Le terrorisme est une réalité et c’est aussi un mot. Les deux sont employés partout dans le monde. C’est vrai aussi en Asie du Sud-Est comme dans le reste de l’Asie. Notre collaborateur et chroniqueur géopolitique Yves Carmona a voulu regarder de plus près de quoi on parle quand on emploie le mot et quand on parle de terrorisme. Pas si clair !
Une analyse d’Yves Carmona, ancien ambassadeur de France au Laos et au Népal
Il n’existe pas de définition internationalement reconnue du terrorisme. Les événements du 11 septembre 2001 et leurs suites ont bien sûr constitué pour tous un choc mais le terrorisme est bien plus ancien.
Les Nations Unies le font remonter au 19ème siècle avec les anarchistes (Proudhon en 1840) espérant que le peuple allait reprendre à son compte la lutte qu’ils menaient contre le pouvoir. Dans le même but, un groupe russe assassina le tsar en 1881 et le Serbe Gavril Princip, en assassinant l’archiduc héritier du trône autrichien fut à l’origine de la 1ère guerre mondiale. La SDN a tenté de lui définir un régime juridique et une Cour Internationale de Justice mais ces efforts ont été interrompus par la 2ème guerre mondiale. Les Nations Unies nées en 1945 ont repris ces travaux et l’UNODC les conduit depuis avec un contenu mouvant en fonction de l’actualité.
Terreur révolutionnaire
On sait que le mot « Terreur » avait été employé dès la Révolution française au sens de la crainte suscitée par l’État contre ceux qui osaient avoir un avis différent.
Plus récemment, il a pris le sens d’un acte à but politique destiné à faire entendre aux médias et à l’opinion publique qu’un groupe militairement moins fort que l’État qu’il combat est capable de lui infliger de graves pertes.
C’est ainsi que les attentats de 1998 contre les ambassades américaines de Nairobi et Dar es Salaam ont fait plus de 200 morts, puis celui contre le navire USS Cole ont été perpétrés en 2000 par Al Qaeda qui, n’ayant pas les moyens de lui faire une guerre en bonne et due forme, voulait montrer de manière sanglante qu’il récusait l’ordre américain. D’autres actes innombrables de terrorisme ont eu lieu sans qu’il soit pertinent ni même possible de les répertorier ici.
Deux types de terreur
Si la terreur est entendue comme celle de minorités visant l’État, il faut aussi distinguer entre deux types de terreur : premièrement celle qui est rattachée aux réseaux internationaux comme al Qaida ou Daesh, donc le terrorisme islamiste, c’est notamment la vision américaine qui a conduit ses armées d’abord en Afghanistan puis en Irak dans une politique qui vise à éradiquer le « terrorisme » partout où il se manifeste ou risque de se manifester, donc de proche en proche dans le monde entier jusqu’à devenir un pilier de la politique américaine ; deuxièmement, certains actes dits « terroristes » sont ceux de minorités mues par un objectif local. C’est par exemple le cas des mouvements comme celui des minorités du Sud de la Thaïlande, qui veulent un État séparé du reste de la Thaïlande, ou celui de régions irrédentistes comme Aceh en Indonésie. On ne peut alléguer leur filiation à un réseau et ils ne sont guère vus par les grands médias.
Terrorisme et Asie du sud-est
Si on accepte une définition plus large du terrorisme, tous les pays d’Asie du Sud-Est ont été concernés par le terrorisme. On sait combien les États-Unis dans leur combat contre les communistes en ex-Indochine ont déversé de bombes sur des pays comme le Laos qui voulaient rester neutres et ne participaient que très marginalement à cette guerre. Les bombardements étaient ils à vocation militaire ou destinés à impressionner l’opinion des pays où ils ont eu lieu ? Plus récemment, l’enlèvement non revendiqué, non élucidé mais probablement fatal du tout-à-fait pacifique Sombat à Vientiane ne relève- t-il pas d’un terrorisme d’État ? Ne s’agissait-il pas de montrer à ceux qui tentaient une politique différente d’un gouvernement autoritaire qu’ils risquaient eux aussi d’être liquidés ? N’est-ce pas pour le même genre de raison que les Occidentaux ne disent et ne font pas grand-chose contre le terrorisme d’État pratiqué par le pouvoir chinois contre toutes les minorités – entre autres tibétaine, ouïghour et récemment mongole – qui se trouvent sur son territoire sans en contester l’unité, mais sont traitées de « terroristes » pour que Pékin puisse mieux les contrôler ?
Singapour, une cible de choix
Pour rester en Asie du Sud-Est, Singapour est et reste une cible et mène une politique anti-terroriste jusqu’à présent efficace. Dans la cité -État, cette politique repose sur un contrôle total de la population auquel l’auteur de ces lignes a eu l’occasion d’assister. Les autorités, tout en évitant toute stigmatisation d’une religion, surveillent officiellement les discours tenus dans les mosquées et au pèlerinage de la Mecque voire dans les réseaux sociaux, bref tout discours qui menacerait l’intégrité de l’État au profit d’une idéologie qui en contesterait l’autorité. Aucun acte terroriste n’a ainsi pu menacer l’ordre établi depuis 1987.
Le mal et le bien
Comme il faut garder une note d’optimisme et ne pas accepter une vision manichéenne du monde, il faut constater que du mal peut naître un bien.
C’est en partie grâce à la lutte anti-terroriste qu’une plus grande coopération internationale s’est développée entre pays riverains du détroit de Malacca. Ceux-ci le surveillent parce qu’une proportion supérieure à 20% en valeur et 40% en volume du commerce mondial en dépend et aussi parce qu’ils ne souhaitent pas que les grandes puissances s’en mêlent. L’Asian Régional Forum articulé sur l’ASEAN est ainsi la seule instance officielle où les États-Unis et la Corée du Nord se parlent! De même, le dialogue du Shangri-La organisé par un groupe privé mais avec le soutien du pouvoir singapourien a permis année après année que les pays qui dépensent pour la défense, y compris les États-Unis et de plus en plus la Chine, se parlent et confrontent leurs visions du monde.
Car l’avenir, en matière de lutte contre le terrorisme comme en bien des domaines, ne passe-t-il pas par une meilleure coopération internationale ?
Yves Carmona
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