Une chronique géopolitique de Ioan Voicu
L’un des événements récents les plus significatifs dans le domaine de la diplomatie multilatérale, insuffisamment médiatisé par les médias grand public, a été la trente et unième réunion du Forum régional de l’ASEAN (ARF) qui s’est tenue à Vientiane, en RDP lao, le 27 juillet 2024. L’événement a réuni les ministres des Affaires étrangères et les représentants de tous les participants de l’ARF, ainsi que le Secrétaire général de l’ASEAN.
Mais qu’est-ce que l’ARF et qui sont les États participants ?
L’ARF n’est pas une organisation internationale conventionnelle, mais un forum qui offre un cadre de discussion, de diplomatie multilatérale et de développement de réponses coopératives aux problèmes régionaux.
La réunion inaugurale de l’ARF a eu lieu en juillet 1994 à Bangkok, en Thaïlande. Les participants actuels sont les suivants : Australie, Bangladesh, Brunei Darussalam, Cambodge, Canada, Chine, République populaire démocratique de Corée, Union européenne, Inde, Indonésie, Japon, RDP Lao, Malaisie, Mongolie, Myanmar, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Philippines, République de Corée, Russie, Singapour, Sri Lanka, Thaïlande, Timor-Leste, États-Unis et Vietnam.
L’ASEAN elle-même a défini l’ARF comme « un forum consultatif Asie-Pacifique efficace pour promouvoir un dialogue ouvert sur la coopération politique et sécuritaire dans la région. Dans ce contexte, l’ASEAN devrait travailler avec ses partenaires de l’ARF pour mettre en place un modèle de relations plus prévisible et plus constructif dans la région Asie-Pacifique. »
Pour la période de janvier à décembre 2024, le président de l’ARF est Son Excellence Saleumxay KOMMASITH, vice-Premier ministre, ministre des Affaires étrangères de la RDP Lao.
La déclaration du président de la trente et unième Réunion de l’ARF est un document diplomatique complexe de 11 pages, comprenant 38 paragraphes. Selon la pratique en vigueur, il s’agit d’un texte soigneusement rédigé et préparé en amont de la réunion par des diplomates professionnels.
Dans notre article, nous nous concentrerons uniquement sur quelques questions importantes sélectionnées, reflétées dans ce document et représentant les opinions partagées par les 27 États participants à la Réunion de l’ARF, tout en respectant la terminologie originale de cet instrument. Les aspects techniques sont réservés à d’éventuelles élaborations futures.
Thèmes cardinaux
Dès le début, la Réunion a noté que les défis sécuritaires sont de plus en plus interconnectés et de plus en plus complexes, nécessitant ainsi une plus grande coordination et des efforts concertés. À cet égard, la Réunion a encouragé tous les participants à l’ARF à redoubler d’efforts pour faire avancer le processus de l’ARF afin de promouvoir son efficacité et sa pertinence dans l’architecture régionale en évolution.
Sensible aux réalités internationales, la Réunion a réaffirmé l’unité et la centralité de l’ASEAN comme force motrice du maintien et de la promotion de la paix, de la sécurité, de la stabilité et de la prospérité régionales, ainsi que l’engagement en faveur du règlement pacifique des différends sans recourir à la menace ou à l’usage de la force, conformément aux principes universellement reconnus du droit international. La Réunion a souligné la nécessité de maintenir un dialogue constructif et une coopération entre les participants à l’ARF sur les questions politiques et de sécurité d’intérêt commun afin de faire face et de réduire les menaces à la paix et à la sécurité régionales.
La Réunion a salué l’engagement continu de la région à relever les défis complexes posés par le terrorisme, l’extrémisme violent propice au terrorisme et la criminalité transnationale organisée, notamment par le biais d’une coopération intersectorielle et inter-piliers dans la gestion des frontières et la lutte contre le terrorisme, la traite des êtres humains et les drogues illicites.
En outre, la réunion a échangé des points de vue sur divers défis liés au domaine maritime et a partagé ses préoccupations concernant la piraterie, la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, la dégradation de l’écosystème marin et de la biodiversité causée par les niveaux élevés et en augmentation rapide de débris marins et de pollution marine.
Dans le même contexte, la Réunion a noté la nécessité de renforcer davantage la coopération en matière de gestion des catastrophes, en particulier dans les domaines de l’alerte précoce et de la préparation, en tenant compte de la vulnérabilité de la région aux catastrophes naturelles, au changement climatique et à l’élévation du niveau de la mer.
Dans un paragraphe spécial, la Réunion a pris note des préoccupations soulevées par certains participants concernant le déclin de l’engagement et de la coopération dans les mécanismes mondiaux de non-prolifération, de contrôle des armements et de désarmement, et a appelé les pays, en particulier les États dotés d’armes nucléaires, à maintenir et à mettre pleinement en œuvre leurs engagements au titre de ces mécanismes.
Sur le même sujet, la Réunion a appelé les États dotés d’armes nucléaires à remplir leurs obligations en matière de désarmement nucléaire conformément à l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et à reconnaître la nécessité d’éliminer complètement les armes nucléaires, ce qui reste le seul moyen de garantir que les armes nucléaires ne seront plus jamais utilisées en aucune circonstance. La Réunion a réitéré l’engagement de préserver la région de l’Asie du Sud-Est en tant que zone exempte d’armes nucléaires et de toutes autres armes de destruction massive, comme le prévoient la Charte de l’ASEAN et le Traité sur la zone exempte d’armes nucléaires de l’Asie du Sud-Est, et a souligné l’importance de la mise en œuvre pleine et effective de ce traité.
Une question importante discutée lors de la réunion était liée à la situation en Mer de Chine méridionale. Des inquiétudes ont été exprimées par certains ministres concernant les récupérations de terres, les activités dans la zone, y compris les actions qui mettent en danger la sécurité de toutes les personnes, qui ont érodé la confiance, accru les tensions et peuvent compromettre la paix, la sécurité et la stabilité dans la région. La réunion a réaffirmé la nécessité de renforcer la confiance mutuelle, de faire preuve de retenue dans la conduite d’activités qui compliqueraient ou aggraveraient les différends et affecteraient la paix et la stabilité, et d’éviter les actions qui pourraient compliquer davantage la situation.
La réunion a réaffirmé l’importance de maintenir et de promouvoir la paix, la sécurité, la stabilité, la sûreté et la liberté de navigation et de survol dans la Mer de Chine méridionale et a reconnu les avantages d’avoir la Mer de Chine méridionale comme mer de paix, de stabilité et de prospérité.
Comme prévu, la réunion a discuté des développements en Birmanie au cours desquels de profondes inquiétudes ont été exprimées concernant l’escalade des conflits et la situation humanitaire. La réunion a réaffirmé son soutien au consensus en cinq points des dirigeants de l’ASEAN qui reste la principale référence pour résoudre la crise politique en Birmanie.
La réunion a exprimé son inquiétude face aux récents développements dans la Péninsule coréenne et a souligné l’importance d’un dialogue pacifique continu entre toutes les parties concernées afin de réaliser une paix et une stabilité durables dans une Péninsule coréenne dénucléarisée.
En ce qui concerne l’Ukraine, comme pour toutes les nations, la réunion a continué de réaffirmer le respect de la souveraineté, de l’indépendance politique et de l’intégrité territoriale. La réunion a réitéré l’appel au respect de la Charte des Nations Unies et du droit international. La réunion a souligné l’importance de parvenir à une paix juste et durable fondée sur les buts et principes de la Charte des Nations Unies dans leur intégralité, ainsi qu’à une cessation immédiate des hostilités et à la création d’un environnement propice à une résolution pacifique des conflits.
La réunion a exprimé sa profonde inquiétude face à la situation humanitaire désastreuse à Gaza, qui s’est aggravée après les attaques du 7 octobre.
La réunion a exprimé sa vive inquiétude face à l’escalade des tensions au Moyen-Orient et a appelé toutes les parties concernées à faire preuve de retenue, à éviter les actes susceptibles d’aggraver la situation et à résoudre les différends par la diplomatie et le dialogue dans l’intérêt du maintien de la paix et de la stabilité dans la région.
Conclusion
Dans la dernière partie du document examiné, il a été rappelé qu’en vue de renforcer les efforts visant à revitaliser l’ARF et suite à la discussion lors de la 30e réunion de l’ARF en 2023 sur l’orientation future de l’ARF, la Réunion a été informée que l’ASEAN, en tant que principale force motrice de l’ARF, procède actuellement à un examen complet du processus de l’ARF, y compris l’évaluation des rôles, des réalisations et des défis de l’ARF.
Dans le dernier paragraphe du document, la Réunion a réaffirmé l’engagement de maintenir l’ARF comme un forum efficace et pertinent pour un dialogue politique, une consultation et une coopération constructifs en matière de sécurité dans la région sur les questions politiques et de sécurité d’intérêt commun, et a réitéré son soutien à l’unité et à la centralité de l’ASEAN dans ce processus. La Réunion a en outre réitéré l’engagement de déployer davantage d’efforts pour faire avancer le processus de l’ARF, tout en soulignant la nécessité de continuer à avancer à un rythme confortable pour tous et sur la base du consensus, avec l’ASEAN comme principale force motrice.
On peut affirmer que l’ARF s’avère être une entité unique dans le domaine de la diplomatie régionale et interrégionale tout en ayant une institutionnalisation minimale, mais capable de faire des efforts pour promouvoir le multilatéralisme pendant une période historique difficile, caractérisée par des vulnérabilités, des perplexités et des discontinuités mondiales.
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