Notre ami et collaborateur Yves Carmona connait bien la difficulté d’appréhender, en France, les réalités asiatiques. Son parcours diplomatique en Asie, et ses fonctions d’Ambassadeur de France au Népal, et au Laos, l’ont conduit à approcher de prés ces écueils. Pour mieux les surmonter. Il a récemment fait part de son expérience dans le cadre d’un séminaire. Nous reproduisons son intervention.
Nous diffusons ici le texte d’une intervention d’Yves Carmona dans le cadre des conférences «Ecosysteme in Motion» de MDN Consultants
Une anecdote pour commencer. Les décorations chinoises de la rue Sainte-Catherine à Bordeaux montrent comment on voit l’Asie en France : surtout un réservoir d’argent. Une autre anecdote, la symétrie entre la vie du professeur Lu de Taïwan entendu au colloque ce matin et moi-même.
Premier principe: Chacun des pays asiatiques tient en fait à son identité. Seconde réalité: Le défi du XXIème siècle, pour les Asiatiques comme pour les Européens, sera de dépasser ces identités. Caveat méthodologique : je ne parle que des pays où j’ai séjourné ou ai des amis, donc de l’Asie.
L’Asie est une expression géographique.
Chaque pays a une identité forte que j’évoquerai sous l’angle de l’évolution sociale et de la gouvernance.
je parle peu du Japon traité fort bien par d’autres dans ce symposium. Ce que je peux en dire aujourd’hui, c’est que c’est un pays développé qui connaît des problèmes semblables aux nôtres: Covid, vieillissement et exode rural, harassement sexuel, attitude fuyante des politiques…
Singapour est une dictature tournée sans ambages vers les affaires. Elle est gouvernée par le « bruit du tiroir-caisse » disait le regretté Eric Teo. La famille Lee au pouvoir depuis l’indépendance en 1965 maintiendra le pouvoir au sein de la majorité chinoise tout en assurant la promotion des autres, l’objectif étant la stabilité sociale permettant de faire des affaires. Dans ce but, la famille Lee a construit un meilleur des mondes qui défend avant tout son indépendance : le traitement de l’eau, le service militaire obligatoire, un appareil de production qui s’adapte au marché, l’accueil généreux de l’argent d’où qu’il vienne, tout y concourt, sauf la manière dont sont traités les immigrés…
Le Laos est aussi une dictature qui se veut acceptable aujourd’hui, alors qu’elle a été sanglante en 1975, la principale difficulté de sa gouvernance est de garder l’équilibre entre le Vietnam et la Chine. Mais cela préoccupe sans doute peu le rural dont la survie est loin d’être assurée. C’est aussi un vestige de notre empire colonial dans lequel l’influence française reste significative.
Le Népal a aussi une identité particulièrement complexe et fragile.
Il n’existait pas avant le 18ème siècle et n’a été unifié que par la conquête Gorkha de Prithivi Narayan Shah. Il reste marqué par le système des castes qui oppose Katmandou au Sud du pays. C’est aussi un des rares pays d’Asie à n’avoir jamais été officiellement colonisé (l’autre étant la Thaïlande) mais il a été soumis au pouvoir britannique quand l’Angleterre régnait sur le monde. Il est devenu réellement indépendant en 1945 dans une société parcourue par de forts mouvements de société. Aujourd’hui même, ses leaders politiques qui ne sont pas jeunes (ils ont au moins mon âge) se battent notamment autour de l’identité alors que la Covid a fait officiellement plus de 3 000 morts.
D’autres pays mériteraient des développements comme l’immense Indonésie ou le minuscule Brunei. Transition : malgré ces identités nationales très fortes, un pays domine toute l’Asie : la Chine.
La Chine déterminera pour longtemps encore l’avenir de l’Asie
Comme une autre l’évoque dans ce même symposium et que je n’y ai jamais vécu, je mettrai l’accent sur quelques points:
a) La culture chinoise a influencé, positivement ou négativement, toute l’Asie et même le Monde. C’est une réalité millénaire et cela va durer. C’est particulièrement vrai de pays qui ont directement subi cette influence comme le Japon et la Corée du Sud, c’est le cas de pays qui la jouxtent dont beaucoup sont relativement faibles, ceux que j’ai cités mais aussi l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh malgré leurs populations nombreuses. La Birmanie en offre un triste exemple. La Chine profite d’une situation où 200 morts s’opposent à une dictature militaire pour affermir son pouvoir. Pas le Vietnam qui a montré dans son histoire qu’il était prêt à se battre pour préserver son indépendance
b) Mais la Chine a ses problèmes, le plus grave étant de préserver son unité. Le « mandate of the heaven » pour reprendre l’expression du professeur Xiang est la préservation de l’unité territoriale, par exemple à Taïwan, et sociale. Celle-ci est menacée par le contraste grandissant entre la côte et l’intérieur et plus largement entre les riches et les pauvres. On estime ainsi que 600 Millions de Chinois vivent avec 500 USD par an, juste au-dessus du seuil de pauvreté.
c) Enfin, des problèmes mondiaux doivent être traités à l’échelle mondiale, au premier rang desquels la soutenabilité de la croissance économique et la Chine joue sur cet enjeu sa place dans la société mondiale. Acceptera-t-elle de jouer avec les autres ou souhaitera-t-elle avant tout défendre ses intérêts ?
Conclusion personnelle : la France seule est trop petite pour faire le poids (Xiao Guo, « le petit pays » dit-on de la France en mandarin.)
La voie de l’éclatement de l’UE est une voie possible, le succès ou l’échec du Brexit en fournira le test. Mais ce n’est pas mon choix. Seule l’Unité européenne peut et doit lui permettre d’exister mondialement, et aujourd’hui c’est l’Asie qui est leader. L’accent mis récemment sur la renationalisation est, à mon avis, une fausse route due avant tout aux élections à venir. Il faut au contraire – et cela vaut pour d’autres pays ou ensembles régionaux – avancer sur la voie de l’unification.
Yves Carmona