Cette chronique de François Guibert a été rédigée avant le séisme du 28 mars. La tenue du sommet, et ses participants, pourrait être perturbée. Son agenda s’en trouvera complètement bouleversé.
Du 2 au 4 avril, l’Asie du Sud et du Sud-Est se rencontreront à Bangkok
Le 4 avril se tiendra à Bangkok le sixième sommet des chefs de gouvernement des sept nations (Bangladesh, Bhoutan, Birmanie, Inde, Népal, Sri Lanka, Thaïlande) de l’Initiative du golfe du Bengale pour la coopération technique et économique multisectorielle (BIMSTEC). Aucun leader ne devrait manquer à l’appel, pas même le chef de la junte birmane, le général Min Aung Hlaing, en sa « qualité » de premier ministre du Conseil de l’administration de l’Etat (SAC) et de président de la République par intérim.
C’est la deuxième fois dans l’histoire que les dirigeants de la BIMSTEC fondée en 1997 se retrouveront dans la capitale thaïlandaise. Ironie des turbulences politiques régionales, la réunion qui aurait dû se tenir à l’automne 2024 fut repoussée du fait des changements à la tête de l’exécutif thaï et voit aujourd’hui l’organisation accueillie par la première ministre Paetongtarn Shinawatra, là où son père Thaksin Shinawatra tint la première rencontre biennale au sommet du BIMSTEC en juillet 2004.
Paetongtarn Shinawatra à la manœuvre
Depuis sa prise de fonction en août 2024, c’est la première fois que la cheffe du gouvernement royal présidera une réunion d’une institution régionale. Un moment clé car il s’agit de (re)donner du dynamisme et du lustre à une plateforme intergouvernementale souvent critiquée pour sa lenteur, son manque de résultats, les inerties administratives de ses États-membres et le peu d’énergies mis par les dirigeants à sa réussite. Un constat largement partagé par les capitales. C’est pourquoi, il justifie l’adoption d’un nouveau plan cadre. La « Vision 2030 » proposée à la discussion a été nourrie par les travaux d’un groupe de personnalités éminentes. Celles-ci ont revisité les pratiques des dernières années et esquissé des pistes de réformes. En novlangue politico-administrative cela donne : PRO-BIMSTEC 2030 (BIMSTEC : prospère, résilient et ouvert d’ici 2030).
Derrière ce narratif, quelque peu abscons, se cache une volonté de développer de nouvelles connectivités politiques, économiques et culturelles régionales. Il s’agit, par exemple, de faire aboutir, au plus vite, un accord de libre-échange, objet de discussions depuis deux décennies déjà. La BIMSTEC est un espace impressionnant par sa taille. Y résident 20% de la population mondiale. Cependant, les échanges intrarégionaux ne représentent que 5% du commerce des États-membres avec l’étranger. Il y a donc de vastes progrès macroéconomiques possibles.
La connectivité est l’un des sept champs de coopération prioritaires
La Thaïlande est à la manœuvre sur ce dossier après avoir été chargée, par le passé, de piloter les dimensions « santé publique, « pêches » et « relations entre les peuples ». Pour aller de l’avant, Bangkok propose la mise sur pied et sur son sol d’un centre d’excellence sur la médecine tropicale et un autre sur les audits publics (BECPA). Plus dimensionnant économiquement, il a été mis sur la table un Plan directeur pour la connectivité des transports. Un projet ambitieux pour les routes, les chemins de fer et tous les ports de la baie du Bengale et de la mer d’Andaman. Mais il butte sur les nombreux différends politiques bilatéraux et une situation sécuritaire profondément et durablement dégradée aux frontières extérieures de la Birmanie.
Les réseaux de transport continus tels l’autoroute trilatérale Inde – Birmanie – Thaïlande (TLH) et le Projet de transport multimodal de transit de la Kaladan (KMTTP) sont à l’arrêt du fait de la guerre civile birmane. Ils ne sont pas près d’aboutir dans leur latéralité est-ouest ou nord-sud. L’initiative BBIN (Bangladesh – Bhoutan – Inde – Népal) est à peine plus prometteuse. Néanmoins, afin de préparer l’avenir et financer les infrastructures régionales indispensables aux connectivités futures, un fonds de développement BIMSTEC sera examiné. En matière énergétique, il sera aussi possible de parler de la création de co-entreprises pour exploiter les ressources du gaz et du pétrole ainsi que les pipelines transfrontaliers qu’il conviendra de bâtir.
Pour avancer, il faut intensifier les contacts entre dirigeants
Afin de donner plus d’impulsions aux rapprochements interétatiques, les ministres des Affaires étrangères de la BIMSTEC ont décidé, lors de leur deuxième retraite en juillet 2024, de se rencontrer plus souvent. L’objectif est désormais de se voir tous ensemble trois fois par an. Ils se retrouveront donc le 3 avril à la veille du sommet des leaders, leur rencontre étant précédée le 2 par une séance de travail des hauts-fonctionnaires (SOM).
A défaut d’espérer avancer rapidement sur la connectivité des infrastructures, les chefs de la diplomatie sous-régionale vont chercher à se mettre d’accord sur quelques préoccupations sécuritaires. Sur le plan maritime, il s’agira d’échanger sur la lutte contre les pratiques illégales de pêche, la surveillance de la baie du Bengale voire un partage des renseignements. Actualité s’il en est, à l’ordre du jour se trouveront en bonne place la sécurité et la connectivité numérique.
Dans la perspective de finaliser un plan d’action avec le Groupe Asie-Pacifique sur le blanchiment de capitaux (APG) ; la sûreté des paiements, la prévention des opérations de blanchiment, le combat contre les flux financiers illicites et le besoin de nouvelles mesures contre la criminalité organisée seront abordés. Dans un registre plus positif, à l’examen figurera aussi les relations entre start-ups promues par les jeunes entrepreneurs de la région. On est ici à l’intersection de l’économie et des relations de peuple à peuple.
La dimension culturelle une des clés des projets BIMSTEC
Les gouvernements envisagent de faciliter la délivrance des visas pour les citoyens des Etats-membres. Ils discutent même d’une amélioration de la circulation des frontaliers, ce qui est pour le moins étonnant quand on entend parler au même moment du projet indien de cadenasser de barbelés les 1463 kilomètres de séparation avec la Birmanie, de la maîtrise quasi-absolue de l’Armée de l’Arakan le long du Bangladesh et les expulsions par centaines de migrants par la Thaïlande. En ces temps post-COVID-19, c’est à la relance surtout des industries touristiques auxquels les responsables pensent. C’est ainsi que s’esquissent des soutiens politico-administratifs aux projets d’itinéraires à vocation régionale des voyagistes. Signe d’un substrat culturel commun, on parle de soutenir des circuits de voyages et de croisières bouddhistes.
L’éducation est également un moyen pour accroître les échanges entre les personnes. Un réseau BIMSTEC des universités se fait jour. Il a pour vocation à faciliter la formation internationale des étudiants d’un groupe de pays relevant indéniablement du Sud Global et des démocratie parlementaires les plus peuplées.
La BIMSTEC est une organisation bien plus politique qu’elle n’y paraît
Elle a pour objectif affiché de rapprocher les Asie du sud et du sud-est, et mezza voce de faire pièce à une Chine régionalement encombrante. Par son maillage, elle permet à Bangkok de développer une « Look West Policy » et à New Delhi sa « Neighbourhood First Policy » activement promue depuis 2008. Le ministre des Affaires étrangères thaïlandais Maris Sangiampongsa s’est d’ailleurs rendu en Inde pour participer les 17 et 18 mars à la 10ème session du dialogue Raisina et y rencontrer en marge son homologue le Dr. Subrahmanyam Jaishankar.
La Thaïlande voit dans la BIMSTEC non seulement un moyen de se faire entendre dans le concert toujours plus vocal des voix du Sud, l’occasion d’élargir le nombre de ses partenaires avec lesquels existent des accords de libre-échange (cf. signature à venir avec le Bhoutan) et de réinsérer dans les fora régionaux la Birmanie des généraux.
Alors qu’au cinquième sommet de la BIMSTEC, présidé par le Sri Lanka, la Birmanie du SAC fut représentée en 2022 par son ministre des Affaires étrangères Than Swe, à Bangkok en 2025 le général Min Aung Hlaing sera à la table des discussions. Il effectuera ainsi son premier déplacement dans une capitale de l’ASEAN depuis avril 2021. Le minilatéralisme BIMSTEC, à l’image de celui des plateformes Lancang – Mékong et CLMV (Cambodge-Laos-Birmanie-Vietnam) de novembre 2024 à Kunming ou encore de la réunion ad hoc de Bangkok de décembre dernier, sert à desserrer l’étau aseanien qui étreint le régime militaire birman et empêche son leader et le chef de sa diplomate de se joindre aux régions de l’Association des nations de l’Asie du sud-est.
Ce contournement de l’ASEAN par minilatéralismes interposés est un message aux dirigeants de l’organisation qui se retrouveront en Malaisie les 26 et 27 mai puisqu’ils ne manqueront pas, eux aussi, d’échanger sur les évolutions sanglantes de la Birmanie et de la mise en œuvre des 5 points de consensus pour une sortie de crise.
La BIMSTEC vient au secours d’un chef militaire birman non grata à l’ASEAN
L’invitation faite au général Min Aung Hlaing vient à point nommé dans une séquence diplomatique à sa faveur. Après s’être rendu en fin d’année dernière en Chine où il a pu disposer de tête-à-tête avec les premiers ministres chinois puis cambodgien, laotien et thaïlandais puis des visites d’État en Russie et au Bélarus le voici en situation de revoir la cheffe du gouvernement thaïlandais et peut être l’opportunité de rencontrer le premier ministre Narendra Modi. La tenue et la teneur de ces moments bilatéraux seront examinés avec soin par les oppositions birmanes, les défenseurs des droits humains et une bonne partie de la communauté internationale.
A vrai dire si une grande attention sera accordée aux relationnels entretenus par le général Min Aung Hlaing à Bangkok, ce n’est pas le seul dirigeant dont on scrutera dans le détail l’agenda. Il en sera de même du chef du gouvernement indien. Rencontrera-t-il, par exemple, le Conseiller principal du Bangladesh le professeur Muhammad Yunus ? Depuis son arrivée au pouvoir et l’exil de sa prédécesseuse Sheikh Hasina, les relations entre Dacca et New Delhi sont pour le moins erratiques, rugueuses et empreintes de suspicions politico-stratégiques mutuelles.
Une discussion face-à-face indo-bangladaise serait d’autant plus opportune que le Dr Yunus viendra d’effectuer en Chine du 26 au 29 mars ce que son conseiller presse a présenté comme la visite à Pékin « la plus importante d’un dirigeant bangladais depuis 50 ans ». L’intéressé prendra, par ailleurs, la parole à la session inaugurale du Forum de Boao pour l’Asie sur l’île d’Hainan. En attendant, une chose est sûre : le sommet de Bangkok, quelques jours plus tard, sera l’occasion de multiples contacts bilatéraux entre les sept pays partenaires, de signer pléthores d’accords et arrangements administratifs. Il sera indubitablement un temps fort de l’année diplomatique de la Thaïlande.
François Guilbert
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