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ASIE – GÉOPOLITIQUE: Entre inquiétudes et commerce, l’occident écartelé face à la Chine

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 15/09/2019
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L’excellente revue française Études dresse dans son dernier numéro, sous la plume du consultant Lionel vairon, un long panorama de la puissance chinoise et de l’inquiétude qu’elle inspire en occident. Une réalité bien éloignée de l’Asie du sud-est ? Erreur. L’on sait combien, de Bangkok à Singapour en passant par Hanoï, tout ce qui émane de Pékin a une conséquence sur le quotidien de la région. L’on a aussi vu combien, à Hong Kong, le régime chinois peut être remis en cause par la jeunesse. Nous publions ici une partie de ce long article dont nous vous recommandons la lecture complète ici, sur le site de la revue.

 

La Chine doit-elle nous « inquiéter » ? Son émergence est sans conteste le phénomène central dans les relations internationales au XXie siècle. Les bouleversements profonds qu’elle ne cesse d’entraîner au fil des mois et des années tant sur le plan politique qu’économique laissent planer l’ombre d’une transformation radicale de l’ordre international tel qu’il a été construit après la Seconde Guerre mondiale, un ordre d’abord bipolaire jusqu’à l’effondrement de l’Union Soviétique, puis unipolaire depuis vingt ans.

 

La perspective d’un monde multipolaire tel que la Chine semble le souhaiter ouvre des perspectives inconnues et par conséquent potentiellement dangereuses. Face à un affaiblissement stratégique de la puissance américaine consécutif à l’échec des stratégies menées en Afghanistan et en Irak, où il est désormais évident que le Nation building est un échec et que les interventions militaires n’ont conduit qu’à une déstabilisation encore plus grande des régions concernées, et aux révoltes arabes dont les principaux acteurs semblent surtout vouloir s’affranchir de la domination américaine, les autres puissances et les regroupements de nations semblent s’orienter davantage vers une bunkérisation de leurs espaces stratégiques que vers une poursuite de la globalisation et de l’ouverture prêchée par la philosophie libérale.

 

Réflexe sécuritaire

 

Le réflexe sécuritaire est à l’œuvre, celui qui conduit à soupçonner les étrangers de tous les maux de la nation, à limiter sinon mettre un terme aux mouvements de population, à se surarmer face à des menaces réelles, exagérées voire imaginaires. Dans un mouvement de défiance à l’égard du Sud, l’Union Européenne accepte que le rideau de missiles du bouclier américain, formellement dirigé contre l’Iran et la Corée du Nord, s’installe dans le Sud de l’Espagne, tourné face à la Méditerranée… Cette politique sécuritaire pose un grave défi : une sécurité accrue d’un État ou bien d’un groupe d’États n’affaiblit-elle pas la sécurité des autres ?

 

Chine et États-Unis : deux modèles

 

Telle est aujourd’hui la question posée à propos de la Chine et qui sous-tend le mythe tenace de la menace chinoise. Largement encerclée par les forces américaines, dans le Pacifique, dans l’Océan Indien et en Asie centrale, face à un discours le plus souvent hostile de la part de Washington et à une stratégie d’alliances avec les États de sa périphérie (Inde, Vietnam, Japon, etc.), la Chine accentue sa modernisation militaire et renforce ses capacités d’action dans un rayon de plus en plus étendu au-delà de sa périphérie immédiate. Cette puissance militaire croissante, qui ambitionne de repousser dans le Pacifique au-delà de Guam la flotte américaine pour « libérer » la côte orientale des pressions américaines, est-elle in fine défensive ou offensive ? S’agit-il effectivement pour Beijing de réduire les moyens de pression militaire des États-Unis ou bien de préparer une nouvelle étape de la globalisation de ses forces afin de jouer un rôle croissant sur le plan stratégique dans de nouvelles régions éloignées de ses rivages ?

 

Postulat idéologique

 

La réponse relève naturellement non seulement de l’analyse stratégique mais aussi et surtout d’un postulat idéologique : il est communément admis, en dépit de ses nombreux détracteurs, que la puissance américaine est bienveillante et qu’elle ne cherche qu’à servir les intérêts de l’ensemble de la communauté internationale. Le sénateur américain Joe Biden déclarait ainsi récemment : « Comme je l’ai dit aux dirigeants et au peuple chinois, l’Amérique est une puissance pacifique et le restera. Ce point de vue idéologique repose sur le mythe d’une nation américaine démocratique, libérale et aspirant à convaincre le reste de la planète de l’exemplarité de son modèle politique, économique et social, et ce pour le bien du plus grand nombre.

 

Face à ce mythe soigneusement entretenu malgré les guerres d’invasion et le mensonge érigé en règle de gouvernement par certaines administrations, notamment celle de Bush Jr, la Chine, officiellement communiste, ne peut être que l’envers de ce tableau idyllique, une puissance négative ne cherchant à conquérir la planète que dans son intérêt propre sans considération pour celui des autres nations et véhiculant un modèle politique, économique et social inquiétant et foncièrement inégalitaire. L’analyse approfondie des réalités de ces deux « modèles », qui révèle de nombreuses approximations dans la présentation faite de la situation de la Chine, incite à nuancer les critiques pour tenir compte des réalités objectives et des contraintes spécifiques à un pays de cette dimension.

 

Pas de période de grâce

 

L’idée selon laquelle une sorte de période de grâce pourrait être concédée à la Chine dans cette phase de développement, qui tiendrait des acquis incontestables de ces trente dernières années dans tous les domaines, y compris politique, ne réussit pas à atténuer l’impact du discours dominant sur la « menace chinoise ». Le discours persistant chez de nombreux auteurs européens et américains affirmant la soif de « revanche » de la Chine , sa volonté de restaurer sa grandeur impériale passée, par la force si nécessaire, le caractère naturellement sournois du discours chinois qui ne cesserait d’évoquer la paix que pour mieux préparer la guerre, contribue à accroître dans l’opinion publique le sentiment de danger face à la montée en puissance de la Chine. En fait, nous sommes confrontés à la fin d’une séquence historique durant laquelle l’Occident a fait figure de centre organisateur du monde, comme le souligne Jean-Claude Guillebaud et dont la perspective, compte tenu de l’incompréhension générale vis-à-vis de la Chine, ne cesse de faire croître une sourde angoisse parmi les opinions publiques occidentales.

 

Une puissance militaire responsable

 

Ce concept même de « menace » correspond à une réalité très floue. Le défi posé par la puissance chinoise aux autres acteurs de la société internationale est de trois ordres : militaire, économique et politique. Sur le plan militaire, la Chine ne peut raisonnablement être considérée comme une menace au plan international, en dépit de la croissance constante de son budget militaire depuis trente ans. Le découplage de ses forces avec les États-Unis est de l’ordre d’un à dix et si ses dépenses militaires ne sont plus négligeables, ses capacités réelles demeurent très limitées, en particulier en matière de projection. Les opérations auxquelles nous avons assisté depuis un an au large des côtes somaliennes contre la piraterie ou bien en Libye pour l’évacuation de 36 000 de ses ressortissants dans ce pays sont tout à fait marginales, même si elles indiquent une tendance, et ne constituent en rien des prouesses militaires.

 

Il s’agissait plutôt dans le premier cas de franchir un nouveau pas en s’affirmant comme une puissance responsable aux côtés des autres nations engagées dans la lutte contre la piraterie maritime, d’autant que les bateaux chinois eux-mêmes étaient visés par ces actions de piraterie, et dans le second cas de prouver à l’opinion publique chinoise que le gouvernement était solidaire à l’égard de ses ressortissants dispersés sur la planète et qu’il était capable de les secourir autant que de besoin, même dans des contrées très éloignées. Cette dernière opération a toutefois eu pour effet de provoquer un débat intense sur cette relation entre les citoyens chinois expatriés et leur gouvernement et sur le coût que représenterait pour la Chine une multiplication d’interventions de ce type compte tenu du nombre croissant de Chinois expatriés.

 

Menace militaire

 

Du côté dit occidental, la perception de cette menace sur le plan militaire est assez sensiblement différente. En effet, les Européens se sentent beaucoup moins concernés par cette augmentation du potentiel militaire chinois dans la mesure où ils sont très largement absents du continent asiatique, à l’exception notoire de l’Afghanistan depuis 2011, mais de manière transitoire. Les États-Unis à l’opposé voient émerger une rivale très sérieuse pour leur domination stratégique de l’Asie océanique et leurs positions menacées à terme. Les militaires chinois ne font pas mystère de leurs ambitions de retirer aux forces américaines le contrôle du détroit de Taïwan, des mers de Chine orientale et méridionale, voire de l’océan Indien. Les côtes orientales de la Chine, le long desquelles est implanté environ 70 % de son potentiel industriel, se situent à portée de missiles de la flotte américaine et les principales grandes villes du pays également.

 

Extrême sensibilité

 

La réaction violente de la Chine en juillet 2010 lorsque les États-Unis, dans le cadre des exercices militaires avec la Corée du Sud, ont fait entrer dans la zone le porte-avions Georges Washington, à quelques centaines de kilomètres seulement de la capitale Beijing, a confirmé sa sensibilité extrême face à la présence militaire américaine dans le Pacifique occidental. Avec cette volonté désormais affichée à travers diverses déclarations d’officiers supérieurs chinois de développer des capacités propres de projection, la Chine entend non seulement assumer davantage de responsabilités en matière sécuritaire à l’égard de la communauté internationale, mais aussi et sans doute surtout obtenir des autres puissances, et en premier lieu des États-Unis, le respect auquel elle estime avoir droit. Cette aspiration ne se traduit pas pour autant par une augmentation du risque de conflit ouvert. Il est même vraisemblable que cette puissance nouvelle conduise à écarter le risque de conflit avec les États-Unis. Mais le danger n’est que déplacé à un niveau régional, local.

 

Lionel Vairon

 

La suite dans la Revue Etudes ou sur le site académique Cairn Info

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