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ASEAN – GÉOPOLITIQUE : Quel bilan de l’organisation régionale d’Asie du Sud-Est ?

Date de publication : 26/05/2023
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ASEAN - Birmanie

 

Avec ces «Réflexions doctrinales sur l’ASEAN», notre ami Ioan Voicu nous fait partager quelques analyses sur l’état actuel de l’organisation régionale, décisive pour l’avenir de l’Asie du Sud-Est face aux occidentaux et à la Chine.

 

Par Ioan Voicu

 

Le livre intitulé « The Elgar Companion to ASEAN » édité par Jörn Dosch et Frederick Kliem, publié en 2023 par Edward Elgar Publishing Limited à Northampton, Massachusetts, mérite d’être porté à l’attention des lecteurs de Gavroche, car il propose une discussion d’actualité sur l’ASEAN, pour examiner de manière critique les principales caractéristiques de cette organisation régionale, ses forces et faiblesses spécifiques, ses politiques, sa dynamique interne et ses relations extérieures.

 

Afin d’illustrer la riche nature multidimensionnelle de ce livre, il est utile de mentionner qu’il comporte 19 chapitres,(296 pages), écrits par des experts.

 

Avant d’aller présenter quelques réflexions sélectives inspirées de cet ouvrage très documenté, il convient de citer un constat formulé par le Dr Henry Kissinger, qui a fêté le 27 mai 2023 cent ans d’une vie pleine d’enseignements académiques, diplomatiques et activités gouvernementales. Il a affirmé que « Du point de vue de la sécurité, les nations d’Asie coexistent simultanément dans deux mondes différents. En ce qui concerne l’équilibre global de toute alliance de sécurité, elle s’est effondrée et sa place a été prise par l’ASEAN….—un groupement régional de coopération économique et politique dépourvu de fonctions de sécurité ».

 

Cette idée doit être interprétée à la lumière de la conclusion résumée dans la Préface – Réflexion du livre à l’étude par Ong Keng Yong, ancien Secrétaire général de l’ASEAN, selon laquelle « Il n’y a pas d’alternative à l’ASEAN, une organisation régionale intergouvernementale qui permet aux pays d’Asie du Sud-Est d’engager des puissances et des organisations extérieures. L’ASEAN doit concrétiser ses plans visionnaires pour réaliser une région ouverte, inclusive et pacifique pour assurer son avenir ».

 

Les commentaires de fond les plus précieux sur l’ASEAN sont signés par les deux éditeurs du livre, Jörn Dosch et Frederick Kliem. Selon eux, l’ASEAN est née en 1967 à une époque où les dirigeants politiques de la région avaient de bonnes raisons de croire que leurs pays souvent nouvellement indépendants pourraient être soumis à la tourmente de la confrontation Est-Ouest en général et de la guerre du Vietnam en particulier. « Les dirigeants de l’ASEAN ne voulaient pas voir l’émergence de rivalités répétées entre grandes puissances à leur porte ».

 

Considérations de fond

 

Il ne fait aucun doute que le régionalisme de l’Asie du Sud-Est a été considéré comme une forme particulière de coopération intergouvernementale (généralement qualifiée de « voie ASEAN »), caractérisée par des normes fondées sur la souveraineté, telles que l’intégrité territoriale, l’égalité, la non-ingérence dans les affaires intérieures d’autres États membres, la résolution pacifique des conflits et la prise de décision consensuelle.

 

Les auteurs pensent que l’ASEAN a été initialement conçue comme une aspiration et ce n’est qu’en février 1976 qu’un secrétariat central a été établi à Jakarta.

 

La Charte de l’ASEAN, qui est entrée en vigueur en décembre 2008, a représenté une étape importante dans le développement institutionnel de l’ASEAN. La Charte confère à l’ASEAN une personnalité juridique et établit une structure à part entière de l’ASEAN basée sur trois piliers communautaires : la Communauté politique et de sécurité de l’ASEAN, la Communauté économique de l’ASEAN et la Communauté socio-culturelle de l’ASEAN.

 

L’une des innovations les plus visibles introduites par la Charte de l’ASEAN est la plus grande fréquence des sommets de l’ASEAN, qui se tiennent deux fois par an depuis 2009 et peuvent être convoqués plus fréquemment si nécessaire. Les sommets ont lieu dans l’État membre qui occupe la présidence de l’ASEAN. Le 42e Sommet a eu lieu en Indonésie en mai 2023.

 

Une question importante posée par les auteurs du livre est : « L’ASEAN, en tant qu’acteur collectif, a-t-elle contribué, ou du moins contribué de manière décisive, au maintien de la paix et de la stabilité en Asie du Sud-Est » ? La réponse standard est : « L’ASEAN est une communauté de sécurité dans le sens où entrer en guerre avec un autre membre de l’ASEAN comme moyen de résoudre un problème semble peu probable – bien qu’un tel scénario ne puisse jamais être totalement écarté ».

 

Dans le domaine des affaires étrangères, les auteurs affirment que la première réalisation substantielle a été la mise en place des conférences post-ministérielles de l’ASEAN avec les « partenaires de dialogue » de l’organisation, qui comprennent aujourd’hui neuf États (Australie, Inde, Japon, Canada, Nouvelle-Zélande, Russie, Corée du Sud, États-Unis et République populaire de Chine) et l’Union européenne. L’ASEAN a signé des accords de partenariat stratégique avec les dix partenaires de dialogue. Avec la Chine, les relations ont été transformées en un « partenariat stratégique global ».

 

L’ASEAN est décrite et reconnue comme un acteur collectif performant sur la scène internationale. Les membres de l’ASEAN sont en mesure de négocier avec des pays tiers avec plus de confiance et de succès.

 

Considérée dans une perspective plus large, l’ASEAN est une « coalition politico-diplomatique vis-à-vis du monde extérieur ». Au sein des forums internationaux établis par l’ASEAN elle-même, mais aussi dans les organisations multilatérales en général, y compris les Nations Unies, l’ASEAN « amplifie la voix de ses États membres et renforce le pouvoir de négociation collective de ses membres en ce qui concerne un éventail d’agendas, y compris, mais sans s’y limiter à l’économie politique mondiale, à l’environnement et au changement climatique, et aux droits de l’homme ».

 

Dans le même temps, malgré la rhétorique officielle pro-neutralité de l’ASEAN, telle qu’elle se manifeste dans la Déclaration sur la zone de paix, de liberté et de neutralité de 1971, la realpolitik de l’Asie du Sud-Est a toujours accueilli favorablement un rôle et une présence américains forts dans la région, comme une contribution décisive au maintien de la paix et de la stabilité.

 

La Chine, bien sûr, est caractérisée comme “l’éléphant dans la pièce”. Il est expliqué que les relations entre la Chine et l’Asie du Sud-Est ont connu une transformation substantielle depuis l’époque de l’hostilité mutuelle basée sur et motivée par des clivages idéologiques profonds et la dynamique structurelle du début de la guerre froide jusqu’à un rapprochement prudent et progressif pendant l’ère post-Mao à, enfin, la pleine normalisation des relations depuis le début des années 1990.

 

Concrètement, l’accord de libre-échange ASEAN-Chine, entré en vigueur en 2010, est devenu une puissante métaphore du cadre économique gagnant-gagnant dans les relations Chine-Asie du Sud-Est.

 

En 1972, l’ASEAN a lancé un dialogue institutionnalisé avec la Communauté européenne de l’époque. Après cela, les relations se sont rapidement améliorées. Grâce à la fondation de la Réunion Asie-Europe (ASEM) en 1996, les relations ASEAN-UE ont été renforcées. Un problème sérieux dans la coopération UE-ASEAN reste la nature oppressive du régime militaire en Birmanie.

 

Dans l’ensemble, le rôle des acteurs européens en Asie du Sud-Est n’est pas négligeable. L’UE a souvent été considérée comme une puissance normative et douce dans la région. L’UE est allée au-delà du statut de partenaire économique le plus important de l’ASEAN et a “cherché à engager l’ASEAN de manière plus approfondie sur les questions de dialogue politique et de sécurité […] l’UE considère que sa propre prospérité est liée à la sécurité de l’Asie, voulant ainsi aller au-delà de l’économie et être reconnue comme un acteur politique et de sécurité important à part entière ».

 

Conclusion

L’ASEAN a développé un réseau de réunions régionales et mondiales qui impliquent aujourd’hui plus d’une douzaine d’acteurs mondiaux, dont les États-Unis, l’UE, le Japon et la Chine. Les dirigeants, ministres et hauts fonctionnaires d’Asie du Sud-Est rencontrent régulièrement leurs homologues de Washington, Pékin, Tokyo, Bruxelles, etc.  Les auteurs du livre estiment qu’aucun autre groupe de nations en dehors de l’Europe ne s’est jamais créé une position aussi favorable au sein du système international.

 

En 2009, les États-Unis ont signé un accord pour adhérer au Traité d’amitié et de coopération de l’ASEAN après 17 ans de réflexion, dans le but de renforcer les approches multilatérales de la sécurité régionale. Au total, 43 États, dont la France, ont désormais signé cet accord de 1976.

 

La lecture de ce livre sera essentielle pour les étudiants et universitaires en études asiatiques, relations internationales, économie politique et gouvernance. Il sera également bénéfique pour les décideurs politiques et les diplomates qui s’intéressent au multilatéralisme en Asie et au régionalisme en Asie du Sud-Est. Il contribuera grandement à une connaissance meilleure et plus nuancée de l’ASEAN, aidant les lecteurs à apprécier avec plus de compétence ses forces et ses faiblesses, et à faire avancer des attentes réalistes sur l’avenir de l’ASEAN.

1 COMMENTAIRE

  1. N’ayant pas encore pu lire ce livre dont Monsieur Ioan Voicu nous conseille fortement la lecture, l’approche de l’ASEAN, d’après le compte rendu qui nous est présenté, semble envisager l’organisation comme un ensemble “homogène” formant une unité, un bloc. Une telle approche, acceptable, risque d’être “hémiplégique”, unilatérale. On peut sans doute analyser l’Union Européenne avec un tel point de vue surtout si on s’en tient au cadre institutionnel et juridique ; il n’en existe pas moins des oppositions voire des conflits, des accords des convergences également. Ces dynamiques s’inscrivent dans des contextes d’acteurs extérieurs régionaux et internationaux. L’approche semble privilégier une approche “statique” peut être favorisée par une approche institutionnelle. La mise en perspective chronologique et la distinction des étapes dans l'”approfondissement” des institutions, parallèle aux “élargissements”, tend à minimiser les dynamiques propres aux acteurs, pays membres de l’organisation. Juste une impression à la lecture d’une note de lecture qui ne … remplace pas celle-ci que j’espère possible ….

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