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ASIE – FRANCE : Comment Anwar Ibrahim est devenu un ami de la République 1/3

Date de publication : 25/07/2023
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Dalil Boubakeur

 

Édouard Braine fut, dans une autre vie, diplomate et Ambassadeur français. Basé un temps à Kuala Lumpur, en Malaisie, à la fin des années 90, il se livre pour Gavroche à un vibrant plaidoyer de son actuel Premier ministre Anwar Ibrahim. Un long texte qui mérite d’être lu, car très pointu et bien informé. Un essai en trois volets.

 

Par Édouard Braine

 

C’est très largement au docteur Dalil Boubakeur que je dois la réussite de ma mission diplomatique à Kuala Lumpur de 1995 à 1998. C’est grâce à lui que se sont ouvertes à la France les portes du ministre malaisien des finances, vice-premier ministre, et numéro deux du régime. C’est lui qui a fait taire, en 1998, une campagne intégriste malveillante à l’encontre de la laïcité républicaine et dévastatrice envers les intérêts français, dans un marché prometteur en terre d’Islam. Au moment où les hasards de la vie font que les chemins de nos fauteuils roulants respectifs se croisent (le docteur Boubakeur a quitté la Grande mosquée de Paris en fauteuil roulant), il est grand temps pour moi de révéler et de régler ma dette envers ce grand Uléma de la République, qui a joué durant des décennies un rôle majeur dans mon « Orient second ». Voici le récit, non romancé, de la contribution du doyen de la Grande Mosquée, et recteur de l’Institut Musulman de Paris, dans deux opérations diplomatiques décisives.

 

Premier poste d’Ambassadeur

 

Alain Juppé, ministre des Affaires Étrangères d’un gouvernement de cohabitation à la fin de la deuxième présidence de Mitterrand, m’a offert mon premier poste d’ambassadeur, au printemps 1995. Kuala Lumpur avait certes l’allure d’un beau cadeau. Mais c’était aussi un réel défi, car notre pays ne figurait pas au menu de la cosmogonie diplomatique, économique et stratégique de la Malaisie. Pire que d’ignorance ou de mauvaise perception, l’image de la France souffrait du très vif ressentiment éprouvé à la suite d’un amour déçu, au plus haut niveau du pouvoir, celui du Dr. Mahathir. Le créateur de la Malaisie moderne, démiurge ambitionnant de concurrencer son rival Singapourien, le chinois Lee Kuan Yu, était à la recherche d’une « troisième voie ». Il avait, sans y parvenir, espéré trouver dans le modèle français et dans notre technologie, une piste propice au succès de l’ingénierie de sa conception du monde, une version subtropicale du Gaullisme.

 

Entre l’Islam et le siècle des lumières

 

Au printemps 1994, le Dr. Mahathir, démiurge de la Malaisie, était parti chercher à Paris, hors du monde anglo-saxon, inspiration, reconnaissance et soutien, dans sa démarche géopolitique originale, alliant non alignement et tiers-mondisme, avec libéralisme économique et acceptation des règles du jeu du monde globalisé.

 

Mal reçu par un président Mitterrand moribond et par Edouard Balladur, premier ministre uniquement occupé par sa pré-campagne présidentielle, le chef du gouvernement malaisien avait vécu l’échec de sa visite en France comme un affront personnel et une humiliation nationale. Ce loupé diplomatique catastrophique était la toile de fond qui sous tendait le début de ma mission à Kuala Lumpur. J’allais payer cher le prix de la désillusion causée par ce qui était considéré comme une preuve de l’arrogance française envers la Malaisie. En un mot, le nouvel ambassadeur de France était persona non grata.

 

Dans ce contexte, l’accès au premier ministre Malaisien m’était implicitement interdit, tandis que m’était imposé, en punition, un traitement protocolaire minimaliste. Celui-ci prévoyait une audience d’arrivée, purement formelle, et limitée à un quart d’heure, avec les principaux ministres. Et c’est dans ce premier entretien avec Anwar Ibrahim, numéro deux du régime où il représentait la jeunesse et les tenants d’une ligne dure islamiste, que l’aide à distance du Dr. Dalil Boubakeur a joué d’emblée un rôle déterminant.

 

J’ai offert au numéro 2 du régime le Coran, traduit en français par Si Hamza Boubakeur, père et prédécesseur du dernier recteur de la grande Mosquée de Paris. Ce cadeau, qui m’avait été confié par le Dr. Dalil Boubakeur, notre grand Ulema tricolore arborant fièrement sa Légion d’Honneur, a radicalement transformé un entretien sans intérêt. A la fureur du chaouch du protocole, chargé de faire respecter le programme, le quart d’heure protocolaire a fait place à plus de deux heures d’un riche échange jetant les bases d’une amitié et d’une complicité favorables, avec cet intellectuel musulman, mon contemporain. Nous avons ensuite joué régulièrement au tennis, tandis que j’ai été chaque année invité par Anwar dans son fief de Penang pour les festivités de fin du Ramadhan, et que Chantal, mon épouse nouait une relation amicale avec son épouse, la Dr. Wan Aziza, ophtalmologue formée en Grande Bretagne et mère de six enfants.

 

Un souvenir intact

 

Plus de vingt cinq ans après, le souvenir de cette conversation est intact. Tout a commencé par deux aveux spontanés. Anwar Ibrahim m’ayant demandé quelle était ma perception de l’Islam. Après lui avoir offert la traduction commentée du Coran par Si Hamza Boubakeur, je lui ai confié le rôle déterminant joué, dans ma vie spirituelle, par mon contact avec l’Islam algérien et par les leçons d’un dominicain, Pierre Claverie, mon professeur de langue et de culture arabes.

 

Ce jeune homme politique malais ambitieux et souvent considéré comme intégriste, m’a, de son côté, avoué sa passion pour le siècle des Lumières, de Voltaire à Diderot, sans oublier Rousseau. Interrogé par Anwar sur la laïcité, j’ai apporté la réponse proposée dans une homélie de Mgr Claverie. En prédécesseur du pape François, mon ami, alors évêque d’Oran, avant de devenir martyr des temps modernes, se réfère, dans ce texte, à Lacordaire, et à Lamennais. En obligeant l’église à restituer à César ce qui lui appartient, la Révolution et la République lui ont utilement rappelé la priorité absolue à accorder au message du Christ, sur l’amour du prochain, qui doivent être préférés à la jouissance du pouvoir, de l’influence et de la richesse d’une institution nantie.

 

Le débat a ensuite porté sur les défis auxquels le monde musulman et arabe est confronté, face à la modernité et à l’inégalité d’un rapport de forces, vécu comme une injustice par les nostalgiques d’un passé glorieux. Anwar Ibrahim a regretté sa méconnaissance de la France, dont il admirait surtout les philosophes du siècle des Lumières. Il m’a interrogé sur la capacité de l’idéologie de la Révolution de 1789 à coexister avec les religions révélées.

 

Il a été particulièrement surpris par mes explications sur le paradoxe de la naissance du nationalisme algérien. Celui qui incarnait l’identité musulmane malaise ignorait que la révolution algérienne s’était au départ insurgée contre le refus des autorités française de conférer la pleine citoyenneté aux Algériens musulmans, alors que le décret Crémieux avait accordé l’égalité de traitement aux Juifs sépharades, souvent arabophones, et intégrés à l’histoire et à la réalité sociale du pays. Anwar m’a aussi interrogé sur l’inspiration maçonnique des protectorats français en Tunisie et au Maroc (influence des frères Paul et Jules Cambon, disciples de Jules Ferry, sur les idées de Lyautey quant à la présence française au Maroc).

 

La conversation a abordé deux sujets :

 

– la guerre civile d’une Algérie où je venais de passer six ans, à la veille de la confrontation du FLN et de l’armée, réelle détentrice du pouvoir, avec le fondamentalisme islamique,

– et les chances de succès d’une tentative d’acclimatation d’un Islam «à la française» dans un environnement laïc.

 

Cet échange n’avait rien de théorique et déboucha sur des conseils opérationnels : Anwar m’ouvrit les portes des associations militantes de jeunes Malais musulmans placées sous son contrôle. Il m’encouragea à multiplier les témoignages et les conférences dans les universités islamiques, foyers de fondamentalisme, souvent financées et inspirées par des fondations saoudiennes wahabites. Il me promit aussi son soutien pour faire face à l’offensive intégriste dirigée contre le modèle social et culturel français. En échange, Anwar Ibrahim sollicita mon aide pour contribuer à renforcer sa stature internationale et pour lancer une coopération avec la France, après l’échec subi par son patron, le Dr. Mahathir sur ce sujet.

 

Faute d’accès direct au premier cercle du pouvoir malaisien, l’entourage du président Chirac nouvellement élu, (Jérôme Monod patron de la Lyonnaise des Eaux, acteur majeur en Malaisie, et Frédéric Grasset, un ami et mon prédécesseur à Kuala Lumpur) retient sans hésiter mon idée d’inviter en France, pour une visite informelle, l’adjoint et concurrent potentiel du tout puissant Dr. Mahathir.

 

La réussite de ce «plan B» va résulter de trois facteurs :

 

– l’empathie de Chirac, son talent et son charisme diplomatiques alliés à son intérêt pour l’un des rares pays d’Asie qu’il ne connaissait pas encore ;

–  la curiosité envers la France d’Anwar, jeune intellectuel musulman nourri de stéréotypes britanniques sur notre pays ;

– un réflexe de dépit de la part du maître du jeu politique malaisien, jaloux de découvrir que son vice-premier ministre marchait sur ses brisées en lançant un dialogue franco-malaisien, après l’échec de la visite de 1994.

 

Bien entendu, Anwar Ibrahim, lors d’un de ses séjours discrets à Paris, recevra, à la grande mosquée de Paris, le traitement qui lui était dû pour diriger la prière du vendredi. Il suggéra alors au Dr. Boubakeur de venir en Malaisie faire connaissance avec l’Islam asiatique.

 

Islam Malais et discrimination positive

 

Contrairement au monde arabe, terre natale de l’Islam, l’Asie musulmane doit faire face à une réalité sociale multi-religieuse. En Malaisie, le sunnisme d’inspiration chaféite, religion officielle des Malais, affronte les trois problèmes suivants :

 

1/ la diversité ethnique d’une population, divisée pour l’essentiel entre Malais, Chinois, Indiens et Aborigènes (Orang Asli, surtout dans les deux États sur l’île de Bornéo) ;

2/ l’incertitude statistique sur l’ampleur réelle d’une majorité malaise dans la population de ce pays multiculturel ;

3/ enfin la nécessité de gérer un compromis entre la prétention des Malais musulmans à la légitimité politique pour diriger le Pays, et la diversité de la population malaisienne où la minorité chinoise détient le pouvoir économique.

 

Une ingénierie politique pragmatique sans équivalent a donc été inventée pour remplacer le colonialisme britannique en 1957, dans son rôle d’arbitre entre les groupes ethniques, caractérisés par leur religion et leur langue. Le génie politique du docteur Mahathir réside dans sa capacité à concilier une discrimination positive au profit des Malais musulmans avec une démocratie respectueuse de la diversité de la population.

 

A suivre…..

 

Remerciements à Yves Carmona

 

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