La communauté internationale oublie vite les engagements pris. La pandémie de Covid-19 a fait déferler de nouvelles priorités. Mais à Gavroche, nous avons de la mémoire grâce à la vigilance de nos experts. Alors que se tient cette semaine l’Assemblée générale des Nations unies, le Dr Ioan Voicu, ancien ambassadeur de Roumanie en Thaïlande, vient de rejoindre notre équipe de chroniqueurs. Il est professeur invité à l’université de l’Assomption de Bangkok. Son premier article remet en perspective le rôle diplomatique de la France.
Une chronique diplomatique de Ioan Voicu, professeur invité de l’Université de l’Assomption à Bangkok.
Le 12 décembre 2019, la France, au nom des sept membres de l’Initiative pour la politique étrangère et la santé mondiale – Afrique du Sud, Brésil, France, Indonésie, Norvège, Sénégal et Thaïlande a présenté à la plénière de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) le projet de résolution intitulé “Santé mondiale et politique étrangère: une approche inclusive pour renforcer les systèmes de santé”. Plusieurs paragraphes du projet ont été approuvés par vote, tandis que la résolution dans son ensemble a été adoptée par consensus par 193 membres de l’organisation mondiale.
Il n’y a pas eu de référence au COVID-19 dans toutes les délibérations diplomatiques sur la résolution de 2019 ci-dessus, en dépit du fait que, comme annoncé par la BBC, le 1er décembre 2019, le premier début de symptômes de ce virus a été observé, selon le Lancet medical journal.
Que s’est-il passé entre-temps ?
Pour une réponse équilibrée, nous nous référerons au Rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le travail de l’Organisation, diffusé en août 2020, un texte de 34 pages en version officielle française, dans lequel COVID-19 est mentionné 29 fois. Une section du document, ignorée pour le moment par les grands médias – s’intitule La réponse des Nations Unies au COVID-19. Son premier paragraphe dit: “La pandémie de COVID-19 a fait des centaines de milliers de morts, infecté des millions de personnes, déréglé la vie économique et perturbé tous les aspects de la vie moderne. Au-delà de la crise sanitaire, c’est une crise économique, une crise humanitaire, une crise de sécurité et une crise des droits humains. La réponse mondiale exige que l’on réinvente les structures des sociétés et les modalités de coopération pour le bien de l’humanité.”
À la lumière d’une telle réalité sans précédent, les diplomates de tous les pays du monde auront le devoir impératif de coopérer afin de donner une réponse pratique collective au COVID-19.
Quelle a été la première réaction collective de l’ONU face à la pandémie COVID-19 ?
L’Assemblée générale de l’ONU a adopté en avril 2020 deux résolutions qui s’expliquent d’elles-mêmes par leurs titres officiels: «Solidarité mondiale pour lutter contre la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19)» et «Coopération internationale pour assurer l’accès mondial aux médicaments, vaccins et équipements médicaux pour faire face au COVID-19 “.
En mai 2020, sur proposition de 130 co-auteurs, parmi lesquels la Thaïlande, ainsi que l’Union européenne et ses membres, l’OMS a adopté une résolution globale sur COVID-19. Dans son premier paragraphe du dispositif, l’Assemblée mondiale de la Santé “Demande, dans l’esprit d’unité et de solidarité, l’intensification de la coopération et de la collaboration à tous les niveaux afin de contenir et de contrôler la pandémie COVID-19 et d’atténuer son impact”.
Dernière résolution le 11 septembre
La résolution la plus récente sur la question a été adoptée par l’AGNU le 11 septembre sous le titre «Réponse globale et coordonnée à la pandémie de coronavirus (COVID-19)». Elle compte 14 pages et est le résultat de vastes négociations bilatérales et multilatérales menées dans des circonstances très difficiles générées par COVID-19 à New York, le siège de l’organisation mondiale.
Tous les rapports et résolutions susmentionnés sont sur la table de la 75e session de l’AGNU. Tous recommandent des mesures orientées vers l’action pour lutter contre la pandémie de COVID-19.
Attentes légitimes
À la lumière d’une réalité difficile et sans précédent, les diplomates de tous les pays du monde auront le devoir impératif de coopérer afin de donner une réponse pratique collective à la pandémie du COVID-19.
Les documents de l’ONU et de l’OMS ont le grand mérite de mettre fortement l’accent sur le plein potentiel du multilatéralisme à l’heure actuelle de vulnérabilités, de perplexités et de discontinuités mondiales, considérablement renforcées par la pandémie du COVID-19.
En effet, un multilatéralisme robuste peut contribuer efficacement à résoudre les problèmes planétaires. C’est pourquoi l’Alliance pour le multilatéralisme créée en 2019, à l’initiative de la France et de l’Allemagne, pourrait avoir un rôle positif en donnant tangibilité à un objectif universel vital de promotion d’une coopération internationale dynamique et d’une solidarité mondiale face au COVID-19.
Le 4 septembre 2020, les ministres des Affaires étrangères du G20 ont tenu une réunion extraordinaire pour discuter du renforcement de la coopération internationale afin de diminuer les effets de la pandémie COVID-19, ainsi que du renforcement de la préparation aux futures pandémies.
Les participants à cet important événement diplomatique en ligne ont discuté de l’importance de coordonner les mesures de précaution sur la gestion transfrontalière pour protéger les vies et les moyens de subsistance.
Ouvrir les frontières
Au cours de la réunion, les ministres des Affaires étrangères ont reconnu l’importance d’ouvrir les frontières, d’unir les familles et de promouvoir des mesures pour permettre à l’économie de prospérer à la lumière des mesures de protection adoptées par les organisations de santé et par les réglementations nationales pendant la pandémie COVID-19.
La 75e session actuelle de l’AGNU offrira aux membres du G20 la possibilité de démontrer leur maturité diplomatique en aidant tous les membres de l’ONU à parvenir à un consensus pour une véritable stratégie de promotion et de défense de la santé mondiale.
Si l’histoire nous enseigne que la maturité diplomatique est un phénomène rare au niveau mondial, il ne fait aucun doute qu’à l’heure actuelle la solidarité mondiale dans la lutte contre le COVID-19 restera une pure aspiration si la maturité diplomatique ne devient pas une force de mobilisation capable de surmonter les égoïsmes nationaux dans la recherche de solutions universelles.
Ce que les diplomates participants à la diplomatie multilatérale sous les auspices de l’ONU et de l’OMS sont censés faire, c’est donner aux nations qu’ils représentent une perspective de ce qu’il est possible d’accomplir, les aider à gagner la bataille avec un ennemi invisible.
Les universitaires de nombreux pays insistent sur le fait que la diplomatie multilatérale doit être capable de motiver, catalyser, inspirer, instruire, faciliter, encourager, soutenir, aider à trouver des solutions consensuelles. Mais une maturité diplomatique insuffisante peut être préjudiciable dans ce processus hautement complexe et responsable. Une préparation préalable responsable est une condition impérative pour réussir dans toute initiative diplomatique.
C’est pourquoi certaines propositions interrégionales récentes méritent toute l’attention.
Les représentants du Canada, du Danemark, du Qatar, de la République de Corée et de la Sierra Leone auprès de l’ONU ont informé le Secrétaire général de l’organisation de la création du Groupe des amis de solidarité pour la sécurité sanitaire mondiale, qui comprend 43 États et l’Union européenne.
Ce Groupe, – insuffisamment médiatisé – vise à compléter les efforts mondiaux en cours pour lutter contre la pandémie COVID-19 et d’autres menaces à la sécurité sanitaire mondiale en fournissant une plate-forme informelle aux États membres de l’ONU pour partager leurs expériences, y compris les meilleures pratiques et les leçons appris en répondant au COVID-19 et aux crises sanitaires passées.
Le Groupe concentrera principalement ses discussions sur l’impact du COVID-19 et d’autres crises sanitaires sur la paix et la sécurité, le développement, les droits de l’homme et les aspects humanitaires, et sur la manière de répondre à ces défis. Il adoptera une approche globale et abordera des sujets concernant l’impact vaste et multiforme du COVID-19 et d’autres crises sanitaires.
Le Groupe des Amis a réaffirmé son engagement commun en faveur du multilatéralisme et de l’action collective face à ces défis et encouragera une volonté politique et une solidarité accrues entre les États membres, l’ONU, les universités, la société civile et d’autres acteurs.
Des attentes légitimes peuvent être exprimées quant au succès à long terme des activités du Groupe des amis de la solidarité pour la sécurité sanitaire mondiale.
Une responsabilité inévitable
Le 19 février 2000, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a adopté par consensus un document intitulé «Déclaration de Bangkok: dialogue mondial et engagement dynamique» qui contient des dispositions pertinentes pleinement applicables pendant les périodes de COVID-19.
J’étais dans la salle de conférence lorsque ce premier document programmatique du 21e siècle a été accueilli avec enthousiasme par toutes les délégations. Il dit notamment que “La solidarité et un sens aigu de responsabilité morale doivent inspirer la politique nationale et internationale. Ce sont non seulement des impératifs éthiques, mais aussi les préalables indispensables à un monde prospère, pacifique et sûr, fondé sur un véritable partenariat”.
Après 20 ans, la pleine mise en œuvre de ces objectifs est toujours sur la liste d’attente. Le Secrétaire général des Nations Unies l’a clairement reconnu dans ses remarques du 4 septembre 2020, lors de la réunion extraordinaire des ministres des affaires étrangères du G20 : “nous manquons toujours d’une solidarité internationale efficace pour répondre aux impacts économiques et sociaux et aux fragilités sous-jacentes exposées par la pandémie.”
La 75e session de l’AGNU peut-elle conduire à des solutions significatives?
Comme prévu, la Déclaration déjà adoptée le 21 septembre lors du segment de haut niveau de la session de l’AGNU ne contient pas de solutions spécifiques. On peut attendre d’autres résultats plus concrets a la suite des délibérations de fond de la plénière de l’AGNU sur la santé mondiale et la politique étrangère.
À cet égard, l’Indonésie a déjà annoncé officiellement que lors de sa présidence de l’Initiative de politique étrangère et de santé mondiale en 2020, elle avait choisi «Des soins de santé abordables pour tous» comme thème central.
Étant donné que la promotion de la santé mondiale implique et nécessite des efforts de la part de multiples parties prenantes, l’Indonésie souhaite revitaliser l’Initiative pour traduire cette coopération spécifique en actions et résultats plus concrets et en soins abordables pour tous.
C’est dans ce cadre organisationnel qu’une nouvelle résolution plus réaliste et orientée vers l’action pourrait être adoptée après un examen approfondi du rapport de l’OMS sur le point pertinent de l’ordre du jour.
Dans ce cadre, un authentique test de maturité diplomatique peut avoir lieu. Pourtant, une telle maturité ne peut émerger spontanément sans une forte impulsion de la part des dirigeants nationaux qui ont besoin eux-mêmes d’une véritable maturité politique en tant qu’acteurs de décision.
De l’avis de certains universitaires, la maturité du leadership peut être le facteur le plus négligé dans l’arène politique mondiale. C’est un paradoxe, car presque toutes les décisions significatives des dirigeants nationaux ont des implications multi-systémiques et parfois locales, nationales, régionales et même mondiales affectant la diplomatie. Dans de telles circonstances, pour pouvoir passer le test de la maturité diplomatique, il est nécessaire de tirer parti des capacités de leadership transformatrices les plus matures au niveau national.
Une future «solidarité médicale»
Dans cette perspective, un concept intéressant lancé par le professeur Richard Falk de l’Université de Princeton (États-Unis), l’une des principales autorités mondiales en matière de politique internationale, pourrait être envisagé lors des prochaines délibérations de l’ONU sur la santé mondiale. Le professeur Richard Falk a utilisé l’expression «solidarité médicale» dans un article et dans une récente interview tout en plaidant pour «une géopolitique régie par des règles, ancrée dans le respect de la Charte des Nations Unies et incarnant des engagements pour promouvoir un monde plus pacifique, juste et écologiquement responsable. “
Alors que les futures résolutions de l’ONU devraient contenir des appels au développement de la solidarité mondiale dans la lutte contre le COVID-19, on peut s’attendre à ce que, quelle que soit leur substance, elles ne contiendront que des recommandations. Une résolution n’est en fait qu’une invitation à agir qui peut ne pas être mise en œuvre par certains États membres. C’est une raison valable de redoubler d’efforts diplomatiques pour commencer à préparer une convention internationale consacrée au moins à la “solidarité médicale”. Ce serait un instrument juridique qui, une fois adopté, ratifié et entré en vigueur, obligerait les États parties à agir et à rendre compte périodiquement de la mise en œuvre de ses dispositions.
Dans le cadre de ces efforts, les diplomates pourraient s’inspirer de la sagesse d’un éminent diplomate français, Dominique de Villepin, qui en 2005 définissait le diplomate comme suit:
«Le diplomate est savant, archéologue ou grammarian quand il déchiffre l’énigme des motivations politiques. Il s’improvise géographe pour dessiner des cartes et décider du sort de populations entières. Il devient parfois prophète, lorsqu’il ne s’accommode pas des injustices faites à une nation. Il est l’éternel écrivain du roman national et de l’épopée internationale. Il défend avec passion les idées et les convictions qui ont fait battre son cœur. À commencer par l’obsession de l’équilibre contre le chaos, identitaire ou mondial, et, si celui-ci advient, l’acharnement à trouver le salut dans le mouvement.”
Cette belle définition est une véritable invitation à la responsabilité de tous les acteurs de la diplomatie multilatérale qui devraient passer avec succès, dans un proche avenir, un test de la maturité diplomatique.
Dr Ioan Voicu est professeur invité à l’Université Assomption de Bangkok.
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