Ce ne sont pas les crises et les guerres qui manquent en Asie. Pourtant en Corée du Sud, une alternance récente aux résultats serrés se fait à ce jour sans drame, ce qui n’a pas été le cas chez son protecteur américain… Notre ami et chroniqueur Yves Carmona a pris la plume pour nous raconter son ascension.
1/ La Corée a derrière elle une longue histoire dont le dernier siècle long a été tragique.
La guerre de Corée de 1950 à 1953 a fait 38 500 victimes dans les forces onusiennes dont 37 000 américaines[1], 70 000 dans les forces sud-coréennes, environ 2 millions chez les combattants nord-coréens et chinois et au moins 3,5 millions parmi les non-combattants.
Tout cela pour rien puisque la guerre s’est terminée pratiquement là où elle avait commencé, au 37ème parallèle.
C’est ce qui s’est passé au Vietnam jusqu’à ce que le Vietminh réunifie le pays en 1975, mais c’est une autre histoire.
Le conflit dans la péninsule coréenne a contribué à la « haute croissance » japonaise comme le boom d’après-guerre a participé aux « 30 Glorieuses » en Occident. Les Etats-Unis ont fait fabriquer des armes chez le voisin japonais, quitte à y réhabiliter à partir du traité de sécurité Nippo-américain (1951) des criminels de guerre.
La guerre de Corée a également contribué au peuplement de l’archipel, ce qui était déjà le cas de longue date, comme à celui de l’occident et cette « diaspora » n’a jamais cessé au point que la vague coréenne [2]submerge parfois la culture japonaise.
Des tours sont organisés sur les lieux de la série « Sonate d’hiver » dont l’interprète masculin principal est le Coréen Bae Yong-jun, des associations de Coréens reflètent la division Nord Sud, chaque association ignorant l’autre dans son aide à l’une ou l’autre des deux parties.
Si on remonte plus loin dans l’Histoire, on s’aperçoit que le Japon a colonisé la péninsule coréenne de 1895 à 1945 au prix durable de « femmes de réconfort (iyanfu) », que la langue, les religions, les modes sont proches, jusqu’aux familles royales car une bonne part du peuplement japonais mais aussi chinois vient de là, ce que ni la Chine ni le Japon n’aiment reconnaître, si bien que la PRC interdit les fouilles dans l’ancien royaume de Paekche de crainte qu’elle mette au jour les preuves que le royaume coréen a possédé cette région. Il est vrai que la PRC est habituée à une lecture biaisée de l’histoire ; il plus surprenant qu’on ait dissuadé la grande presse nippone de reprendre les propos de l’Empereur Heisei, qui affirmait que les deux maisons étaient parentes ; il a fallu que ce soient des médias étrangers qui reprennent ce message intolérable !
2 Enfin devenue une grande puissance économique, la Corée du Sud s’en tire remarquablement bien.
Elle est entrée à l’OCDE en 1996, son PNB en PPA per capita était en décembre 2020 de 42 200 $ ce qui la mettait au 14ème rang mondial, entre l’Italie et l’Espagne et en-dessous de la France, 10ème. Elle est un fournisseur-clé de circuits imprimés et autres pièces électroniques. Son commerce essentiellement industriel dans les deux sens avec la Chine constitue près du double du commerce avec les Etats-Unis et plus de la moitié des importations en provenance de Chine sont assurées par des compagnies sud-coréennes.
Cette situation impose à Washington de revoir sa stratégie économique et commerciale, or le dernier Président a été l’inconstant Trump qui peut revenir ou laisser des trumpistes continuer à souffler le chaud et le froid.
3 Mais pour revenir aux principaux enjeux internes, le taux de fécondité a rapidement chuté et la pollution de grandes villes est devenue sensible..
Le taux de fécondité qui était de 6 en 1960 n’était plus que de 0,918 en 2019, le plus bas du monde [3] et n’assurait plus le taux de remplacement des générations qui est de 2,1 : comment la Corée du Sud fera-telle face à la pénurie de main d’œuvre : au moyen de robots comme au Japon ?
Quant à la pollution, multiforme (océans, produits en plastique, biodiversité etc.) donc impossible à dépeindre dans un article court, on retiendra un seul indicateur : les PPM10[4], les plus courantes car elles dont dues à la circulation automobile et au chauffage. Or la Corée du Sud est l’objet des deux premières mais la moitié des nuages qui recouvrent le pays régulièrement sont dus à la poussière jaune venant de Chine et de Mongolie, dont la quantité en mars 2021 était 12 fois supérieure au niveau considéré comme acceptable par l’OMS. Le ministère de l’environnement a alors conduit à provoquer des mesures de précaution telles que la fermeture des écoles et des recommandations aux cardiaques.
4 Enfin, sur le plan politique, elle est passée de la dictature des Présidents Syngman Rhee (1948-1960) puis Park Chung-hee (1963-1979) à la démocratie actuelle.
Elle a en effet connu l’alternance dans la violence.
Le Président Rhee, héros de l’indépendance, a été ramené par le général Mac Arthur en personne et a réprimé ses opposants, tuant 200 000 « communistes ».
Le militaire puis Président à la suite d’un coup d’Etat Park Chung-hee a continué à s’appuyer sur un régime autoritaire avant d’être assassiné en 1979.
La violence politique a continué ensuite. Les généraux Chun doo-Hwan et Roh Tae-Wu, dictateurs arrivés au pouvoir, ont été graciés par leur successeur Kin Dae-Jung.
C’est sans doute la Présidente Park Geun Hye, Présidente en 2012 mais destituée en 2017 pour une affaire de corruption puis graciée en 2021 par le Président Moon Jae-in qui a marqué le tournant de la vie politique coréenne : dirigeant le premier parti d’opposition, elle a succédé à son père dictateur, ce qui n’est guère fréquent internationalement pour une femme. Le Président Moon a confirmé ce tournant en graciant également l’ancien dictateur.
Le Président élu Yoon Seok-youl, ancien avocat, était critiqué par son parti quand il a attaqué la Présidente conservatrice Park pour corruption mais l’opinion publique s’est renversée quand il a attaqué le ministre de la Justice démocrate, ce qui lui a valu d’être élu Président en mars dernier.
Commentaires : Qu’une opinion publique versatile conduise à l’élection comme Président de la République d’un avocat est un signe de bonne santé démocratique. C’est sans doute pour la même raison que la Corée du Sud souhaite rejoindre la Quad à laquelle participent 4 autres pays démocratiques, les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et l’Australie. Pourvu que ce tournant se poursuive après sa prise de fonction en mai prochain.
La Corée du Sud a connu une histoire pleine de drames mais les dirigeants démocrates Kim Dae Jung et Moon Jae-in ont su faire preuve de mansuétude en graciant leurs précécesseurs. En laissant de côté ceux qui n’ont pu rester présidents que quelques jours, il faut espérer qu’à la stabilité mortifère des autocrates succédera la stabilité démocratique et que la nouvelle alternance que vient de connaître le pays se fera sans violence comme dans les autres démocraties.
Et que les difficultés, réduction accélérée du taux de fécondité, menace nord-coréenne, difficulté à trouver la stabilité entre deux grandes puissances (Chine et Japon pour ne rien dire de la Russie, non limitrophe mais pas sans influence), pollution, etc. pousseront ce pays à la cohésion.
Pays olympique en 1988, membre du G20 dont il a accueilli le sommet en 2010, 10ème économie mondiale selon le FMI au point qu’on parle de “miracle coréen” avec un PIB par habitant multiplié par 270 de 1961 à 2012, ce que n’avaient prévu ni le général Mac Arthur ni Mac Kinsey [5], la Corée du Sud paraît plus sereine.
Ça n’a pas toujours été le cas dans un environnement international difficile, mais aujourd’hui, la période « lame duck » semble se dérouler correctement et qui oserait l’attaquer ?
Alors un jour, peut-être, la réunification ?
[1] Les autorité françaises ont également employé un bataillon qui a eu au moins 287 tués.
[2] Hanryu
[3] L’auteur de ces lignes le croyait encore plus bas au Japon où celon certains, la solution serait la robotisation.
[4] Petites particules inférieures à 10 microns.
[5] Conversation dans les années 90 de l’auteur