Une chronique géopolitique d’Yves Carmona, ancien ambassadeur de France au Laos et au Népal.
Tout le monde en parle, pour dire que certains pays ont manifesté leur opposition car les pays « riches » n’ont pas promis assez d’argent aux pays pauvres, notamment l’Inde, ou leur frustration comme le Népal. Et puis, l’actualité se déplace et on cesse d’en parler jusqu’à la COP suivante. Au fait, une COP cela veut dire « conférence des parties » sous l’égide de l’ONU car tous les États signataires de la convention climat en font partie, la première ayant eu lieu en 1995 ; mais participent aussi aux discussions les ONG, associations, etc, en tout plus de 70 000 délégués en 2023. La COP 29 vient de se tenir à Bakou (Russie), le nombre de participants n’est pas connu.
Pendant une COP, on vérifie si les États ont tenu leurs engagements et c’est là où ça se complique. Le ministre qui présidait en fanfare la COP 21 à Paris l’avait présentée comme « contraignante » mais cela n’a empêché personne de trahir ses promesses et Donald Trump de la dénoncer dès qu’il a été élu Président (2016-2020).
Ce n’est pas sans conséquence. Ainsi Erik Solheim, ancien ministre norvégien du développement et ancien directeur du Programme des Nations Unies pour l’environnement (2016-2018) met l’accent sur une probable nouvelle dénonciation dès sa prise de fonctions par le Président américain, pourtant à la tête d’un État qui pollue en CO2 plus qu’aucun autre sur notre planète qui souffre déjà un peu partout du dérèglement climatique, y compris en Asie. M. Solheim écrit : « La réunion a eu lieu une semaine après une inondation qui a coûté la vie à plus de 200 personnes dans l’un des pays les plus développés du monde, l’Espagne.
En septembre, 250 autres personnes ont trouvé la mort dans des inondations au Népal. L’année dernière, des inondations ont causé des dégâts considérables au Pakistan et en Chine. L’été dernier, le nord de l’Inde a connu des températures de 52°C dans des régions où très peu de gens ont accès à des climatiseurs.»
Autrement dit, et beaucoup le disent, il y a urgence à lutter contre ce phénomène et l’arrivée de Trump n’est pas une bonne nouvelle. Seulement, les Etats-Unis comptent de moins en moins – et pas seulement en matière climatique d’ailleurs – car le plus gros pollueur est depuis longtemps la Chine qui sait que la lutte pour le climat repose largement sur elle. La Chine est la nation indispensable à l’action climatique, et non les États-Unis.
L’année dernière, elle a fourni les deux tiers de l’ensemble des énergies renouvelables mondiales. Elle a produit 60 % ou plus de tout ce qui est vert – voitures électriques, bus et batteries, panneaux solaires et éoliennes, hydroélectricité et trains à grande vitesse. La Chine est également le plus grand planteur d’arbres au monde, et de loin.
Rappelons d’ailleurs que c’est l’accord entre les Etats-Unis et la Chine qui avait permis la conclusion de la COP 21. Mais elle n’est pas seule à être consciente des efforts à faire : « L’Inde vise à produire 500 gigawatts d’énergie solaire, éolienne et hydroélectrique d’ici à 2030. Le Premier ministre Modi lance des « missions vertes », comme un programme visant à équiper 10 millions de foyers de panneaux solaires. Des États indiens comme le Gujarat ont de grandes ambitions écologiques.
L’Indonésie, deuxième plus grande nation de forêt tropicale, a considérablement réduit la déforestation. Le Brésil lui emboîte le pas. L’Europe est désormais dépassée par l’Asie en tant que leader en matière de climat.»
Et de poursuivre, c’est encore plus cruel pour Washington : « Le monde peut très bien se passer des États-Unis. Deuxièmement, de puissants États américains soutiennent l’action climatique. La Californie, New York et d’autres n’abandonneront pas leurs efforts écologiques et combattront Trump bec et ongles.
Ce sont les entreprises qui mènent la charge, et non les gouvernements. Aucune grande entreprise américaine n’a salué la dernière fois que Trump a retiré les États-Unis de l’accord de Paris. Les entreprises américaines voient dans l’économie verte des opportunités de croissance et d’emploi. »
C’est pourquoi il serait absurde de faire de la COP 29 un théâtre de négociation dans lequel la Chine – éternel adversaire – aurait sans coup férir ramassé la mise : «Le marché automobile chinois est déjà plus important que le marché américain et il est alimenté par des batteries.
Les entreprises américaines hésitent à laisser le marché des voitures électriques ou de l’énergie verte entièrement entre les mains de la Chine.»
Bien au contraire, on se bat dans ce nouveau capitalisme pour être numéro 1 aussi dans la décarbonation.
M. Erik Solheim conclut : « La tendance globale vers un monde multipolaire dominé par le Sud va s’accélérer. Après un siècle de domination américaine dans les affaires du monde, l’ascension de l’Asie n’est pas nécessairement mauvaise pour la planète.
De fait, toute la planète est concernée.
La plupart des grands médias japonais annoncent que la COP29 de Bakou s’est achevée sur un accord visant à tripler le financement annuel de la lutte contre le changement climatique pour le porter à 300 milliards de dollars d’ici à 2035 au lieu des 100 Milliards par an, objectif de l’accord de Copenhague conclu en 2009, les contributions étant menées par les pays développés, dont le Japon, et complétées par des investissements privés. L’objectif est de mobiliser 1,3 billion de dollars par an pour soutenir les efforts climatiques des pays en développement.
Pour la première fois, le texte de l’accord “encourage” également la Chine et les autres nations émergentes et très émettrices, les “pays les plus développés parmi les pays en développement” — une formule régulièrement mise en avant par les négociateurs chinois — à apporter leur contribution aux côtés des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon. Toutefois, si ces pays ne sont pas explicitement inclus dans le cadre de financement climatique obligatoire, ils le sont cependant via les Banques Multilatérales de développement.
Ce n’a pas empêché de nombreux pays en développement de critiquer l’accord, le jugeant insuffisant et soulignant les tensions actuelles sur les responsabilités en matière de climat. Or d’un même souffle le gouvernement japonais a approuvé un plan de relance économique de 39 000 trillions de yen (238,5 Milliards €) pour faire face à la hausse du coût de la vie et stimuler la croissance. En somme, comment faire pour mener de front les deux objectifs, lutte pour l’environnement et la croissance ?
De nombreux experts ont évoqué la fusion des préoccupations environnementales et économiques pour créer un argumentaire plus convaincant.
Étant donné que l’Inde et le Pakistan sont tous deux vulnérables aux inondations, aux sécheresses et aux vagues de chaleur, la coopération s’impose dans des domaines communs importants tels que la gestion de l’eau comme le traité de 1960 sur les eaux de l’Indus.
D’autre part, dans ce contexte d’insuffisance du financement de la lutte contre l’émission de CO2, l’Asie du Sud-Est (ASE) cherche, avec l’aide de la Banque asiatique de Développement (BAD), à en retirer la plus grande part possible car elle ressent fortement les effets dévastateurs du changement climatique.
En 2018–2019, le financement du climat a été limité à $27.8 billion soit 5% de ce que les Nations Unies ont fléché pour l’Asie et le Pacifique – chiffres à ajuster à mesure que les États rédigent leurs plans nationaux.
Le risque est que l’atténuation éclipse l’adaptation car les projets y sont plus réduits et fragmentés, comme de construire des habitations résistant aux tempêtes, cultiver des variétés adaptées aux sécheresses, créer des réserves d’eau, investir dans la protection sociale… Les investisseurs préfèrent les gros projets d’énergie renouvelable.
La BAD s’efforce donc de convaincre les Ministères des finances d’un meilleur équilibre dans la « ASEAN Climate Finance Policy Platform ».
Mais elle veille également à ce que le capital privé y contribue à hauteur de 20%, notamment par des technologies faiblement carbonées.
Pour chaque pays, la BAD a identifié les risques du changement climatique et la manière d’y répondre.
1 Au Laos, l’analyse de l’impact économique des inondations.
2. Au Cambodge et aux Philippines, le passage du charbon à des sources d’énergie propres.
3. En Indonésie, la mobilisation de financements privés verts.
4. Aux Philippines, le financement de collectivité locales.
5. En Malaisie, une bourse, conforme à la charia, d’échange de droits au carbone
6. A Singapour, la taxation du carbone
7. Un cadre pour l’ensemble de l’ASE élaboré par les Ministres des finances
8. En Thaïlande, l’émission en 2020 d’obligations d’État pour financer des projets d’infrastructure et verte et de protection sociale. Mais s’il n’y avait que le climat…
Presque simultanément, la 16e conférence de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (COP16 Biodiversité) s’est tenue à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 1er novembre. La biodiversité et le climat sont intriqués, et il serait cohérent de n’avoir qu’une seule COP, mais en consacrer une à la biodiversité permet de flécher certains financements. Un jour peut-être une vraie trajectoire de sortie du carbone et des énergies fossiles permettra de penser ensemble ces enjeux, qui sont en réalité les deux faces d’une même médaille.
Pour l’heure néanmoins, le risque est que des solutions en faveur du climat continuent d’être contre-productives telles que le développement de monocultures afin de stocker du carbone ou la production de biocarburants qui conduisent à la destruction d’écosystèmes riches et à la déforestation.
D’autre part, la biodiversité manque d’indicateurs quantitatifs précis, les experts de la biodiversité sont contraints de réfléchir à partir d’estimations. Pourtant, plus de la moitié du PIB mondial dépend directement de la biodiversité !
Trois objectifs étaient avancés pour la COP de Cali : le financement ; l’élaboration d’indicateurs de suivi des engagements qui soient reconnus au niveau international ; le partage des ressources génétiques. Les deux premiers, qui étaient les principaux, n’ont pas abouti.
A la fin de la COP16, seuls 44 pays avaient actualisé leurs plans d’actions nationaux.
En revanche, la question du partage des ressources génétiques et de la préservation des ressources indispensables aux laboratoires pharmaceutiques – sachant que, ces trente dernières années, plus de 80 % des anticancéreux mis sur le marché étaient issus de plantes médicinales ou inspirés de leurs propriétés – a avancé.
Désormais, un fonds séparé, administré par les Nations Unies, recevra un pourcentage du chiffre d’affaires des industries en rétribution de l’utilisation de séquence génétique. Une partie sera reversée aux peuples autochtones (5 % de la population mondiale), qui vivent dans des écosystèmes occupant ¼ de la surface de la planète mais où se trouvent 80 % de la biodiversité mondiale.
Comme pour le climat, il en va de l’intérêt même des entreprises de faire face aux risques liés à la perte de biodiversité, qui sont principalement de deux sortes – sans même parler des risques physiques et juridiques :
- le retard par rapport aux entreprises innovantes qui ont pris la mesure de l’enjeu majeur représenté par la biodiversité ;
- la gestion des coûts financiers liés aux risques que les entreprises ne pourront plus assumer et que les assurances ne voudront plus assurer.
Les choix en faveur de la biodiversité vont tous coûter plus cher au début mais les entreprises y gagneront sur le long terme.
Commentaires :
1. Les résultats de la COP 29 climat ont déçu mais tout n’a pas été négatif et même l’arrivée à la Présidence d’un « climato-sceptique » comme Trump peut ne pas avoir les effets catastrophiques redoutés ;
2. Le rôle du capital privé dans la lutte contre le changement climatique ne doit pas être sous-estimé ;
3. Plus généralement, la lutte contre le dérèglement climatique et la dégradation de la biodiversité est l’affaire de tous et pas seulement des grandes conférences internationales.
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