Gavroche entend éclairer ses lecteurs sur la situation de la région au delà de la chronique régulière de l’actualité et des informations locales, sur lesquelles nous devons être aussi offensifs et présents. Comment y parvenir ? En donnant la parole à des experts reconnus, diplomates ou universitaires. C’est le cas désormais avec notre chroniqueur Ioan Voicu, ancien Ambassadeur de Roumanie en Thaïlande et professeur invité à l’université de l’Assomption à Bangkok. le sujet de sa chronique cette semaine: L’importance de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN)
Une chronique diplomatique du Dr Ioan Voicu
Malgré son absence fréquente dans les grands médias, l’ASEAN, – la plus grande organisation régionale du monde – (la population de l’Asie du Sud-Est était de 671 millions de personnes au 18 novembre 2020,) est toujours en vie et entrera victorieusement dans l’histoire de la diplomatie universelle avec de nombreuses réalisations mémorables.
Des preuves diplomatiques et juridiques des plus fiables viennent d’être apportées de manière convaincante en novembre 2020 par le 37e Sommet de l’ASEAN, sous la présidence du Vietnam qui, en raison de la pandémie de COVID-19, a dû tenir ses réunions et consultations uniquement en ligne.
Résultat fructueux
Le résultat fructueux du 37e Sommet de l’ASEAN démontre la capacité de cette organisation régionale à être une véritable force motrice dans le processus complexe de promotion du multilatéralisme.
Cette année, le Vietnam a eu une chance extraordinaire de s’imposer sur la scène mondiale: non seulement il a présidé l’ASEAN, mais Hanoï a brillamment joué le rôle de président du Conseil de sécurité des Nations Unies en janvier 2020 et a déployé ses meilleurs talents diplomatiques dans les rôles principaux de l’ASEAN et des Nations Unies, en dépit du fait qu’il a du remplir sa mission en ligne. Cela a été une situation sans précédent, car, en temps normaux, les méthodes de communication informelles et consensuelles fonctionnent beaucoup mieux par la diplomatie en personne et des réunions en face à face.
Le document final complet du 37e Sommet (28 pages, 88 paragraphes) mérite d’être une lecture obligatoire pour les diplomates et les étudiants en relations internationales du monde entier.
Un accord essentiel
La signature de l’accord sur le Partenariat économique régional global (RCEP) dirigé par l’ASEAN, – le plus grand pacte de libre-échange au monde, – a été une manifestation sans précédent dans l’histoire des relations interrégionales.
En effet, cet accord essentiel vise à créer une gigantesque zone de libre-échange entre les dix États de l’ASEAN (Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Myanmar, Cambodge, Laos et Brunei), la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Au paragraphe 65 du document final du 37e Sommet de l’ASEAN il y a une annonce officielle importante sur l’achèvement des négociations substantielles sur le Partenariat économique régional global.
L’ASEAN a normalement salué la signature du RCEP qui a illustré son engagement à soutenir la reprise économique et le développement inclusif, comme support pour un commerce et un investissement ouverts et fondés sur des règles.
Signification juridique
Ce n’est pas ici le lieu de résumer un accord de 511 pages (20 grands chapitres et 4 annexes), mais il faut noter qu’il s’agit en fait d’un accord multilatéral classique qui doit être interprété et exécuté conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969). Après la ratification de cet accord et son entrée en vigueur, il sera sous l’effet juridique de l’article 26 de la Convention qui dans sa version authentique en français dit: “«Pacta Sunt Servanda», qui en droit international signifie que «Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi»”.
L’ASEAN a reconnu expressis verbis que le traité RCEP est essentiel pour la réponse de l’Asie à la pandémie du COVID-19 et jouera un rôle important dans le renforcement de la résilience de la région grâce à un processus de reprise économique post-pandémique inclusif et durable.
De toute évidence, dans ce contexte sans précédent et afin de rester pertinente dans le monde post-Covid-19, l’ASEAN doit agir et prendre des décisions plus rapides en fonction de la priorité des plans de relance. En outre, au cours des deux prochaines années, sous les présidences du Brunéi Darussalam (2021) et du Cambodge (2022), l’ASEAN doit veiller à ce que le bloc puisse prendre des décisions efficaces et opportunes sur la base d’un consensus ayant à son cœur les intérêts régionaux.
Coopération affirmée
Enfin, comme l’a mentionné Kavi Chongkittavorn, un journaliste chevronné thaïlandais, spécialisé dans les affaires régionales, malgré ses défauts d’organisation et ses lacunes, l’ASEAN et ses partenaires de dialogue ont choisi de travailler et de coopérer ensemble pour faire face aux défis de l’après-COVID-19.
Comment le faire ?
Selon le document programmatique et instructif du Sommet de l’ASEAN, le régionalisme et le multilatéralisme sont pour cette organisation des principes et des cadres importants de coopération, et leur force et leur valeur résident dans leur caractère inclusif, fondé sur des règles et avec l’accent mis sur les avantages et le respect mutuels.
Guidés par cette conviction, les 10 membres de l’ASEAN et tous ses partenaires devraient apporter aussi une contribution précieuse au succès des délibérations de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies en réponse à la pandémie de coronavirus (COVID-19).
C’est un événement important de la diplomatie multilatérale qui doit avoir lieu à New York, au siège de l’organisation mondiale, les 3 et 4 décembre 2020.
Les dix pays de l’ASEAN, la Chine, le Japon, la Corée du Sud , l’Australie et la Nouvelle-Zélande qui sont parties contractantes au RCEP sont conscients de l’importance de l’accord ou traité commercial le plus important du monde en termes de produit intérieur brut (environ 30%) et qui concernera plus de 2 milliards d’habitants, soit près du quart de la population terrestre.
Il faut rappeler que conformément a la Convention sur le droit des traités “L’expression « traité » s’entend d’un accord international conclu par écrit entre États et régi par le droit international, qu’il soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière”.
Vedette diplomatique
Le RCEP a clairement volé la vedette diplomatique dans le monde entier, en partie à cause de l’absence d’une libéralisation commerciale multilatérale impressionnante et authentique au niveau mondial.
Étant beaucoup plus important par sa taille de marché et sa part dans le PIB mondial que l’Union européenne ou l’Accord de libre-échange nord-américain, le RCEP stimule l’esprit du multilatéralisme sur tous les continents.
Au-delà de sa nature commerciale, le RCEP arrive à un moment crucial où les entreprises multinationales du monde entier repensent leurs stratégies d’investissement en raison des effets négatifs et dévastateurs du COVID -19.
Le RCEP encouragera également les réformateurs nationaux à être plus énergiques face aux intérêts unilatéralistes et protectionnistes.
Plate-forme de confiance
Le RCEP a aussi l’opportunité de s’imposer en tant que groupement géo-économique capable d’agir comme une plate-forme de confiance pour les futures négociations multilatérales entre l’Union européenne et le succès de ces négociations dépendra dans une large mesure du soutien du dialogue asiatique de l’ASEAN.
Par ailleurs, le RCEP servira également de manière cruciale les intérêts géopolitiques de l’ensemble de ses 15 parties contractantes pour qui ce traité multilatéral est déjà un puissant instrument juridique dans la guerre commerciale mondiale.
Le Dr Ioan Voicu est professeur invité à l’Université de l’Assomption à Bangkok
Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.