Notre chroniqueur Ioan Voicu, professeur invité à l’université de l’Assomption et ancien ambassadeur de Roumanie en Thaïlande, connait de l’intérieur le système multilatéral mis en danger par la pandémie et l’égoïsme des États. L’occasion, donc, d’en prendre la défense dans les colonnes de Gavroche pour célébrer le 24 octobre, Journée des Nations Unies depuis 1945, date à laquelle la Charte des Nations Unies – l’acte de naissance de l’organisation mondiale – est entrée en vigueur.
Une chronique de Ioan Voicu, professeur invité à l’université de l’Assomption à Bangkok
En 2020, cette journée a été célébrée dans des circonstances sans précédent.
La pandémie du COVID-19 s’étend dans le monde entier, affecte tous les continents et tous les États, toutes les personnes, tous les domaines de la vie et les activités professionnelles, y comprise la diplomatie multilatérale sous les auspices du système des Nations Unies (ONU) fonctionnant actuellement principalement en ligne. La Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie et le Pacifique basée à Bangkok n’a pas pu organiser comme dans le passe la manifestation traditionnelle pour célébrer la Journée des Nations Unies.
Question fondamentale
En ces temps exceptionnels, la question fondamentale qui doit être posée aux / par les 193 États membres de l’organisation mondiale, tant au niveau mondial que régional, est la suivante: et ensuite ?
Une multitude de réponses ont été avancées lors du 75e débat général de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2020. Une note commune de toutes les réponses était la conviction qu’une solution mondiale efficace ne peut venir que de tous les membres de l’ONU travaillant ensemble.
Nous évoquerons dans ces pages quelques réponses sélectionnées du débat général de l’ONU pour leur pertinence évidente et leur contenu tourné vers l’avenir. Nous respecterons la terminologie originale utilisée dans les déclarations nationales diffusées en ligne.
Un idéal et un engagement partagé
L’Australie, l’un des membres fondateurs de l’ONU, a cité dans sa déclaration Doc Evatt (1894 – 1965), ministre des Affaires extérieures des années 1940, qui en 1948-1949 était président de l’Assemblée générale des Nations Unies et présidait la réunion au cours de laquelle la Déclaration universelle des droits de l’homme a été adoptée. Doc Evatt s’est battu en 1945 pour une représentation plus juste des petits États dans l’organisation mondiale. Selon sa thèse, d’actualité aujourd’hui, aucun État souverain, aussi petit soit-il, ne voudrait penser que son destin a été remis à une autre puissance, aussi grande soit-elle.
L’Indonésie, le plus grand membre de l’ASEAN, a affirmé en septembre 2020 que l’ONU devrait continuer à s’améliorer grâce à des réformes, par sa revitalisation et l’efficacité et à prouver que le multilatéralisme est efficace, en particulier en temps de crise. L’ONU n’est pas un simple bâtiment dans la ville de New York. Il représente un idéal et un engagement partagé de toutes les nations pour réaliser la paix et la prospérité mondiales pour les générations futures. Le multilatéralisme est le seul moyen de garantir l’égalité.
L’avis de la Thaïlande
De l’avis de la Thaïlande, l’ONU a symbolisé la solidarité et la coopération et a inspiré l’humanité du monde à faire confiance à l’unité des objectifs de ses États membres dans la construction de la paix et du bien-être pour tous les peuples de la terre. Chaque pays doit renouveler sa confiance dans la coopération internationale, qui doit rester inébranlable et ne pas être ébranlée par des sentiments nationalistes ou des tendances anti-mondialisation. Au lieu de cela, l’ONU devrait motiver tous les pays à s’unir pour surmonter ensemble le COVID-19.
Vers une coexistence pacifique ou une barbarisation ?
De l’avis de l’Inde, pays de 1,3 milliard d’habitants, dans une évaluation objective de la performance de l’ONU au cours des 75 dernières années, “nous constatons plusieurs réalisations remarquables.Mais, en même temps, il y a aussi plusieurs exemples qui indiquent la nécessité d’une sérieuse introspection des travaux de l’ONU. On pourrait dire que nous avons réussi à éviter une troisième guerre mondiale. Mais nous ne pouvons pas nier qu’il y a eu plusieurs guerres et bien d’autres guerres civiles. Plusieurs attaques terroristes ont secoué le monde et avec des fleuves de sang ….. Des centaines et des milliers d’enfants, qui auraient enrichi ce monde de leur présence, nous ont quittés prématurément. De nombreuses personnes ont perdu toute leurs économies et sont devenues des réfugiés sans abri “.
Dans la même déclaration indienne, il a été rappelé: «Au cours des 8 à 9 derniers mois, le monde entier a lutté contre la pandémie du COVID-19. Où est l’ONU dans cette lutte commune contre la pandémie? Où est sa réponse efficace? “
Il convient de rappeler qu’au milieu des années 50, Jawaharlal Nehru, Premier ministre de l’Inde, a avancé une doctrine de sécurité mondiale tournée vers l’avenir. Il a estimé qu’en employant la diplomatie conformément aux «cinq principes» de la coexistence pacifique, les gouvernements pouvaient établir des «zones de paix» et parvenir à une «paix collective».
Que s’est-il passé en réalité ?
Pour une réponse réaliste, nous citerons Angelo Baracca, professeur d’université et physicien nucléaire italien, qui a remarqué dans un article intitulé The Precipitous Barbarisation of Our Times que la guerre est devenue le moyen de conquérir et / ou de contrôler les zones stratégiques de la planète. Une telle pratique «viole le droit international et l’éthique. Les organisations internationales abdiquent leur rôle fondamental ».
Sa conclusion est prophétique: «Il faut absolument arrêter la barbarisation des relations internationales, avant qu’il ne soit trop tard. Ce nouveau siècle doit se développer et adopter une nouvelle renaissance, basée sur la justice et la croissance civile, la libération de la domination des intérêts économiques purs et du profit, et le dépassement du libéralisme sauvage. ».
Quel pourrait être le rôle de l’ONU dans ce processus complexe et responsable en tant qu’antidote institutionnel à la barbarisation, concept déjà utilisé dans le vocabulaire diplomatique?
La non-relevance de l’ONU n’est pas une option
La France, par la voix de son président, Emmanuel Macron, a formulé un diagnostic lucide en se référant à la position onusienne à l’époque du COVID-19: « Notre organisation elle-même a couru le risque de l’impuissance. Le Conseil de sécurité des Nations unies, garant de la paix et de la stabilité, est difficilement parvenu à s’entendre sur une trêve humanitaire que nous avons soutenue de toutes nos forces. Imaginez-le. Avoir tant de mal à nous accorder sur si peu. Mais ses membres permanents n’ont pas pu, en des circonstances aussi exceptionnelles, se réunir comme nous l’aurions voulu, parce que deux d’entre eux ont préféré à l’efficacité collective l’affichage de leur rivalité. Toutes les fractures qui préexistaient à la pandémie, le choc hégémonique des puissances, la remise en cause du multilatéralisme ou son instrumentalisation, le piétinement du droit international, n’ont fait que s’accélérer et s’approfondir à la faveur de la déstabilisation globale créée par la pandémie. ».
De nombreux universitaires et diplomates considèrent que l’ONU est en train de devenir irrelevante. Sensible à cette réalité, la Finlande a observé que «précisément lorsque la demande de solutions mondiales augmente, notre capacité à les fournir s’affaiblit. Le multilatéralisme souffre à la fois du nationalisme tourné vers l’intérieur et de la concurrence des grandes puissances. Les institutions que nous avons construites ensemble depuis des décennies sont soumises à une pression croissante. Les accords, normes et principes internationaux sont de plus en plus remis en question et interprétés de manière à affaiblir à la fois leur potentiel et leur légitimité ».
Un modèle remarquable
De nombreux pays ont déclaré qu’à 75 ans la Charte des Nations Unies,- traité multilatéral en vigueur,- demeure un modèle remarquable pour un monde pacifique. Mais une condition impérative doit être matérialisée.
Conformément à l’article 2 de la Charte des Nations Unies, «Les Membres de l’Organisation, afin d’assurer à tous la jouissance des droits et avantages résultant de leur qualité de Membre, doivent remplir de bonne foi les obligations qu’ils ont assumées aux termes de la présente Charte.» Il s’agit essentiellement d’une expression institutionnelle du principe fondamental Pacta sunt servanda ou, dans un langage plus explicite, “tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi.”
Cependant, la réalisation de cette condition dépend elle-même de la solidarité mondiale en tant que valeur universelle proclamée par l’ONU le 8 septembre 2000 dans la Déclaration du Millénaire des Nations Unies et fréquemment rappelée à l’époque actuelle de vulnérabilités, de perplexités et de discontinuités mondiales.
Le plus grand test de solidarité
Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a fermement averti que «la pandémie COVID-19 est le plus grand test de solidarité mondiale depuis des générations …… La solidarité est l’intérêt personnel. Il est essentiel de saisir cette vérité du XXIe siècle pour mettre fin à cette crise et en sortir ensemble plus sûrs, plus intelligents et plus forts ».
Ce n’est pas nouveau. Le 19 février 2000, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a adopté par consensus un document intitulé “Déclaration de Bangkok: dialogue mondial et engagement dynamique” qui contient des dispositions pertinentes, entièrement d’actualité et applicables pendant les périodes COVID-19. Ce premier document programmatique du XXIe siècle souligne notamment que ” La solidarité et un sens aigu de responsabilité morale doivent inspirer la politique nationale et internationale. Ce sont non seulement des impératifs éthiques, mais aussi les préalables indispensables à un monde prospère, pacifique et sûr, fondé sur un véritable partenariat”.
Une valeur universelle
La principale raison pour laquelle la solidarité est traitée comme une valeur universelle et est considérée comme un intérêt personnel peut être expliquée par la doctrine de l’ONU elle-même, selon laquelle la paix est la valeur suprême de l’humanité et est résumée à juste titre par Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II comme «Opus solidaritatis pax» (la paix comme fruit de la solidarité).
L’ONU a commencé son existence avec 51 membres fondateurs et avec sa composition actuelle de 193 membres a atteint son universalité quantitative. Si en tant que centre de la famille humaine, l’ONU fait preuve de véritable maturité diplomatique en donnant tangibilité à la solidarité mondiale, un pas de géant pourrait être réalisé vers une authentique universalité qualitative qui reste toujours comme un idéal sur la liste d’attente.
Reconstruire en mieux
Enfin, tous les États membres de l’ONU doivent être attachés à la Déclaration faite à l’occasion de la célébration du soixante-quinzième anniversaire de l’Organisation des Nations Unies, document A/RES/75/1 ,adoptée par consensus le 21 septembre 2020.C’est un document programmatique qui souligne entre autres que «La pandémie de COVID-19 est venue nous rappeler violemment que nous sommes comme les maillons d’une chaîne : du maillon le plus faible dépend la force du tout. Ce n’est qu’en travaillant ensemble et en faisant preuve de solidarité que nous pourrons venir à bout de la pandémie et nous attaquer efficacement à ses conséquences. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons gagner en résilience face à de nouvelles pandémies et à d’autres défis mondiaux. Le multilatéralisme n’est pas une option : c’est une nécessité, alors que nous essayons de reconstruire en mieux pour faire advenir un monde plus égal, plus résilient et plus durable. L’Organisation des Nations Unies doit être au centre de nos efforts”.
Le Secrétaire général de l’ONU doit rendre compte en 2021 de la mise en œuvre de la Déclaration susmentionnée.
Le Dr Ioan Voicu est professeur invité à l’Université de l’Assomption à Bangkok.
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