Notre ami et chroniqueur Ioan Voicu nous offre chaque semaine son point de vue et analyse sur les évolutions de la diplomatie, en particulier en Asie du Sud-Est.
L’ASEAN et l’actualité d’un multilatéralisme efficace
Par Ioan Voicu
Le 24 avril 2023, le Conseil de sécurité de l’ONU a organisé un débat ouvert sur le multilatéralisme. De nombreux pays non-membres du Conseil ont pris part à ce débat. Parmi eux on retrouve sept membres de l’ASEAN.
Nous informons dans ces pages les lecteurs de Gavroche de quelques réflexions des plus significatives développées par les intervenants de l’ASEAN dans leurs allocations prononcées au cours de ce débat, dans l’ordre de leur prise de parole, textes résumés à partir d’une documentation diffusée par le Secrétariat de l’ONU.
Attitudes nationales
Le premier orateur, les Philippines, a réaffirmé son attachement aux principes de la Charte des Nations Unies, a rejeté toute tentative de nier ou de redéfinir la compréhension commune de ces principes et a souligné que dans le multilatéralisme le droit international est un grand égalisateur. Ce pays s’est efforcé de renforcer sa prévisibilité et sa stabilité en relevant les défis à la paix et à la sécurité et en résolvant les différends. À son avis, le recours au règlement pacifique des différends internationaux par l’arbitrage et des tribunaux internationaux crédibles joue un rôle clé dans l’interprétation des normes internationales et ne doit pas être considéré comme un acte hostile entre nations civilisées. Passant à la réforme du Conseil de sécurité, les Philippines ont déclaré qu’un organe réformé, inclusif, transparent et représentatif, devait être en mesure de répondre de manière décisive et rapide aux défis et aux menaces du XXIe siècle à la paix et à la sécurité internationales et devrait mettre l’accent sur l’amélioration des méthodes de travail visant à une plus grande participation des non-membres à ses délibérations.
Le Vietnam a déclaré que le multilatéralisme était confronté à des défis redoutables qui menaçaient la coopération et l’ordre international fondé sur des règles. Dans ce contexte, il a réaffirmé l’importance d’un multilatéralisme efficace, fondé sur le respect de la Charte des Nations unies et du droit international. Toutes les voies doivent être explorées pour résoudre les conflits et trouver des solutions aux problèmes de sécurité. Le multilatéralisme doit être fondé sur la bonne volonté, la compréhension mutuelle et la coopération. L’imposition, l’intervention et les actes unilatéraux n’ont pas leur place dans les affaires internationales. “Les grandes puissances doivent se comporter de manière responsable et travailler pour le bien commun, et non pour leurs propres intérêts égoïstes”. Des partenariats plus approfondis doivent être forgés entre l’ONU et les organisations régionales pour favoriser des solutions aux défis mondiaux et régionaux. Les mécanismes et les engagements constructifs de l’ASEAN ont été cités à cet égard.
Selon l’Indonésie, la Charte des Nations Unies incarne la détermination collective de préserver les générations futures du fléau de la guerre. Dans ce contexte, elle a déclaré que le Conseil de sécurité doit être bien équipé et capable de s’adapter aux nouvelles réalités mondiales et a souligné la nécessité de remodeler l’architecture de sécurité de l’ONU pour s’assurer qu’elle est adaptée aux défis actuels et futurs. L’Indonésie a également souligné qu’une forte synergie entre l’ONU et les organisations régionales, y compris l’ASEAN, est essentielle. “Aucune nation, ou un petit groupe de nations, ne peut relever efficacement à elle seule les défis mondiaux”, a affirmé le représentant indonésien.
De l’avis de Singapour, pour les petits États, le droit international et la Charte des Nations Unies sont la première ligne de défense pour protéger leur souveraineté et leur intégrité territoriale. L’idée que la force est juste – que les forts peuvent faire ce qu’ils veulent et que les faibles souffrent ce qu’ils doivent – n’est tout simplement pas acceptable, alors que le multilatéralisme n’est pas une option, mais plutôt une nécessité pour ces États. À la lumière des défis réels auxquels le monde est confronté, les États membres doivent se mobiliser pour renforcer, réformer et redynamiser le système multilatéral. Pour sa part, le Conseil de sécurité doit répondre aux crises mondiales avec unité et urgence; être une arène pour construire la compréhension et galvaniser des solutions ; et rester à la fois responsable et transparent avec les membres de l’organisation mondiale. Le Conseil ne peut pas être une arène de veto et de contre-veto qui exacerbe le problème. Singapour a également souligné l’importance d’adapter les institutions multilatérales aux défis de l’avenir. “Si nous ne préparons pas l’ONU pour l’avenir, l’ONU n’aura pas d’avenir”, a averti le représentant singapourien.
La Thaïlande a souligné qu’un engagement renouvelé envers le multilatéralisme exige un engagement renouvelé envers le droit international et les principes de la Charte des Nations Unies. Les États membres doivent veiller à ce que ces principes soient appliqués de manière universelle et non sélective pour renforcer le respect par tous. Étant donné qu’un multilatéralisme efficace est principalement une question de diplomatie efficace, de facilitation créative, de médiation impartiale et d’arbitrage fondé sur des règles, entre autres, les gouvernements doivent renforcer les instruments pour faire progresser les moyens pacifiques, entretenir une culture de paix et renforcer le pouvoir de mobilisation de l’organisation mondiale pour jeter des ponts entre les parties en conflit, tout en favorisant la confiance entre les États. La Thaïlande a également souligné que l’interdépendance entre la paix, le développement durable et la sécurité humaine impliquait l’adoption d’approches complémentaires et multidimensionnelles face aux défis mondiaux. De plus, une interface régionale mondiale plus forte impliquant une coordination plus étroite avec les organisations régionales peut bénéficier au multilatéralisme.
Le Laos a rappelé que le multilatéralisme a été miné à mesure que l’unilatéralisme a augmenté. Car la sagesse collective et la volonté politique de trouver l’approche la plus pragmatique face à la multiplication des crises qui mettent en péril le monde aujourd’hui doivent être situées avant les intérêts unilatéraux et politiques. Les États membres doivent renforcer la solidarité, aborder les différences et éviter les divisions. Dans ce contexte, l’organisation mondiale doit remplir efficacement son mandat de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Pour sa part, le Conseil de sécurité doit se transformer pour répondre aux menaces et aux besoins actuels en matière de sécurité mondiale. Les mesures coercitives unilatérales, contredisent les principes de la Charte des Nations Unies et du droit international, entravent les droits et empêchent le plein développement socio-économique des peuples innocents qui y sont soumis. Pour assurer une paix et une prospérité durables, la communauté internationale doit créer des opportunités de résolutions pacifiques et un environnement propice aux négociations diplomatiques.
Le dernier orateur de l’ASEAN, la Malaisie, a souligné la nécessité de défendre et de renforcer l’ONU pour préserver sa centralité en tant que fondement de la coopération internationale. Comme il est dans l’intérêt collectif de tous de travailler ensemble et de défendre le système multilatéral, les États membres doivent rester unis dans l’effort collectif pour défendre et respecter les buts et principes de l’organisation mondiale tels qu’énoncés dans sa Charte. Ils doivent intensifier leur dialogue et leur coopération pour sauvegarder ces principes et le multilatéralisme. La Malaisie a réitéré le plein soutien de son gouvernement à la Déclaration des dirigeants de l’ASEAN de 2021 sur le maintien du multilatéralisme. La force et la valeur du régionalisme et du multilatéralisme en tant que moyens essentiels de coopération résident dans leur nature fondée sur des règles, leur inclusivité, leur transparence et leur ouverture fondées sur le bénéfice et le respect mutuels.
Conclusion
Après avoir brièvement passé en revue la position des pays de l’ASEAN qui ont participé au débat général sur le multilatéralisme au Conseil de sécurité, on peut affirmer qu’il existe un consensus entre ces États pour mettre en œuvre les engagements reflétés dans la Déclaration des dirigeants de l’ASEAN de 2021 sur le maintien du multilatéralisme.
Ce document diplomatique collectif réaffirme expressis verbis la valeur du multilatéralisme et l’importance des partenariats de l’ASEAN avec d’autres partenaires extérieurs, y compris des organisations régionales et internationales, telles que l’ONU, pour répondre aux préoccupations mondiales, poursuivre des objectifs communs et des initiatives complémentaires, réduire l’écart de développement , renforcer le développement sous-régional et promouvoir le développement durable et la croissance inclusive au profit des peuples, notamment par la concrétisation effective des complémentarités entre la vision 2025 de la communauté de l’ASEAN et le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies.