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ASIE – COVID : Les facteurs génétiques expliquent en partie la mortalité liée au Covid

Journaliste : Sam Rainsy
La source : Gavroche
Date de publication : 25/08/2021
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Dans deux articles parus dans Gavroche en 2020, le premier intitulé “Pourquoi la péninsule indochinoise est-elle (relativement) épargnée par le Covid-19 ?”(13 mai) et le deuxième “Les secrets de l’hémoglobine E, ce possible rempart contre le Covid 19” (18 mai), notre ami et chroniqueur Sam Rainsy a formulé l’hypothèse d’une influence favorable du paludisme et de l’hémoglobine E sur les taux de mortalité liés au COVID-19 qui sont relativement faibles dans le Sud Est Asiatique. Il revient sur ce sujet. A lire avec attention en cette période de doutes tous azimuts.

 

Une chronique de Sam Rainsy

 

On constate que le nombre de décès par million d’habitants dus à cette nouvelle maladie sont très variables d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre, d’un groupe ethnique à l’autre. Alors qu’il dépasse 3000 pour les pays les plus atteints sur les continents européen et américain, ce nombre reste à ce jour inférieur à 300 pour le Cambodge, la Birmanie, le Laos, la Thaïlande, le Vietnam.

 

Sous-estimation du nombre des victimes ?

 

Même s’il peut y avoir une sous-estimation du nombre des victimes dans beaucoup de pays pauvres et sous-administrés, le contraste n’en demeure pas moins saisissant. Les conditions géographiques, climatiques, démographiques, économiques et sociologiques ne peuvent pas expliquer à elles seules un tel écart. Il doit y avoir des facteurs génétiques spécifiques qui entrent en jeu pour protéger, dans une certaine mesure, ces populations du Sud-Est Asiatique du COVID-19.

 

Confirmation scientifique

 

Les dernières recherches scientifiques tendent à confirmer cette hypothèse.

 

Les êtres humains ne sont pas égaux devant les maladies. A la question “Sait-on pourquoi, chez un individu, la résistance à une maladie apparaît ou n’apparaît pas ?”, le professeur Jean Dausset, prix Nobel de médecine 1980 pour ses travaux sur le génome humain, répond: “L’explication est uniquement génétique. Dans toute épidémie, une part de la population est résistante, ce qui amène à l’extinction de l’épidémie, car il n’y a plus personne à tuer…”. Pour mieux illustrer sa pensée, Jean Dausset rappelle l’histoire de la peste et le dicton: “Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés…” (Extrait de “La Mosaïque Humaine”, par Jean Bernard et Jean Dausset, Calmann-Lévy, Janvier 2000, page 202).

 

Après l’apparition des premiers ravages causés par le COVID-19 sur tous les continents, j’ai été amené à faire un certain nombre d’observations et de suppositions en partant de la situation dans mon pays d’origine, le Cambodge. J’ai pu ensuite étendre ces observations et suppositions aux pays voisins. Tous les cinq pays de la péninsule indochinoise cités plus haut semblaient en effet relativement protégés du COVID-19 puisque, jusqu’en février 2021, ils n’avaient enregistré qu’un nombre insignifiant de décès – ou pas de décès du tout – en relation avec cette nouvelle maladie, alors que le reste du monde déplorait déjà un nombre considérable de morts.

 

Traits génétiques communs

 

Que pouvait-il y avoir de commun entre ces cinq pays pour les protéger ainsi – même d’une manière toute relative – du COVID-19 ?

 

Cette question m’a entraîné sur un terrain inattendu: l’hématologie géographique. “Hématologie géographique”, c’est le titre d’un ouvrage publié en 1966 par deux éminents hématologues français, les professeurs Jean Bernard (considéré comme le père de l’hématologie moderne) et Jacques Ruffié. Combinant leurs connaissances en histoire, géographie, archéologie, hématologie et génétique, les auteurs ont montré que de nombreuses populations du Sud-Est Asiatique étaient porteuses de l’hémoglobine E (HbE) qui est une caractéristique génétique des populations descendant de l’Empire Khmer dont l’apogée se situe aux 12ème et 13ème siècles. Cet Empire s’est étendu géographiquement sur la totalité ou au moins une partie des cinq pays en question. Le Cambodge actuel, berceau de l’Empire Khmer, est le pays où la population est la plus largement porteuse de l’hémoglobine E que l’on retrouve dans jusqu’à 62% des habitants, contre 53% pour le Laos et la Thaïlande, 42% pour la Birmanie (Myanmar) et 35% pour le Vietnam.

 

Jean Bernard qui a été président de l’Académie de Médecine a écrit: “La géographie de l’hémoglobine E et la géographie des monuments de l’art khmer sont à peu près superposables. Cette homologie est très remarquable. Les limites de l’ancien Empire khmer étaient jusqu’à présent définies par l’archéologie. Elles peuvent aujourd’hui être définies par l’hématologie. Les limites sont à peu près les mêmes.”

 

Deux éléments à noter : l’hémoglobine E et le paludisme

 

A partir de là, je relève deux éléments importants:

 

1- L’hémoglobine E est un facteur de sélection naturelle qui a protégé les populations porteuses contre les formes les plus graves du paludisme, une maladie endémique qui sévit dans notre région depuis la nuit des temps.

 

2- Il y a des ressemblances pathogénésiques frappantes entre le paludisme et le COVID-19, surtout quand on examine les symptômes les plus graves communs aux deux maladies: septicémie mortelle à partir d’une “tempête cytokinique”; formation de caillots de sang conduisant à des thromboses, embolies pulmonaires et accidents vasculaires cérébraux; complications graves touchant plusieurs organes vitaux en même temps (cerveau, poumons, reins).

 

Je me suis alors posé la question: “Si l’hémoglobine E a pu protéger ses porteurs contre les formes les plus graves du paludisme, ne pourrait-elle pas les protéger aussi contre les formes les plus graves du COVID-19 qui se manifestent de manière presque identique ?”

 

A propos du paludisme, on peut faire des constatations intéressantes dans d’autres pays ou régions du monde, à savoir que les zones impaludées de manière endémique semblent beaucoup mieux résister au COVID-19 que les zones qui ne le sont pas. C’est notamment le cas de la partie centrale du continent africain (zone subsaharienne) impaludée qui résiste mieux au COVID-19 que les parties septentrionale et méridionale du continent non impaludées.

 

Le cas de l’Afrique (et aussi celui de certaines régions de l’Inde) conduit à penser qu’une forme d’immunité contre le paludisme pourrait protéger aussi du COVID-19, ou du moins contre ses formes les plus graves. Cette protection tiendrait à une forme d’immunité héréditaire qui se manifeste par des variantes spécifiques (HbE, HbC et HbS) de l’hémoglobine relevées chez les populations vivant dans les zones impaludées. Ces variantes particulières et héréditaires de l’hémoglobine contenue dans les globules rouges permettraient une meilleure résistance à l’agent pathogène du paludisme, un parasite du genre Plasmodium qui s’attaque précisément à ces globules rouges.

 

Des études scientifiques récentes parues cette année semblent confirmer les hypothèses formulées plus haut, aussi bien sur le rôle protecteur de l’hémoglobine E que sur la possibilité d’une immunité croisée partielle entre paludisme et COVID-19.

 

Étude mettant en lumière le rôle protecteur de l’hémoglobine E

 

“A Southeast Asian Perspective on the COVID-19 Pandemic: Hemoglobin E (HbE)-Trait Confers Resistance Against COVID-19”, que l’on pourrait traduire par “La pandémie du COVID-19 vue du Sud-Est Asiatique: l’hémoglobine E héréditaire confère une résistance contre le COVID-19”.

 

On peut lire dans cet article: “Des données surprenantes ont été collectées qui montrent une faible incidence du COVID-19 – avec en majorité des cas modérés, non mortels – en Thaïlande et dans les pays voisins du Sud Est Asiatique. Cette situation peut être due à des facteurs génétiques semblables que partagent les populations de cette région. Parmi ces facteurs génétiques communs figurent plus de 60 sortes de thalassémies (anomalies héréditaires de l’hémoglobine, pas forcément pathologiques), en particulier l’hémoglobine E. Le nombre d’infections et de décès dus au COVID-19 apparaît inversement proportionnel à la prévalence de l’hémoglobine E. La protection naturelle que confèrent l’hémoglobine E et les autres formes de thalassémie contre le paludisme et le virus de la dengue, peut s’étendre pour induire aussi une immunité contre le COVID-19. Chez le porteur de l’hémoglobine E le système immunitaire se module pour induire une réponse antivirale sous la forme d’interféron ayant pour effet d’inhiber la pénétration cellulaire et la réplication virale.”

 

Études mettant en lumière la relation entre COVID-19 et paludisme

 

1- “How Genetics Might Explain the Unusual Link Between Malaria and COVID-19” ou “Comment la génétique pourrait expliquer le lien inattendu entre paludisme et COVID-19”.

 

Partant de l’observation faite en Italie montrant que les régions présentant le moins de cas de COVID-19 sont celles qui ont le plus souffert du paludisme au début des années 1900, cette étude explore la possibilité d’une corrélation inverse entre paludisme et COVID-19. Certaines caractéristiques génétiques qui donnent un avantage reconnu contre le paludisme peuvent aussi jouer un rôle bénéfique dans l’incidence et la sévérité des cas de COVID-19. On peut citer notamment le récepteur ACE2 sur la membrane cellulaire qui ouvre la voie à l’infection par l’agent pathogène (Plasmodium falciparum pour le paludisme, SARS-CoV-2 pour le COVID-19).

 

D’autres mécanismes plus complexes de la réponse immunitaire impliquant les lymphocytes B et T rapprochent encore plus le paludisme du COVID-19 et conduisent à penser qu’une accoutumance au premier peut conduire à une immunité partielle au deuxième.

 

2- “SAR S-CoV-2 and Plasmodium falciparum common immunodominant regions may explain low COVID-19 incidence in the malaria-endemic belt” ou “Des traits génétiques associés à la réponse immunitaire communs au SARS-CoV-2 et au Plasmodium falciparum ;peuvent expliquer le faible impact du COVID-19 dans les régions impaludées”.

 

Ces traits génétiques communs sont notamment les “épitotes immunodominants” qui sont eux-mêmes des fragments de l’agent infectieux constitués de molécules protéiques qui servent d’élément de reconnaissance pour le système immunitaire.

 

Conclusion

 

Mes observations et suppositions à propos du rôle protecteur de l’hémoglobine E contre le COVID-19 et concernant une possible immunité croisée entre le paludisme et le COVID-19, commencent à trouver un début de validation scientifique.

 

D’autres études à venir pourront abonder dans le même sens, auquel cas nous aurons de nouvelles bases pour mettre au point des traitements plus efficaces contre le COVID-19 et pour mettre en place des politiques de santé publique permettant de mettre plus vite un terme à la pandémie.

 

Sam Rainsy

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