Alors que l’épidémie de Covid-19 semble pour de bon jugulée en Asie et en Europe, l’heure est venue de faire les comptes et d’explorer les coulisses de son impact économique. Une question taraude par exemple bon nombre de résidents français dans la région, en particulier en Thaïlande: pourquoi le baht thaïlandais n’a pas craqué ? Voici des éléments de réponse.
L’agence d’informations financières Bloomberg et l’agence de notation Standard and Poors ont eu un point commun durant la crise du Covid-19: Toutes deux laissaient entendre un krach des devises asiatiques. Explication: la fuite présumée des capitaux étrangers et l’aggravation des tensions entre la Chine et les États-Unis, source d’un renchérissement assuré des importations. Or cela ne s’est pas passé. Y compris dans un pays pourtant fragile comme les Philippines où la valeur du peso philippin atteignait, le 5 juin, 49,8 pesos par rapport au dollar, son plus haut niveau en plus d’un an…
Résistance monétaire
Cette résistance des monnaies du sud-est asiatique vaut aussi pour l’Indonésie dont la roupie a presque retrouvé le niveau de 13 900 par rapport au dollar américain, contre 16 000 il y a quelques semaines à peine. Le baht thaïlandais a connu un rebond similaire, mais pas aux niveaux exceptionnellement élevés observés fin 2019, avant que le virus ne tue le tourisme. Même le ringgit malaisien, qui a souffert de la crise politique, a connu une reprise significative, même s’il reste bien inférieur aux niveaux de l’année précédente. Contrairement aux discours sur les “sorties”, les devises asiatiques ont pour la plupart augmenté régulièrement depuis la fin mars.
L’explication de cette solidité tient autant dans la nature des économies émergentes d’Asie que dans l’attitude des banques et des gouvernements. Quatre mots résument bien cette donne monétaire: capacité industrielle intacte, jeunesse et dynamisme de la population, stabilité politique malgré la crise, et attractivité obligataire.
Une preuve de cette confiance est la valeur en dollars américains du Fonds obligataire asiatique coté à Hong Kong et à Singapour. Il s’agit d’un portefeuille d’obligations d’État à moyen terme libellées en monnaie locale, notamment celles de la Chine, de la Corée, de l’Indonésie, de la Thaïlande, de la Malaisie, de Hong Kong, de Singapour et des Philippines. Il se négocie actuellement à environ 118,8 dollars US, soit un niveau presque record et 11 % de plus que celui de la fin mars, mais son rendement est encore de 2,6 %. L’inflation étant faible partout pour l’instant, les obligations asiatiques offrent un rendement réel supérieur à celui des pays développés où les taux ont été ramenés à près de zéro par les achats des banques centrales.
Prudence des gouvernements
L’un des éléments clefs de cette confiance est aussi la prudence des gouvernements, moins enclins que les européens ou les américains à imprimer de la monnaie pour soutenir leurs économies. La conscience des niveaux d’endettement enracinés pendant la crise asiatique de 1997-1999 survit encore. Les mécanismes de paiement de leurs très nombreux travailleurs indépendants sont également faibles.
En ce qui concerne les balances commerciales, les données disponibles jusqu’à présent suggèrent que les importations ralentissent plus rapidement que les exportations. Toutes les économies du Sud-Est asiatique sont des importateurs nets de pétrole et les prix de certains de leurs principaux produits de base exportés, tels que l’huile de palme, le caoutchouc, le riz et le cuivre, se sont jusqu’à présent révélés relativement résistants, même si le tourisme s’est effondré et, pour les Philippines, les envois de fonds par la diaspora ont diminué.
Attentisme et épargne
La reprise de la demande des consommateurs et des importations de biens d’équipement pourrait bientôt entraîner une détérioration de la balance commerciale. En attendant, tout le monde se demande si et quand la demande d’exportation de vêtements, de chaussures et de composants électroniques reprendra, si le tourisme reviendra et si l’effondrement des prix du pétrole entraînera une réduction permanente des envois de fonds en provenance du Moyen-Orient. L’épargne l’emporte sur les dépenses.
Contrairement aux apparences, et malgré d’importants dégats sociaux causés par l’épidémie et les mesures de confinement, les monnaies du sud est asiatique sont, en clair, plus solides qu’il n’y parait.