L’ancien ministre des finances du Cambodge, leader de l’opposition en exil, suit de très près l’épidémie de Covid 19 sous ses angles médicaux et géopolitiques. Gavroche a publié à plusieurs reprises ses analyses, très suivies et très commentées. Dans ce texte, Sam Rainsy livre un vibrant plaidoyer pour la création d’un «passeport immunitaire» Il s’en explique ici…
Une contribution de Sam Rainsy
Sur le plan du concept, le passeport ou certificat immunitaire relève du simple bon sens et devrait constituer un instrument précieux pour remettre le monde en marche en toute sécurité pendant la pandémie du Covid-19. En effet, ce document sanitaire permettrait d’identifier les personnes qui ne seraient ni infectées par le coronavirus ni contaminantes et qui seraient, par-dessus tout, à l’abri de la maladie contre laquelle elles seraient immunisées au moins pour un certain temps. Toutes ces personnes dont le nombre ira croissant avec le temps devraient obtenir ce document et pouvoir se remettre au travail, se livrer à leurs activités habituelles et voyager à leur guise sans faire courir aucun risque sanitaire pour la société.
Cependant, on ne peut ignorer les obstacles ou objections à l’adoption du passeport immunitaire. Ceux-ci se situent d’une part sur le plan des techniques et connaissances médicales, et d’autre part sur le plan psychologique et social.
Nous allons voir que ces obstacles et objections devraient s’atténuer jusqu’à disparaître avec le temps.
Tests sérologiques, anticorps et immunité
L’insuffisance à ce jour des techniques et connaissances médicales pour émettre le passeport immunitaire portent sur deux points: la précision et la fiabilité des tests sérologiques pour détecter la présence d’anticorps, et l’incertitude sur l’existence, la nature et la durée d’une immunité normalement acquise après un contact avec le coronavirus et l’apparition d’anticorps.
Les dernières informations indiquent que les tests sérologiques deviennent de plus en plus précis et de plus en plus fiables avec le nombre des “faux négatifs” (problème de sensibilité) et des “faux positifs” (problème de spécificité) qui tend vers zéro, c’est-à-dire vers la sécurité maximale. Ainsi la revue BioWorld du 5 mai rapporte que le Laboratoire suisse Roche vient de mettre au point et est prêt à distribuer sur une grande échelle un test sérologique se prévalant d’une sensibilité de 100% et d’une spécificité de 99,8%, tandis que le Laboratoire américain Abott vient de son côté de développer un test sérologique présentant une sensibilité et une spécificité supérieures à 99%, c’est-à-dire une fiabilité tout aussi rassurante et opérationnelle. Les deux sociétés indiquent que les anticorps contre le coronavirus sont détectables à partir de 14 jours après l’infection ou le début des symptômes. (1)
Quant à l’établissement d’une immunité à l’égard du Covid-19 associée normalement à l’apparition d’anticorps (notamment les immunoglobulines IgG), les plus récentes recherches sur une échelle significative rapportées par le New York Times du 7 mai confirment l’apparition d’anticorps chez pratiquement toutes les personnes ayant rencontré le coronavirus et, surtout, que ces anticorps conduisent effectivement à une immunité contre le Covid-19 même si le peu de recul disponible (environ trois mois) ne permet pas encore de déterminer la durée de cette immunité. Mais avec le plus grand recul qu’on aura avec le temps qui passe et grâce à de meilleurs échantillons permis par le nombre croissant des patients officiellement guéris du Covid-19 (ils sont déjà plus d’un million en Europe occidentale et Amérique du Nord), d’autres recherches ont toutes les chances de confirmer les résultats de ces premières études, à savoir l’apparition d’anticorps protecteurs après un contact avec le coronavirus et l’établissement concomitant d’une immunité plus ou moins durable (au-delà d’un an) contre la maladie. (2)
Problèmes psychologiques et sociaux
Sans remettre en cause l’utilité du passeport immunitaire, certains dénoncent ou redoutent les inégalités, distorsions sociales et multiples comportements abusifs que l’émission d’un tel document pourrait engendrer dans la société. Mais c’est comme si l’on rejetait l’usage de l’automobile sous prétexte qu’elle peut provoquer des comportements dangereux, causer des accidents, produire de la pollution et faire apparaître des inégalités sociales. Comme pour l’automobile, les problèmes associés au passeport immunitaire pourront être résolus par la réglementation, l’éducation et la responsabilité.
Concernant d’abord ce risque de créer une inégalité ou une ségrégation entre les titulaires et non-titulaires d’un passeport immunitaire, cette différenciation n’a rien à voir avec l’inégalité classique entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas des biens matériels (“haves” et “have nots”), en ce sens qu’il n’existe aucune barrière économique, sociale, institutionnelle ou même simplement psychologique entre les deux “groupes sanitaires” et que tout un chacun peut passer d’un groupe à l’autre (selon que l’on est immunisé contre le Covid-19 ou non). Il faut rappeler que jusqu’à 80% des personnes qui contractent le Covid-19 ne ressentent aucun symptôme et que 99,5% en guérissent au bout de quelques semaines au maximum. Donc les frontières entre les deux groupes sont invisibles et mouvantes.
Face à la pandémie du Covid-19, l’humanité — qu’on le veuille ou non — est divisée en deux groupes difficiles à distinguer entre eux à première vue: le groupe A qui n’a pas encore été touché par le coronavirus, et le groupe B qui a rencontré ce virus, l’a surmonté et s’en trouve immunisé au moins pendant un certain temps.
A l’échelle planétaire comme pour chaque pays, il est fondamental de connaître et suivre ces frontières mouvantes entre les groupes A et B pour bien gérer la pandémie sur le plan sanitaire, économique et social. Or seuls des tests sérologiques dont les résultats sont inscrits sur le passeport immunitaire, peuvent nous livrer cette information cruciale. Une réglementation adaptée permettra de résoudre les problèmes d’anonymat et de confidentialité comme pour les opérations de traçage pendant la pandémie. Le passeport immunitaire pourra mieux assurer le respect de la personne humaine que l’usage de chiens renifleurs pour détecter en public les porteurs du coronavirus. (3)
Changements rapides d’opinion
Grâce aux progrès enregistrés d’une part dans la précision et la fiabilité des tests sérologiques pour rechercher des anticorps, et d’autre part dans la détermination d’une réelle immunité contre le Covid-19 après l’apparition de ces anticorps — les avis et recommandations à propos du passeport immunitaire évoluent très rapidement.
Quelques jours après la publication le 27 mars dans The Geopolitics de mon article “How to prevent Covid-19 from paralysing the world’s economy” (4) dans lequel j’ai défini les bases du passeport immunitaire, plusieurs pays — dont l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Luxembourg — ont annoncé leurs projets d’émettre un tel passeport immunitaire sur la base de tests sérologiques à employer sur une grande échelle. (5)
Mais ces pays ont été vite refroidis dans leurs projets par la mise en garde de l’OMS en date du 24 avril déconseillant aux autorités publiques d’émettre des passeports immunitaires à cause des incertitudes mentionnées ci-dessus et des risques qu’elles peuvent engendrer. (6)
Une partie de ces incertitudes ont été levées après un rebondissement en Corée du Sud. Ce pays avait d’abord signalé que plusieurs centaines d’anciens malades du Covid-19 que l’on pensait guéris, avaient contracté à nouveau la maladie. Finalement, on a découvert que les tests virologiques utilisés pour conclure à une rechute avaient donné des résultats erronés et que les anciens malades étaient en fait bien immunisés (problème de “faux positifs” car les tests suggéraient la présence du virus alors qu’il ne s’agissait que de fragments de virus morts).
Les dernières informations soulignant la fiabilité des tests et la confirmation de l’immunité ne peuvent que consolider les projets et initiatives concernant le passeport immunitaire. Après le Chili, l’Estonie est le deuxième pays à adopter un tel document pour sortir du confinement. La mise en garde de l’OMS semble maintenant oubliée. The Telegraph reflète ce changement d’état d’esprit avec son article du 14 mai qui considère le passeport immunitaire comme un choix tellement évident qu’il devient “inévitable” pour permettre aux gouvernements d’ouvrir les frontières en toute sécurité. (7)
Mais la pression la plus forte pour l’établissement d’un passeport immunitaire ou de toute attestation de l’état immunologique de chaque personne viendra du public lui-même, comme le souligne l’article du Monde du 21 mai qui rapporte une “ruée sur les tests sérologiques pour savoir si l’on a été contaminé par le Covid-19”. (8)
A titre individuel, il n’y a rien de plus légitime que de vouloir savoir si l’on est déjà immunisé du Covid-19. Face à une inquiétude et une angoisse diffuses, une attestation d’immunité comme le passeport immunitaire procurerait un confort psychologique certain en même temps qu’une marge de liberté précieuse dans un monde appelé à rester confiné au moins partiellement pendant un certain temps encore, avec de nombreuses contraintes professionnelles et sociales.
Intérêt croissant
L’intérêt du passeport immunitaire ne peut que croître avec le temps qui permettra de déterminer avec certitude la durée réelle de l’immunité acquise. On est au moins pratiquement sûr maintenant que cette immunité dure au moins trois mois, la durée du recul dont nous disposons actuellement. De nouvelles études sur des populations plus grandes permettront probablement de confirmer une immunité d’une durée plus longue.
Mais d’ores et déjà, même un certificat de non-infection et de non-contagion d’une validité de trois mois est plus rassurant qu’un test virologique négatif. Ce dernier ne garantit pas que l’intéressé ne sera pas contaminé par le coronavirus le lendemain. Le seul moyen d’éliminer ce risque est de vérifier l’immunité de la personne par la présence d’anticorps dans son sang: c’est précisément l’information que donne le passeport immunitaire.
La garantie d’une immunité de trois mois certifiée par un passeport immunitaire à actualiser tous les trimestres ou par un document numérique pouvant être mis à jour continuellement, sera très utile pour une organisation rationnelle du monde du travail, pour l’exécution de tâches ou missions ponctuelles sans risque sanitaire et pour les voyages internationaux pour lesquels on pourra éviter les quarantaines imposées aux “suspects du Covid-19” par de nombreux pays aux visiteurs étrangers.
Sam Rainsy
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(1)BioWorld, 5 May 2020
“Roche discusses launch of newly approved serology test to detect COVID-19 “
(2)The New York Times, 7 May 2020
(3)Bloomberg, 16 May 2020
“Covid-19 Sniffer Dogs: The U.K.’s Latest Attempt to Tackle Virus “
4)The Geopolitics, 27 March 2020
“How to prevent Covid-19 from paralysing the world’s economy “
(5)The Telegraph, 29 March 2020
“Germany will issue coronavirus antibody certificates to allow quarantined to re-enter society “
(6)World Health Organization, 24 April 2020
“Immunity passports’ in the context of COVID-19 “
(7)The Telegraph, 14 May 2020
“Health passports ‘inevitable’ as governments seek to reopen borders “
(8)Le Monde, 21 mai 2020
“Coronavirus : ruée sur les tests sérologiques pour savoir si l’on a été contaminé par le Covid-19 “