Notre collaborateur et chroniqueur Ioan Voicu suit de très prés l’actualité multilatérale. Difficile, ces temps ci, de ne pas voir le recul des institutions des Nations unies. Est il fatal ? Non répond l’ancien ambassadeur de Roumanie en Thaïlande. Bien au contraire. Surtout pour l’intérêt des pays du sud
Une chronique de Ioan Voicu, ancien ambassadeur de Roumanie en Thaïlande, professeur invité à l’université de l’Assomption (Bangkok).
L’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) examine chaque année la coopération Sud-Sud. Malheureusement, le thème de cette coopération continue d’être absente dans l’agenda des médias grand public. Aucune attention n’a été accordée aux déclarations d’Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’ONU, qui dans son rapport intitulé « Responsabilité partagée, solidarité mondiale : Réagir aux impacts socio-économiques du COVID-19 » a souligné que « plus que jamais, nous avons besoin de solidarité, d’espoir, de volonté politique et de coopération » pour lutter ensemble contre cette crise. Les principes de coopération Sud-Sud de solidarité et d’empathie sont plus que jamais nécessaires pour une réponse efficace et une reprise après la pandémie ».
Un rapport significatif
Selon le Secrétariat de l’ONU, le meilleur exemple de solidarité entre les pays est offert par la coopération Sud-Sud.
Le document officiel le plus récent sur cette coopération est le Rapport du Comité de haut niveau pour la coopération Sud-Sud, Vingtième session (1er – 4 juin 2021), qui est sorti le 20 août. Cette session a réuni de nombreux pays asiatiques, dont entre autres : Afghanistan, Cambodge, Chine, Inde, Indonésie, Iran, Japon, Malaisie, Népal, Ouzbékistan, Pakistan, Philippines, République de Corée, Thaïlande, Timor-Leste.
Ce rapport est détaillé de 34 pages. Nous limiterons notre analyse dans cet article à souligner les principaux constats, considérations, propositions qui sont spécifiquement liés à la valeur de la solidarité, compte tenu de son rôle fondamental dans la promotion de la coopération aux niveaux régional, interrégional et mondial.
Comme les noms des pays participants aux débats ne sont pas mentionnés dans le rapport, la même pratique sera respectée dans cet article. Nous suivrons strictement la terminologie originale de la version française du rapport.
Dans la Décision 20/1 intitulée Coopération Sud-Sud, le Comité de haut niveau s’est référé en premier lieu au Programme de développement durable à l’horizon 2030 qui réaffirme la volonté politique résolue de faire face aux problèmes de financement et de créer, à tous les niveaux, un environnement propice au développement durable, dans un esprit de partenariat et de solidarité planétaires.
Actualité de la solidarité
Dans ce contexte institutionnel il est logiquement réaffirmé dans le préambule de la décision que la coopération Sud-Sud est un élément important de la coopération internationale pour le développement. Cette coopération vient compléter la coopération Nord-Sud, mais ne s’y substitue pas.
Le Comité de haut niveau est conscient de l’importance de cette coopération, de ses différences sur le plan historique et de ses particularités, qu’elle devrait être considérée comme une manifestation de la solidarité entre les peuples et pays du Sud, fondée sur leurs expériences et objectifs communs. Elle devrait continuer d’être régie par les principes de souveraineté nationale, d’appropriation et d’indépendance nationales, d’égalité, d’absence de conditions, de non-ingérence dans les affaires intérieures et d’intérêt mutuel.
Le Comité de haut niveau a exprimé une vive préoccupation que la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19) fait peser une menace sur la santé, la sécurité et le bien-être, qu’elle entraîne de grands bouleversements pour les sociétés et les économies , qu’elle a des conséquences désastreuses pour la vie et les moyens d’existence des populations et que ce sont les plus pauvres et les plus vulnérables qui sont les plus touchés.
Une conclusion importante de la décision susmentionnée est la suivante : l’interdépendance accrue sur le plan mondial qui résulte de la pandémie de COVID-19 appelle d’urgence une solidarité et une coopération internationale renforcée, notamment au moyen de la coopération Sud-Sud et de la coopération triangulaire avec le Nord représenté par les pays développés.
Une idée commune mise en évidence a été résumée dans le rapport dans les termes suivants : « la coopération Sud-Sud était plus importante que jamais, car le besoin de solidarité, de multilatéralisme, de partenariats et de coopération régionales se faisait davantage sentir face à des crises mondiales dévastatrices telles que la pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) et les changements climatiques ».
Cette idée a été approfondie par de nombreuses délégations qui ont estimé que le principe de solidarité qui sous-tendait la coopération Sud-Sud avait apporté de nombreux bienfaits aux pays en développement pendant la pandémie. Une délégation a rappelé que les formes existantes de coopération Nord-Sud avaient abandonné les pays en développement à eux-mêmes, ce qui avait incité son pays à aider, dans un esprit de solidarité, 150 autres pays en développement en faisant don de médicaments, de matériel médical et de fournitures connexes. Son gouvernement avait distribué des vaccins jusque dans les pays les plus vulnérables dans l’esprit de la coopération Sud-Sud.
Aspects politiques
Les aspects politiques de la coopération n’ont pas été ignorés et sont bien reflétés dans le rapport. Ainsi, une délégation a souligné que la lutte contre la crise sanitaire mondiale et ses multiples conséquences passaient par une volonté politique concertée, la solidarité et la coopération. Ainsi, la coopération entre pays du Sud devait passer à l’échelle supérieure, renforcer ses ambitions, faire un saut qualitatif et devenir plus efficace.
Une autre délégation a fait valoir que pour se relever de la pandémie, il faudra renforcer la coopération et la solidarité internationale. Pour ce faire, il faut déclarer les vaccins anti-COVID-19 biens communs de l’humanité et débloquer les ressources financières nécessaires pour assurer un accès et une distribution équitable à tous les peuples du monde, tout en développant les capacités de garantir leur production et leur distribution dans les pays en développement.
Engagements renouvelés
À cet égard, mettant en avant leur engagement renouvelé en faveur du multilatéralisme, de nombreuses délégations ont noté qu’on ne pouvait trouver de solution aux crises mondiales, y compris la pandémie et les changements climatiques, si les pays agissaient chacun de leur côté. Une délégation a fait référence à Nicolae Titulescu, diplomate roumain du XXe siècle élu par deux fois président de l’Assemblée de la Société des Nations, qui avait affirmé que des épreuves naissait la véritable fraternité des nations. Elle a donc estimé qu’en cette période d’épreuves, seule une solidarité totale entre les pays permettra de vaincre la pandémie à l’échelle mondiale et d’atteindre les objectifs de développement durable.
Des demandes spécifiques ont été formulées. Plusieurs délégations ont demandé aux pays développés d’honorer leurs engagements en matière d’aide publique au développement afin d’aider les pays en développement à lutter contre la pandémie et à mettre en œuvre le Programme 2030 et l’Accord de Paris sur les changements climatiques. Faisant référence au document final de Nairobi adopté par la Conférence de haut niveau des Nations Unies sur la coopération Sud-Sud, certaines délégations ont réaffirmé que la solidarité Sud-Sud ne devait pas servir de justification aux pays développés pour ne pas honorer leurs engagements en matière d’aide publique au développement et de transfert de technologies et de renforcement des capacités.
Rôle des Nations Unies
Comme prévu, de nombreuses délégations ont mis en exergue le rôle du système des Nations Unies pour le développement dans la promotion de la coopération Sud-Sud et de la coopération triangulaire et se sont félicitées de la stratégie relative à la coopération Sud-Sud et à la coopération triangulaire au service du développement durable élaboré à l’échelle du système des Nations Unies. Les délégations se sont largement accordées pour dire que l’ONU devait jouer un rôle de premier plan dans la promotion de la coopération Sud-Sud, car le multilatéralisme était le seul moyen de relever les défis communs et que la solidarité mondiale et le multilatéralisme étaient nécessaires à la résilience et au relèvement et pour pouvoir reconstruire en mieux dans une démarche plus verte.
Certains représentants d’Asie ont affirmé qu’au niveau des Nations Unies, les défis posés par la pandémie avaient donné lieu à de nouvelles formes et expressions de solidarité. La coopération Sud-Sud était une forme de coopération efficace qui occupait une place de plus en plus grande. Au cours de l’année écoulée, les difficultés qui s’étaient fait jour avaient montré le besoin crucial de coopération Sud-Sud. Par exemple, les pays en développement n’avaient reçu que 0,3 % des doses de vaccin contre la COVID-19, alors que c’était là que vivait la majorité de la population mondiale. Il était évident que le modèle de coopération Nord-Sud s’essoufflait à cause de la réticence de certains pays du Nord à jouer le rôle qui leur revenait ; à titre d’exemple, seuls six pays développés avaient honoré leur engagement de fournir 0,7 % de leur revenu national brut aux pays en développement.
L’ensemble du rapport conduit à la conclusion générale qu’il est clair que la coopération Sud-Sud est et sera plus importante que jamais. Il faut mieux connaître les développements économiques, sociaux et politiques récemment enregistrés par les régions et les pays du Sud et souligner la nécessité d’efforts plus soutenus de la part de l’ONU pour promouvoir une coopération multilatérale plus dynamique entre pays en développement.
Que s’est-il passé ensuite ?
Le rapport résumé ci-dessus a été examiné en détail en octobre dans le cadre de la deuxième Commission de l’AGNU dont le mandat est axé sur les questions économiques.
Au cours du débat, le représentant du Bangladesh, s’associant au Groupe des 77 et de la Chine (134 pays), a déclaré qu’il était encourageant que de nouvelles formes de solidarité soient apparues entre les pays en développement, compte tenu des défis multidimensionnels auxquels ils sont confrontés. Son pays a participé aux efforts mondiaux visant à renforcer la coopération Sud-Sud par le partage des connaissances et a prévu de créer un centre de connaissances et d’innovation Sud-Sud à Dhaka. Selon lui, la communauté internationale doit créer un système où les pays du Sud peuvent partager les meilleures pratiques entre eux, avec l’appui financier et technique des pays du Nord.
Un exemple vivant de coopération Sud-Sud
La position des dix membres de l’ASEAN sur la coopération Sud-Sud a été officiellement présentée par le représentant de la Thaïlande qui a déclaré que la pandémie de COVID-19 a exposé et exacerbé les inégalités à la fois au sein des pays et entre eux. Pour se remettre sur la voie de la réalisation du Programme 2030, il est nécessaire de renforcer l’action aux niveaux local, national, régional et mondial et d’utiliser pleinement tous les outils disponibles, y compris la coopération Nord-Sud, Sud-Sud et triangulaire. En tant qu’organisation régionale, l’ASEAN est un exemple vivant de coopération Sud-Sud. La coopération mutuellement avantageuse est l’épine dorsale de l’ASEAN depuis sa création et a jeté les bases de l’avancement de l’intégration régionale de l’ASEAN et du développement d’une communauté de l’ASEAN avec trois piliers de coopération : politique et sécurité, économique et socio-culturel.
Cette coopération a été déterminante dans les efforts de l’ASEAN pour faire face à la crise actuelle et reconstruire en mieux. En 2020, l’ASEAN a adopté le Cadre de relèvement global de l’ASEAN, en engageant toutes les parties prenantes à travers une approche globale de la communauté en vue de réaliser un relèvement inclusif et résilient dans la région. En allant de l’avant, l’ASEAN continuera de promouvoir l’échange de bonnes pratiques et la coopération technique par le biais de la coopération Sud-Sud et triangulaire.
La Thaïlande a également annoncé l’Exposition mondiale sur le développement Sud-Sud, qui sera co-organisée par la Thaïlande, le Bureau des Nations Unies pour la coopération Sud-Sud et la CESAP, à Bangkok en 2022.
Ioan Voicu