentats à Erawan et au pont de Sathorn seraient-ils liés à des cellules politiques qui ont perdu le pouvoir et qui cherchent à déstabiliser la junte militaire en montrant leur capacité de nuisance ?

 

Improbable, voire inimaginable que cette volonté de tuer sans distinction, dans un lieu de culte de surcroit, soit reliée directement à des organisations comme l’UDD (Chemises rouges) ou les Shinawatra eux-mêmes, qui mènent un combat politique contre l’establishment et sont soutenus en grande majorité par les classes pauvres du royaume. Ils ont fermement condamné les attentats, exhortant le Premier ministre à retrouver les coupables.

 

Mais l’hypothèse que des groupuscules radicaux thaïlandais anti-militaires et anti-royalistes soient prêts à tuer des innocents reste d’actualité, au regard des événements de ces dix derniers années où les conflits politiques ont attisé les haines et ont souvent fini par des bains de sang, faisant des dizaines de morts parmi les civils. Les six personnes tuées à l’intérieur du temple bouddhiste Pathumwanaram dans le même quartier en 2010 alors que l’armée donnait l’assaut contre les Chemises rouges retranchées à Ratchaprasong sont encore dans toutes les mémoires, comme les grenades jetées dans la foule lors des manifestations anti-Thaksin de 2008. Il est toutefois étonnant encore une fois qu’un étranger – si le suspect principal de l’attentat de lundi s’avère en être un – soit utilisé comme poseur de bombe par des commanditaires thaïlandais.

 

Enfin, comme l’a évoqué un correspondant de presse français basé à Bangkok et qui suit l’actualité politique depuis une vingtaine d’années, il n’est pas exclu qu’une faction au sein de l’armée ou de la police, écartée du pouvoir par Prayuth Chan-ocha, le Premier ministre et chef de la junte, soit derrière ces attentats.

 

La Thaïlande est aujourd’hui plongée dans une guerre interne féroce et triviale pour le contrôle du pouvoir et la perpétuation d’un système monarchique dominant. Depuis le coup d’Etat, Prayuth a placé aux postes clé du commandement militaire et du gouvernement des hommes de confiance, des militaires pour la plupart issus de la faction des « tigres de l’Est » rattachée au régiment de la Queen’s Guard, afin de consolider sa main mise absolue sur le pays, mais aussi sa domination dans l’armée pour les années à venir, quel que soit le prochain gouvernement élu, dans un pays où le contrôle du pouvoir militaire confère le contrôle sur le pouvoir politique et la protection des plus hautes institutions.

 

Cette hypothèse plongerait le royaume dans une guerre obscure et secrète au dénouement incertain.

 

A Bangkok, Philippe Plénacoste

 

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