Notre chroniqueur Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal, garde toujours un œil aguerri sur la géopolitique régionale. En cette fin d’année 2020, l’heure du bilan est arrivée. L’Asie, première touchée par le coronavirus, a largement triomphé de la pandémie. Une victoire dont il faudra tenir compte.
Une chronique de Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Népal et au Laos
Fin 1969, le directeur d’un grand quotidien du soir, Jacques Fauvet pour ne pas le nommer, avait surpris tout le monde en déclarant que ce qui marquait l’année écoulée à ses yeux, c’était non pas un homme sur la Lune ( “un petit pas pour moi, un grand pas pour l’humanité ” avait dit Neil Armstrong . Non, pour ce grand journaliste, ce qui marquait l’année écoulée, c’était le début du retrait américain au Vietnam.
Il voyait loin, non ?
Alors que retiendra l’histoire de l’année 2020 : la COVID, bien sûr, comment faire autrement. Mais si en fait le déclin occidental et la montée de l’Asie, c’était là l’événement le plus marquant de l’année ?
On a vu Mr Trump décider que la Covid, c’était un virus chinois et que le pouvoir de Pékin avait intentionnellement envoyé en Occident le virus pour nous empoisonner. Rien n’a démontré un tel machiavélisme, rien bien sûr ne peut démontrer le contraire.
Après tout, aux débuts du SIDA, on disait que cette autre épidémie n’affectait que les Haïtiens, les homosexuels, qu’elle avait été transmise à l’homme par les singes de la forêt africaine, etc. Les faits ont démenti ces explications hasardeuses.
Alors, virus Chinois ?
Force est de constater qu’aujourd’hui, les autorités politiques de l’Empire du milieu, après avoir inoculé à des militaires qui n’avaient pas le choix un vaccin douteux, en manquent et veulent en acheter ailleurs. Alors, virus chinois ?
Des amis dignes de foi confirment que dans beaucoup de pays d’Asie-Pacifique, qu’ils soient gouvernés par un régime autoritaire ou non, on a recommencé à vivre comme avant l’apparition de la pandémie, mais le regard porté sur l’Occident est nettement plus négatif qu’avant la pandémie et ce n’est pas le chaos provoqué en Europe par Boris Johnson, immédiatement suivi par Emmanuel Macron et les autres États, qui va améliorer l’image de l’Europe.
Le retour du multilatéralisme ?
Quand on lit ces témoignages, beaucoup souhaitent qu’on oublie vite les âneries de M. Trump, ils veulent en revenir à un monde plus ouvert, à un multilatéralisme plein de défauts qu’il faut certainement corriger et comptent aussi sur Biden pour cela.
Les commentateurs américains font la même analyse. Les États-Unis peuvent rester à l’écart des progrès de l’Asie et utiliser à leur seul avantage la domination qu’ils exercent sur le système de Washington ; ils peuvent au contraire coopérer avec d’autres pays, par exemple le Japon, pour implanter dans des pays comme le Bangladesh une industrie textile créant des millions d’emplois, réduisant ainsi le risque terroriste et stimulant un secteur dont les usines sont dirigées par des Américains.
Un repli sur soi inquiétant
Bref, ce qui n’est bon pour personne, c’est le repli sur soi, et la Covid en a à la fois accentué le risque – la fermeture partout des frontières dès que le virus progresse et les discours enflammés sur la démondialisation – et la nécessité.
Des solutions collectives sont tout aussi nécessaires pour faire repartir les entreprises, affectées partout par la crise sanitaire. L’Occident a bien besoin que l’Asie retrouve la croissance même si celle-ci prend un autre contenu, afin de mieux concilier production et lutte contre le changement climatique. Malgré les beaux discours, tout reste à faire pour prouver que ces deux impératifs sont conciliables.
Les économistes prévoient pour 2021 une reprise mais l’Occident aura subi en 2020 les répercussions profondes de la crise sanitaire. Gardons cependant le sens des proportions : on ne peut mettre sur le même plan ceux qui devront passer le réveillon en Angleterre et les dizaines de millions de pauvres ajoutés à des pays déjà « moins avancés » y compris en Asie.
Pour mémoire, 2020 a vu selon l’OCDE le PIB de l’Union européenne chuter de -7,5% dont elle devrait reprendre 3,6% en 2021. Celui des États-Unis a baissé de -3,7% en 2020 et remonterait à +3,2% Quant à la Chine, elle retrouverait avec +8% une croissance forte après +1,2% en 2020.
Covid et marchés financiers
Les détenteurs d’actions peuvent se réjouir : ils ont réalisé de substantiels bénéfices et la Covid les a encore augmentés…
Alors, face à cette augmentation planétaire des inégalités, des solutions collectives ne seraient-elles pas les plus à même d’éviter ce que tant de politiques éminents ont qualifié de mal absolu : la guerre ?
2020, année des contradictions
2020 a été l’année de ces contradictions. Les peuples partout aspirent à plus de liberté mais veulent que leurs autorités mènent une politique efficace, les peuples savent que le changement climatique ne disparaîtra pas par de simples discours mais n’ont pas envie de changer profondément leur mode de vie, les peuples voient bien que les crises ont rendu nécessaire une mise à jour des organisations multilatérales mais ne veulent pas que celle-ci se fasse au seul bénéfice des superpuissances.
Malgré sa victoire, l’élection de M. Biden, une très bonne nouvelle pour finir 2020 en beauté, ne garantit rien de tout cela.
Alors, 2020, l’année de tous les dangers ?
Espérons en tout cas que 2021 permettra à tous de trouver ou retrouver la prospérité !
Joyeux Noël et Bonne année 2021 !
Yves Carmona
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