Notre chroniqueur Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal, est furieux contre Gavroche. Mais ici, notre règle est d’or. La parole est à tous. Voici les raisons de sa colère. Vive le débat !
Comme le sait le lecteur, les articles qui lui sont envoyés sont également publiés dans le site « Gavroche », aussi l’auteur de ces lignes lui accorde une attention particulière. Quelle n’a donc pas été sa surprise quand il a lu ce titre :
LAOS – THAÏLANDE : Un nouveau pont de l’amitié rapproche encore plus les deux pays.
Il s’est dit : ça doit être une vieille info resurgie par erreur. En effet, il y a 12 ans il roulait déjà sur un « pont de l’amitié lao-thaïlandaise . »
Mais il fallait aller lire un peu plus loin : « La construction du cinquième « Pont de l’Amitié » sur le Mékong, reliant la province de Bolikhamxay au Laos à celle de Bueng Kan en Thaïlande, est presque achevée. »
Bien entendu tous les lecteurs de Gavroche savent que Bolikhamxay se trouve à des heures de route de Vientiane et que ce pont est une infrastructure de plus permettant de désenclaver ce petit pays. Vraiment ? Il y a une décennie, les Thaïlandais considéraient les Laotiens un peu comme des ploucs et ne venaient gère à Vientiane que pour acheter du Bordeaux, moins cher dans cette ex-colonie française où un savant caviste pouvait conseiller les acheteurs. Tout ça a dû beaucoup changer…
Mais poursuivons l’édifiante lecture de Gavroche : « La conception de ce pont s’inspire du « khaen », un instrument traditionnel en bambou typique de la région du bassin du Mékong, reflétant ainsi l’identité culturelle partagée entre les deux nations. Le pont, d’une longueur totale de 1 350 mètres, comprend deux chaussées, ainsi qu’un accotement et un trottoir de chaque côté.
La cérémonie d’inauguration officielle est prévue pour mai 2025, une date qui coïncidera avec la célébration du 75ᵉ anniversaire des relations diplomatiques lao-thaïlandaises.
Ce pont stratégique vise à établir une route directe le long du corridor économique Est-Ouest. Bolikhamxay, situé à proximité de la frontière orientale avec le Vietnam, se trouve près de Vinh, une grande ville vietnamienne et un point névralgique du corridor reliant la Birmanie, la Thaïlande, le Laos et le Vietnam. »
Eh oui, ce communiqué traduit en français résume un communiqué de l’Agence laotienne de presse 1 : « New Lao-Thai Bridge Close to Completion
Nous voilà donc éclairés : la brève de Gavroche était la traduction et le résumé d’une dépêche laotienne. Mais qu’est-ce que c’est qu’une « dépêche laotienne » ?
Comme chacun sait, le Laos reste gouverné depuis 1975 par une dictature, au demeurant souriante mais dictature quand même, celle du Pathet Lao, c’est-à-dire une démocratie populaire, comme au bon veux temps de l’Union Soviétique qui, elle, s’est ensuite effondrée. Les dépêches de l’agence laotienne de presse sont donc aussi crédibles que la « Pravda » ou le « Quotidien du peuple ».
Le même jour, Gavroche dénonçait à juste titre la répression en Thaïlande. Au Laos, il n’y a plus de combats : la dictature du parti unique fait taire, y compris par la « disparition », toute voix dissidente.
Comme le font les grands journaux occidentaux, le minimum est de citer la source : le gouvernement du Laos, voilà qui est fait. La différence avec la Thaïlande, où on ne compte plus dictatures et coups d’État, c’est qu’y paraissent encore des journaux courageux comme le « Bangok Post » : « Killer of Ex-Cambodian MP Won’t Reveal Who Ordered Assassination, Thai Police Say. Ekkalak Pheanoi, a former Thai marine, was extradited from Cambodia and questioned by Bangkok police on Saturday.
On saura peut-être un jour qui a commis l’assassinat du parlementaire cambodgien alors qu’au Laos, Sombath Somphone a été enlevé il y a 10 ans et le pouvoir a préféré insinuer qu’il avait volontairement disparu en Thaïlande avec une maîtresse… Saura-t-on un jour ce qu’il est advenu de lui ?
Rien à voir, si ce n’est les étranges collisions que produit parfois l’actualité. On ne parle guère en ce moment en Occident que des otages occidentaux libérés par les assassins du Hamas. Il se trouve qu’avec eux se trouvent des Thaïlandais venus travailler en Israël, de même que des Népalais morts en Ukraine où Poutine les a envoyés se battre là où c’est le plus dangereux – certains pays occidentaux ont fait de même avec leurs sujets africains lors des deux guerres mondiales.
Thaïlandais ou Népalais, leurs noms restent inconnus, la presse occidentale ne s’y intéresse pas et leurs ambassades ne savent pas non plus ce qu’ils faisaient là.
Peut-être saura-t-on un jour ce qu’il en est advenu…
Yves Carmona
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Je ne comprends pas ce qui pose problème.
Quelle que soit la source de l’information, la seule question serait de savoir si l’information est factuellement exacte.
Yves Carmina semble critiquer la source et le régime sans remettre en cause l’ouverture prochaine de ce nouveau pont.
Si j’ai bien compris, cette critique serait donc hors sujet ou déplacée.
Relayer une information sur l’ouverture d’une nouvelle voix de communication ne me semble pas un acte politique.
Choisir de diffuser telle information et de taire telle autre est un acte politique.
Commenter de telle façon plutôt que d’une autre l’info que le media choisit de diffuser est aussi un acte politique.
Gavroche ne déroge pas à la règle, tous les médias français ont fait de même depuis 1820, ce fut même la raison de création des journaux dits « d’opinion », seuls journaux alors à paraître.
Gavroche n’est donc en rien répréhensible, il ne fait que reprendre ce que chacun fait.
Une fois que l’on a compris la ligne politique défendue par Gavroche, on lit avec plaisir, on lit avec distance (c’est mon cas) ou on ne lit pas.
Il est réducteur et inexact d’affirmer que les Thaïlandais considèrent les Laotiens comme des « ploucs ». Bien que des stéréotypes aient pu exister par le passé, notamment en raison des différences économiques et du développement inégal entre les deux pays, les relations entre les Thaïlandais et les Laotiens sont bien plus complexes et empreintes d’histoire commune, de liens culturels et linguistiques forts.
Les populations du nord-est de la Thaïlande (Isan) partagent d’ailleurs des racines culturelles profondes avec le Laos, notamment à travers la langue (le lao et l’isan sont très proches), la cuisine et les traditions. De plus, le Laos et la Thaïlande entretiennent aujourd’hui des relations diplomatiques, commerciales et sociales importantes, favorisant une meilleure compréhension mutuelle.
Les perceptions évoluent avec le temps, et de nombreux Thaïlandais reconnaissent aujourd’hui la richesse culturelle et le dynamisme du Laos. Ainsi, réduire la vision thaïlandaise des Laotiens à un simple cliché négatif ne reflète ni la diversité des opinions ni la réalité des échanges entre les deux peuples.