Notre ami et chroniqueur Sam Rainsy garde un œil sur sa spécialité : les questions financières internationales. Il livre pour Gavroche une analyse nourrie des bourses régionales. A ne pas rater. Gavroche, votre plate-forme économique et financière !
Par Sam Rainsy
Il peut être intéressant d’examiner le comportement des Bourses des pays du Sud-Est asiatique parallèlement à leurs performances macro-économiques. On a désigné sous le vocable “tigres économiques” plusieurs pays de l’ASEAN qui ont connu une forte croissance au cours des dernières décennies, en particulier Singapour, la Malaisie, la Thaïlande et le Vietnam.
La Bourse d’un pays reflète généralement la santé de son économie. Parmi les dix pays de l’ASEAN, six possèdent une Bourse qui fonctionne selon les normes internationales : Singapour, la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam. La Bourse de Phnom Penh (Cambodge) est trop récente, trop petite et trop sujette à manipulation pour être prise en considération.
Au cours des décennies 2000 et 2010 les Bourses associées aux “tigres économiques” du Sud-Est asiatique avaient enregistré de brillantes performances, reflet des prouesses économiques des pays en question.
Mais il y a eu un tassement au cours des deux à trois dernières années (2020 à 2023) dû à la pandémie du Covid-19, au ralentissement de l’économie mondiale — les “tigres” asiatiques dépendent beaucoup de leurs exportations vers les marchés occidentaux — et à des problèmes spécifiques à certains pays de l’ASEAN qui relèvent essentiellement du domaine politique.
Depuis le début de cette année 2023 les Bourses du Sud-Est asiatique ont, dans leur ensemble, nettement sous-performé par rapport aux grandes places financières occidentales et japonaise.
Du 1er janvier au 31 août 2023, alors que les Bourses de New York (S&P 500), Paris (CAC 40), Francfort (DAX 40) et Tokyo (NIKKEI 225) ont progressé respectivement de 15%, 14%, 13% et 23%, voici les performances des places financières de l’ASEAN :
– Ho Chi Minh : + 19%
– Jakarta : + 1%
– Singapour : – 1%
– Kuala Lumpur : – 3%
– Bangkok : – 4%
– Philippines : – 6%
Sur la même période, la Bourse de Shanghai qui reflète la puissante économie chinoise, a fait pratiquement du surplace (+ 0,30%).
Dans cette morosité sud-est asiatique et chinoise qui tranche avec la belle reprise des Bourses occidentales et japonaise, seule la Bourse de Ho Chi Minh (couplée avec celle de Hanoï) a tiré son épingle du jeu avec une hausse de 19%.
Le cas du Vietnam mérite d’être examiné plus en détail car il est plein d’enseignements pour les financiers comme pour les politiques des autres pays.
Le cas particulier du Vietnam
Les mots clé dans le succès économique et financier de ce pays communiste de 100 millions d’habitants sont : réformes, effort de transparence dans la conduite des affaires publiques (lutte contre la corruption), éducation, technologie et mise en œuvre d’une politique basée sur une vision à long terme. Le tout peut se résumer par le vocable “bonne gouvernance”.
Peu après la guerre, c’est-à-dire dans les années 1980, le Vietnam a introduit des réformes économiques structurelles consistant à privatiser les terres, libéraliser l’économie, encourager l’investissement étranger et mettre en place une véritable économie de marché.
Il a su attirer d’une façon déterminante de très importants investissements directs de l’étranger dans des secteurs tels que l’agro-alimentaire, la mécanique, l’électronique, l’industrie pharmaceutique ainsi que dans les services. La composante technologique n’a cessé de croître, ce qui augmente continuellement la valeur ajoutée des productions, donc les salaires des ouvriers et le niveau de vie de la population.
Par comparaison, l’erreur du Cambodge sous Hun Sen sur la même période a été de rester essentiellement cantonné à une industrie de base (le textile), à faible valeur ajoutée, offrant de faibles salaires aux ouvriers et maintenant la population dans la pauvreté.
Sur les deux ou trois dernières années le Vietnam devenu l’allié des Etats-Unis face à la menace chinoise, a bénéficié à plein du transfert d’unités de production d’origine américaine jusqu’alors basées en Chine, vers d’autres pays d’Asie plus amicaux où les salaires sont encore relativement faibles. Ce transfert d’usines porte sur des industries de pointe à très forte valeur ajoutée et concerne des sociétés comme Apple, Texas Instruments et Motorola.
Le Cambodge de Hun Sen, quant à lui, paie très cher — en termes d’occasions ratées — le prix de son alignement sur la Chine en matière de politique étrangère.
Dans le secteur primaire le Vietnam a aussi réalisé des progrès impressionnants grâce à la privatisation et la modernisation des exploitations agricoles, une vaste politique d’irrigation, des progrès de productivité et des succès de marketing obtenus d’une manière hautement professionnelle.
En une quinzaine d’années, le Vietnam est devenu le premier producteur mondial de cacao, et le deuxième de café.
Par comparaison, l’agriculture au Cambodge, abandonnée à elle-même, va à vau-l’eau, pratiquement toutes les familles paysannes n’arrivant plus à joindre les deux bouts, se trouvant endettées jusqu’au cou et obligées d’envoyer des millions de leurs enfants en Thaïlande pour y survivre comme travailleurs migrants durement exploités.
Lutte contre la corruption et le népotisme
Prenant probablement Singapour comme modèle, le Vietnam se distingue par la lutte qu’il mène contre la corruption gouvernementale. Des lois sévères sont promulguées et appliquées qui punissent sévèrement, au moins pour l’exemple, ceux qui abusent des biens de l’État et des deniers publics. C’est tout le contraire des pratiques en vigueur au Cambodge où le pays est mis en coupes réglées par la famille Hun Sen.
Pour lutter contre le népotisme toujours très lié à la corruption, un règlement (portant le numéro 114) du Politburo du Parti Communiste Vietnamien interdit de nommer à un poste de chef ou chef-adjoint dans tout ministère ou service, toute personne qui aurait un parent occupant un poste équivalent dans le même ministère ou service. Au Cambodge où le népotisme est roi, l’application d’un tel règlement entraînerait l’effondrement du gouvernement et de toute l’administration.
La vision à long terme des responsables politiques et économiques vietnamiens se trouve dans les investissements qu’ils ont réalisés dans l’éducation et dans leurs propos portant sur les évolutions technologiques y compris l’intelligence artificielle générative.
A l’inverse, un dirigeant comme Hun Sen qui ne pense qu’à se maintenir au pouvoir à tout prix, pour lui puis pour ses enfants, ne peut pas avoir une vision à long terme pour son pays. Il ne peut s’agir pour lui que de survivre au jour le jour, ce qui veut dire naviguer à vue dans le seul but d’identifier et éliminer des ennemis réels ou imaginaires qui pourraient menacer son pouvoir.
La Bourse de Ho Chi Minh reste attrayante
Pour revenir à la Bourse, on peut dire qu’elle reflète la santé économique et financière d’un pays et aussi la perception que l’opinion publique peut avoir de la stabilité sociale et politique du pays en question.
Après sa forte reprise depuis le début de cette année (+ 19%) la Bourse de Ho Chi Minh est-elle devenue trop “chère” par rapport aux autres places financières? La réponse ici est non sachant que la valeur des actions anticipe les perspectives d’avenir des sociétés représentées par ces actions. Or les perspectives de croissance de nombreuses sociétés vietnamiennes, notamment dans les secteurs à forte composante technologique, sont encore loin de se refléter dans leurs cours boursiers.
Quand j’étais gestionnaire de portefeuilles de valeurs mobilières à Paribas Asset Management dans les années 1980, j’avais mis au point une méthode d’évaluation des actions qui est mentionnée dans un livre de référence de finance d’entreprise (le “Vernimmen” que les élèves d’HEC connaissent bien). Cette méthode consiste à intégrer méthodiquement et rigoureusement les perspectives bénéficiaires d’une entreprise pour apprécier le cours de son action. D’après cette approche beaucoup de sociétés vietnamiennes ne sont pas encore évaluées à leur juste prix à la Bourse de Ho Chi Minh.
Sam Rainsy
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