Notre collaborateur Yves Carmona a la plume qui le démange. Comment ne pas l’avoir lorsque sont publiés des livres de mémoire écrits par des ambassadeurs qu’il côtoya et, parfois, fréquenta directement ? «On me demande parfois si au lieu d’écrire de brefs articles, je ne ferais pas mieux, comme l’ont fait des collègues plus anciens et parfois illustres, d’écrire comme eux des livres de souvenirs diplomatiques» s’interroge-t-il.
Une chronique diplomatique d’Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Népal et au Laos
Bien trop peu enclin à écrire longuement et n’ayant pris de notes de mes activités que de manière discontinue, je me mets aussi et surtout à la place des lecteurs. Sont-ils nombreux à lire ces livres de souvenirs d’ex-ambassadeurs ? J’en suis d’autant moins sûr que cette lecture suscite rarement chez moi l’enthousiasme…
Et les rayons des marchands de livres sont assez encombrés pour ne pas en rajouter !
A cela s’ajoute le fait que la qualité de l’écriture ne garantit pas le succès, comme en témoignent deux livres d’anciens ambassadeurs de très haut niveau. Les lire s’est finalement avéré fort intéressant.
Bolton l’américain, Martin le français
Les dernières semaines m’ont en effet permis de lire de John Bolton « The room where it happened » (Simon & Schuster) et de Claude Martin « La diplomatie n’est pas un dîner de gala » (L’Aube).
Qu’on ne s’y trompe pas, John Bolton et Claude Martin sont d’anciens ambassadeurs très différents et ce qu’ils ont écrit l’est également. Mais des points communs entre eux existent et les lire l’un après l’autre ne manque pas de sens.
John Bolton n’a exercé les fonctions d’ambassadeur que durant un an et demie, quand il a représenté le Président George W. Bush et son pays aux Nations Unies (2005-2006).
Alors que Claude Martin a fait toute sa carrière professionnelle dans la diplomatie où il a acquis à vie la distinction rare d’ambassadeur de France.
Privilège de la langue américaine, le dernier livre de John Bolton qui fut « National Security Advisor » du Président Trump pendant 453 jours atteignait déjà le million d’exemplaires vendus dès le premier jour de sa publication début 2020 !
Parfum de scandale
Une partie de ce succès commercial vient aussi du parfum de scandale que son éditeur a su valoriser, puisque l’abondante couverture de presse a mis l’accent sur sa dénonciation d’un Président dont la réélection est censée passionner le monde. John Bolton avait été auparavant conseiller de plusieurs présidents républicains et, comme lui, néo-conservateurs : Reagan, George Bush père et fils.
Celui de Claude Martin paru en 2018 s’est, je le crains, moins vendu mais c’est une vraie œuvre littéraire d’ambassadeur sachant écrire en français. Je peux témoigner que lorsqu’il était diplomate – j’ai un peu côtoyé Claude Martin, dont un article retentissant ne fut pas pour rien dans mon choix de ce métier – aimait écrire.
Son livre en porte la marque, il est passionnant car son auteur est passionné par les pays qu’il traite, au premier rang desquels la Chine et les Chinois, pas seulement ses dirigeants mais aussi ses artistes, son peuple, sa terre…
Le vrai goût de la diplomatie
Claude Martin est un des très rares ambassadeurs qui ont un vrai goût pour la diplomatie, à la fois pour elle-même mais aussi comme moyen de connaître le pays où ils se trouvent.
John Bolton, un militaire devenu acteur de la vie politique au plus haut niveau, voit dans les pays des dossiers dont les acteurs sont ou des ennemis ou, à la rigueur, des alliés à condition qu’ils se conforment à l’intérêt américain tel qu’il l’entend. Dès lors, l’action à plusieurs, qu’elle soit pluri ou multilatérale, n’est utile que si elle sert cet intérêt.
Ils sont donc bien différents mais ces deux personnages ont en commun ce qui devrait aller de soi : l’amour de leur pays. Alors qu’en réalité, leurs livres le dépeignent abondamment, ce qui devrait être un métier au service des élus de la démocratie est le plus souvent dominé par l’intérêt personnel…
L’intérêt national
Ces deux ambassadeurs ont ainsi en commun d’avoir choisi l’intérêt national par fidélité aux idéaux de leurs maîtres à penser ou de leurs inspirateurs idéologiques respectifs, de Gaulle chez l’un, les conservateurs chez l’autre.
Claude Martin est resté fidèle au choix de rester à l’écart de la politique, mettant sa connaissance des pays dont il traite au service des hommes et quelquefois des femmes politiques. A-t-il été tenté par une carrière politique personnelle ? Rien à ce sujet ne transparaît dans son ouvrage.
John Bolton n’a pas non plus recherché le suffrage populaire. Il défend ses idées, sans ambiguïté néo-conservatrices, et ne supporte pas le manque de cohérence du président à les traduire en politique.
Après avoir évoqué ces deux grands ambassadeurs, l’auteur de ces lignes reviendra prochainement sur chacun de leurs deux ouvrages.
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