Gavroche est une plate forme d’information et d’expertise sur l’Asie. Or comment nier le poids des États-Unis dans cette région du monde ? Comprendre ce qui va se passer à Washington après l’élection du 3 novembre prochain est donc crucial. Notre collaborateur et chroniqueur Yves Carmona a donc lu le livre de John Bolton, qui fut le conseiller de Donald Trump.
Une chronique d’Yves Carmona, ancien ambassadeur de France au Népal et au Laos
Qu’on ne s’y trompe pas, John Bolton, conservateur assumé, était d’accord avec Donald Trump sur les objectifs : « Make America great again. ».
Ses références idéologiques sont clairement citées dès l’introduction de son livre :
« I liked to say my policy was pro-American. I followed Adam Smith on economics, Edmund Burke on society, The Federalist papers on government », and a merger of Dean Acheson and John Foster Dulles on national security. My first political campaigning was in 1964 on behalf of Barry Goldwater.”
Commentateur sur la chaîne de TV « Fox News », Trump le consulte dès sa campagne victorieuse mais il n’est nommé après divers avatars « National Security Advisor » que le 9 avril 2018 et en démissionne le 9 septembre 2019.
Pourquoi lire ce livre ?
Cette fonction, qui couvre le Ministère des affaires étrangères et le Ministère de la Défense, n’existe pas telle quelle en France. Bolton considère comme ses homologues le conseiller diplomatique du Président français et d’autres pays dans lesquels le Président dirige l’exécutif comme la Russie, la Chine, la Turquie et les deux Corée, et les conseillers des premiers ministres anglais, allemand, israélien ou japonais. Ce seront donc en France Philippe Etienne, diplomate de carrière, qui a également été mon supérieur, puis Emmanuel Bonne.
Pourquoi avoir lu un ambassadeur dont l’idéologie n’est pas précisément la mienne ? Plusieurs raisons à cela.
– Parce qu’une telle transparence sur le fonctionnement de l’appareil d’État n’existe pas ailleurs. Lire sous le script précis mais dénué de saveur littéraire d’un acteur de très haut niveau comment fonctionnait et probablement fonctionne encore la société internationale est fascinant.
– On a très rapidement droit à son regard sans complaisance sur le système diplomatique français, entre autres systèmes. Il dépeint ainsi le Président Macron (« une fouine »), son conseiller diplomatique déjà mentionné, à l’occasion le Ministre des finances Le Maire qui négocie avec son homologue américain Mnuchin sans que le NSA en soit tenu informé, reflet du « chaos » qui règne à la Maison blanche.
En revanche, le Ministre des affaires étrangères, celle des Armées, sans parler du Premier ministre, n’existent quasiment pas. John Bolton ne parle qu’aux très grands, chefs d’État et de gouvernement ou leurs conseillers.
– Il tient à faire une claire distinction entre son rôle et celui du Président élu.
Les crises qui touchent les États-Unis
Le succès de M. Trump permet de passer en revue les crises et les sujets qui mettent en cause les États-Unis, donc son conseiller de sécurité nationale, et ces sujets sont nombreux et encore actuels.
On voit ainsi l’ambassadeur Bolton passer en revue la Syrie, l’Iran, l’Irak, la Corée du Nord, la Russie – mais c’est sur l’Ukraine que l’attitude du Président Trump le conduira à démissionner – l’Afghanistan, la Chine et dans l’hémisphère américain le Venezuela, Cuba et le Nicaragua.
Confrontation aussi avec les alliés de l’OTAN, du G7, du G20, le Royaume-Uni, la RFA, le Japon, la Corée du Sud, les voisins mexicain et canadien. Le reproche systématique à leur égard de M. Trump est de ne pas payer assez pour leur défense assurée croit-il par les États-Unis.
Seuls restent exempts de pressions malgré leur puissance Israël et les Emirats arabes Unis…
La « ligne » de John Bolton peut se résumer ainsi : d’accord sur l’objectif « Make America great again » avec le Président, il fait ce qu’il peut pour empêcher celui-ci de jouer contre l’intérêt américain, quelles que soient ses raisons. Parfois, c’est tout simplement faute de travailler ses dossiers et de comprendre les motivations de l’adversaire, typiquement Kim Jong Un, mais de plus en plus à mesure qu’on approche de l’échéance électorale parce qu’il ne vise que sa réélection et c’est ainsi que sur l’Ukraine, John Bolton est amené à témoigner au Congrès contre M. Trump…
Le passif multilatéral
Enfin, les accords multilatéraux ou plurilatéraux auxquels les États-Unis sont partie – Nations Unies et organisations qui en sont subsidiaires comme l’Organisation mondiale de la santé, accords sur l’Iran et sur le changement climatique, accord sur les missiles FNI, G7, etc – font aux yeux de MM Trump et Bolton partie d’un passif funeste et dispendieux. Bolton et le Président s’en prennent tout particulièrement à l’héritage du Président Obama. Cet héritage est contraire à l’intérêt national américain…
Il en va ainsi, pour le Président comme pour son conseiller, de l’ensemble du « soft power », en bref de tout ce qui concourt à faire des États-Unis un pays qui parle à tout le monde.
Et en creux, on mesure la grande indifférence à ceux qui ne menacent pas directement l’intérêt national américain ou ne le servent pas.
L’histoire, cette grande absente
On mesure aussi l’absence de regard sur l’Histoire. Est-ce propre à la fonction qu’occupe John Bolton ? Ou est-ce un trait partagé avec son président et, en fait, son électorat ? Toujours est-il que les crises qui occupent naturellement le conseiller à la sécurité nationale semblent se produire à ce moment-là, quasiment sans référence à ce qui a pu se passer historiquement dans les pays concernés – or la plupart d’entre eux sont bien davantage chargés d’histoire que l’Amérique chère à cet ambassadeur ! John Bolton ne les évoque pas.
Le désordre américain
A guise de conclusion, on relève que c’est sur la méthode, ou plutôt son absence, c’est sur le désordre que l’ambassadeur Bolton est amené à témoigner dans le procès pour « impeachment » intenté par le Congrès.
Ce procès est gagné par le président grâce à la majorité républicaine au Sénat et Bolton a été amené à revoir son livre à la lumière du procès.
C’est principalement sur la procédure qu’a porté le regard des médias. M. Trump l’a gagné car il ne pouvait perdre mais le témoignage de Bolton montre sans appel qu’il a confondu son intérêt personnel avec celui des États-Unis. Traîtrise, comme le disent M. Trump lui-même et ses fidèles ?
Les électeurs américains trancheront.
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