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ASIE – GÉOPOLITIQUE : Ce que 2021 a révélé de l’état actuel de l’Asean

Journaliste : Yves Carmona Date de publication : 03/03/2022
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CARTE ASEAN

 

Notre ami Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal, s’est penché sur le sort de l’organisation régionale secouée par le Coup d’État de février 2021 en Birmanie. Explications…

 

Une chronique signée Yves Carmona

 

Traiter de l’ASEAN et surtout des 11 pays de la région n’est pas simple . L’ASEAN en réalité ne fait pas grand chose à part des statistiques et des plans d’action, bridée à l’égard des droits humains par le respect absolu de la souveraineté nationale. Comme le disait Igor Driesmans, ambassadeur de l’UE à Singapour lors d’un webinar ce 26 février, lutter efficacement contre l’inflation, c’est le rôle de la banque centrale européenne. L’ASEAN n’en dispose pas.

 

Quant aux pays d’Asie du Sud-Est, ils sont d’une hétérogénéité extraordinaire, entre la Birmanie qui n’a échappé depuis la deuxième guerre mondiale à la dictature que quelques années et l’Indonésie, la plus peuplée et plus démocratique, entre le Brunei, émirat pétrolier de 461 000 habitants à comparer avec le Vietnam, 97 Millions d’habitants qui retrouve la croissance, entre eux les différences de performances économiques sont considérables, souvent liées aux politiques menées contre la Covid, et quant aux données non-économiques – (politiques bien sûr mais aussi sociales) elles sont abyssales.

 

De cet ensemble que l’Asean n’a pas encore rendu plus solide, prisonnière qu’elle est de son principe d’unanimité, les lignes qui suivent tentent de donner une vue d’ensemble. Merci au lecteur de prendre cela avec distance.

 

Sur le plan politique, l’ASEAN s’est montrée incapable de résoudre le problème que pose la junte birmane.

 

Les pays d’Asie du Sud-Est ne font guère mieux car ils pensent avant tout à leur intérêt.

 

Leurs entreprises et plus encore celles qui investissent dans ce pays martyr ne veulent pas s’aliéner la junte. L’auteur de ces lignes se souvient qu’au milieu des années 90 venaient à Singapour les généraux qui s’y faisaient soigner car la médecine était (déjà) dans un état peu satisfaisant en Birmanie ; quant aux réfugiés, leurs activités étaient florissantes dans la « petite Rangoun » à condition, comme les autres, de ne pas faire de politique publiquement. Dans la cité-État, les affaires sont les affaires et ne sauraient être dérangées.

 

Car au carrefour du politique et d’autres considérations, c’est bien l’économie qui motive la région. La Covid a sévi là comme ailleurs et rien ne dit qu’on ait fini avec la pandémie. L’économie, si prospère auparavant, en a subi le contrecoup. La situation a été très mauvaise en 2020 et guère meilleure en 2021.

 

Les chiffres suivants qui regroupent population, capitale, PNB en 2021 ainsi que l’année précédente, et le PNB per capita le montrent .

 

Thaïlande, Bangkok, 69,7 Mons d’h
PNB 546
-0,3 % (2021)
+7,6% (2020)
17287 per capita

 

Birmanie, Nay Pi Daw, 54,8 Mons d’h.
PNB 66,74
-10 (2021)
+1,69 (2020)
4544 per capita

 

Cambodge, Phnom Penh, 15,8 Mons d’h.

PNB 29,8
-3,1% (2021)
+7,1% (2020)
4192 per capita

 

Laos, Vientiane, 7,2 Mons d’h.
PNB 19,9 Mds $
+0,4%
+5,5%
7806 per capita

 

Vietnam, Hanoï, 97,6 Mons d’h.
PNB 290Mds
+5,22 %
-6,02 %
8200 per capita

 

Malaisie, Putrajaya, 32,7 Mons d’h.
PNB 359
+3,6 % après -4,5%
26435 per capita

 

Singapour, 5,7 Mons d’h.
PNB 390
+6,1
+7,5
Per capita 93397

 

Indonésie, capitale Jakarta, 270,2 Mons d’h.
PNB 1150
5,02%
3,51%
Per capita 11445

 

Brunei, capitale Dar Es Salam, 0,46 Mons d’h.
PNB 15.69

 

Philippines, capitale Manille, 110 Mons d’h.
PNB 379
+7,9%
-8,9%
7954 per capita

 

Timor Oriental, capitale Dili,1,3 Mon d’h.
PNB 2
+22,73%
4031 per capita

 

Elle est venue s’ajouter à un problème de plus en plus crucial, l’affrontement entre les Etats-Unis et la Chine.

 

Les pays d’Asie du Sud-Est ont intérêt à ne pas choisir et n’aiment pas avoir à le faire car ils ont besoin à la fois des Etats-Unis pour leur sécurité et de la croissance chinoise.

 

Regardons maintenant l’histoire de ces pays en s’en tenant à ce qui s’est passé depuis la 2 guerre mondiale. Là aussi, l’hétérogénéité> est frappante car chacun de ces pays est par-dessus tout attaché à son identité, trouvant ses racines dans un passé très ancien. Elle repose sur plusieurs composantes : une histoire politique, la religion, une cohésion nationale souvent difficile à préserver et des langues fort diverses.

 

Histoire politique : ne parlons pas de la Birmanie où le coup d’État est quasi permanent ; un pays comme la Thaïlande, jamais colonisé, punit le crime de lèse majesté mais pas le général Prayud qui a pris le pouvoir par la force ; le Cambodge n’a mis fin au drame des Khmers Rouges que pour tomber sous la coupe de celui qui l’avait permis, le Premier ministre Hun Sen ; en Malaisie, le pouvoir est réservé aux « Bumiputra », fils du sol, ce qui en fait un exemple de prépondérance de l’identité ; à Singapour et Brunei, le pouvoir est de facto ou de jure héréditaire ; en Indonésie, qui est plus près d’une démocratie, le Président doit donner des gages aux extrémistes pour rester au pouvoir ; aux Philippines, le Président Duterte, ancien chef de la police, fait tirer à vue sur les trafiquants de drogue ; quant aux pouvoirs de type communiste donc à parti unique du Laos et du Vietnam, il est bien difficile de savoir ce qui se passe dans le cercle fermé d’une présidence collégiale.

 

Histoire religieuse : là aussi la diversité est de règle, entre les pays où elle n’existe quasiment pas comme la Malaisie et l’Indonésie et Singapour où une laïcité scrupuleuse pour ne pas dresser les communautés les unes contre les autres envoie en prison ceux qui ont insulté les musulmans. N’oublions pas non plus que les bouddhistes, de diverses appartenances, sont nombreux.

 

Cohésion nationale : elle est souvent difficile à préserver dans les États d’une certaine taille, des exemples de quasi sécession étant fournis par la Birmanie, la Thaïlande, la Malaisie et les Philippines ; dans un passé heureusement révolu ce fut le cas du Cambodge et de l’Indonésie. Les langues sont également d’une grande floraison entre les dérivés du sanskrit, du chinois, de langues européennes sans parler de langues parlées dans chacune des ethnies.

 

Mais heureusement, les pays d’Asie du Sud-Est donnent aussi l’exemple du plurilatéralisme et ont ainsi contribué à créer de nombreuses instances de dialogue qui donnent crédit à « l’Asian Way » permettant à des conversations de se tenir en-dehors du cadre formel des réunions : création de l’ ASEAN et de l’Asean Regional Forum en 1967, de l’ ASEM en 1996, du Shangri-La dialogue en 2002, le seul avec la Wehrkunde de Munich à pouvoir rassembler autant de pays au niveau ministériel, le RECAAP en 2004 et enfin l’East Asia Summit en 2005. Il est frappant de voir que des pays aussi différents que ceux de l’ASEAN ont su garder la cohésion que celle-ci a instaurée.

 

On a peine à croire que 2022 puisse être aussi difficile sur le plan économique mais il reste à voir si le relâchement des règles est possible sans mettre en danger la sécurité sanitaire. Les médecins eux-mêmes ne savent pas comment la Covid va tourner. Le variant Omicron, bien que réputé moins dangereux, tue encore beaucoup, même dans des pays très développés. Une des tâches principales de l’Indonésie, qui préside le G20 en 2022 sera de veiller à ce que le Covax soit diffusé auprès des pays pauvres et il faut lui souhaiter bonne chance, c’est l’intérêt de tous en même temps que des personnes concernées.

 

Mais en dépassant la seule composante économique, les pays d’Asie du Sud-Est sont soucieux, et y parviennent assez bien jusqu’à présent, de maintenir la « centralité » de leur ensemble. C’est ainsi que le RECAAP permet à des pays qui entretiennent des relations peu amicales avec l’aide de puissances de la région d’assurer ensemble des patrouilles anti-piraterie distinctes mais coordonnées; c’est aussi grâce à l’ARF que les Etats-Unis et la Corée du Nord ont pu s’asseoir autour de la même table; c’est au « Shangri-la dialogue » tenu à Singapour que des pays au bord de la belligérance peuvent dialoguer quand ils ne se font pas la guerre; c’est enfin grâce à l’ASEM que des pays aussi éloignés que la Chine et le Japon peuvent se dire leurs quatre vérités.

 

Certes, il ne s’agit que de se parler mais n’est-ce pas, comme d’autres crises le montrent, mieux que la guerre ?

 

Yves Carmona

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