Par Ioan Voicu, ancien Ambassadeur de Roumanie en Thaïlande
La 80e session de la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie et le Pacifique (CESAP) s’est tenue à Bangkok du 22 au 26 avril 2024. Son thème était « Tirer parti de l’innovation numérique pour le développement durable en Asie et dans le Pacifique ».
La session a réuni plus de 800 délégués de 61 États membres et membres associés. Tout naturellement, le plus grand nombre de participants venait de Thaïlande, pays hôte de la plus grande commission régionale de l’ONU et la seule où les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU ont la qualité de membres à part entière.
11 pays observateurs permanents étaient également présents : Allemagne, Chili, Finlande, Mexique, Roumanie, Saint-Marin, Slovaquie, Espagne, Afrique du Sud, Suède, Suisse et Union européenne.
Malgré son importance, cet événement diplomatique hautement significatif et symbolique (80e session) a bénéficié d’une publicité assez modeste, étant absent des pages des grands quotidiens internationaux. Le caractère technique prédominant de la session de la CESAP ne constitue pas une explication valable pour éviter d’en diffuser les résultats.
Nous tenterons donc de familiariser les lecteurs de Gavroche avec le contenu du document principal adopté par consensus par la CESAP le 26 avril 2024.
Inspiré par le sujet thématique de la session, le document est la première résolution approuvée par la session sous le titre « Tirer parti de l’innovation numérique pour le développement durable en Asie et dans le Pacifique ».
Idées stimulantes
La résolution comporte un long préambule et 9 paragraphes opérationnels qui seront présentés en détail ci-dessous, tout en respectant sa terminologie originale.
Traditionnellement, la résolution commence par rappeler les résolutions précédentes de l’Assemblée générale des Nations Unies, comme celle identifiée comme 70/1 du 25 septembre 2015, intitulée « Transformer notre monde : l’Agenda 2030 pour le développement durable », dans laquelle 193 États ont reconnu que la diffusion de l’information et les technologies des communications et l’interconnectivité mondiale ont un grand potentiel pour accélérer le progrès humain, réduire la fracture numérique et développer des sociétés du savoir, tout comme l’innovation scientifique et technologique dans des domaines aussi divers que la médecine et l’énergie, et sont convenus d’améliorer considérablement l’accès à l’information et aux communications.
Pour des raisons historiques, la CESAP a également rappelé la résolution 75/1 de l’Assemblée générale du 21 septembre 2020 sur la Déclaration sur la commémoration du 75e anniversaire de l’Organisation des Nations Unies, dans laquelle l’Assemblée s’est engagée à améliorer la coopération numérique et a reconnu que les technologies numériques avaient le potentiel d’accélérer la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030.
En mettant à jour les références fondamentales en la matière, la CESAP a salué la résolution 78/265 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 21 mars 2024, intitulée « Saisir les opportunités offertes par des systèmes d’intelligence artificielle sûrs, sécurisés et dignes de confiance pour le développement durable », dans laquelle l’Assemblée a décidé de combler l’intelligence artificielle et autres fractures numériques entre et au sein des pays et à promouvoir des systèmes d’intelligence artificielle sûrs, sécurisés et fiables afin d’accélérer les progrès vers la pleine réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030.
La CESAP a lancé à Bangkok un appel ambitieux en soulignant la nécessité de réduire toutes les fractures numériques, qui ont été aggravées par la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19), et de promouvoir l’inclusion numérique en renforçant les systèmes sûrs, sécurisés et dignes de confiance,systèmes et pratiques numériques, en tenant compte des contextes nationaux et régionaux, et en relevant les défis liés à l’accès sécurisé, à l’abordabilité, à la culture numérique, aux compétences numériques et à la sensibilisation aux risques numériques qui pourraient entraver les progrès vers la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et l’engagement de ne laisser personne de côté.
Les derniers paragraphes du préambule sont un véritable résumé de l’ensemble du document. Par son contenu, la CESAP note que l’économie numérique peut constituer une partie importante et croissante de l’économie mondiale et que la connectivité peut être un catalyseur utile de la croissance économique.
La CESAP affirme également qu’il existe différentes approches et outils à la disposition de chaque pays, en fonction de sa situation nationale, de son cadre juridique, de ses politiques et de ses priorités, pour accroître l’ampleur et l’impact positif des innovations numériques afin que les résultats du développement puissent bénéficier à tous, en particulier ceux des pays en développement, notamment des pays les moins avancés, des pays en développement sans littoral et des petits États insulaires en développement.
Appels à l’action
Le dispositif de la résolution à l’examen s’ouvre par un paragraphe par lequel la CESAP encourage tous ses membres et membres associés à renforcer la coopération régionale et multipartite et à travailler ensemble étroitement pour promouvoir la recherche et le développement dans les technologies numériques et favoriser le développement humain et une culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat en vue d’accélérer la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, conformément à leurs lois et priorités nationales. Afin de rendre ce paragraphe plus explicite, la CESAP énumère les actions spécifiques suivantes que nous reproduisons ci-dessous ad litteram :
a) Promouvoir le dialogue et la coopération technique sur les innovations numériques en vue de promouvoir le développement durable, notamment en favorisant la création de valeur grâce à des initiatives en matière d’économie numérique en Asie et dans le Pacifique, d’une manière efficace, abordable, inclusive, sûre et accessible, en particulier pour les plus vulnérables, tout en reconnaissant les obstacles majeurs auxquels les pays en développement sont confrontés pour s’engager dans l’utilisation des nouvelles technologies et y accéder, tels que l’absence d’un environnement propice approprié, de ressources suffisantes, d’infrastructures, d’éducation et d’alphabétisation, de capacités, d’investissement et de connectivité ;
b) Donner aux individus les moyens d’agir en renforçant leurs compétences, capacités et aptitudes à utiliser les technologies numériques ;
c) Promouvoir des environnements politiques et réglementaires favorables pour faciliter le développement, la mise en œuvre et la diffusion à plus grande échelle d’innovations numériques qui accélèrent et permettent de progresser vers la réalisation des 17 objectifs de développement durable.
Pour des raisons pratiques évidentes, la CESAP reconnaît la nécessité d’approches contextuelles dans l’élaboration et la mise en œuvre de solutions numériques.
Dans un paragraphe distinct, la CESAP encourage les membres et membres associés à œuvrer pour réduire la fracture numérique et promouvoir l’inclusion numérique en relevant les défis liés à l’accès sécurisé, à l’abordabilité, à la culture et aux compétences numériques et en veillant à ce que les avantages des nouvelles technologies soient exploités, accessible à tous, en tenant compte de toutes les formes de fracture numérique – tant entre les pays qu’à l’intérieur des pays, y compris les fractures entre zones rurales et urbaines, générationnelles, de revenus, d’éducation et de genre – et des besoins de ceux qui se trouvent dans des situations vulnérables, afin de garantir la sécurité, un accès numérique équitable et significatif pour tous.
La CESAP encourage également les membres et membres associés, conformément à leurs politiques et priorités nationales, à coopérer avec le système des Nations Unies pour le développement et avec de multiples parties prenantes, dans le cadre de leurs rôles et responsabilités respectifs, afin de promouvoir et d’améliorer l’inclusion numérique.
Il convient de reconnaître que la CESAP a une image réaliste de la situation réelle dans les domaines qu’elle couvre et c’est pourquoi elle note avec une profonde préoccupation les disparités existantes entre les pays développés et les pays en développement en termes de conditions, de possibilités et de capacités de production de nouvelles technologies scientifiques et technologiques.
Dans le même contexte, la CESAP reconnaît que la coopération et la collaboration en matière de science, de technologie et d’innovation avec les pays en développement, ainsi que les investissements étrangers directs et le commerce avec et entre eux, ainsi que le soutien international, sont fondamentaux pour renforcer la capacité des pays en développement à bénéficier des progrès technologiques et produire, entretenir, accéder, comprendre, sélectionner, adapter et utiliser les connaissances scientifiques, technologiques et innovantes.
La CESAP ne peut ignorer la valeur de la coopération Nord-Sud. C’est pourquoi la résolution souligne la nécessité d’encourager la promotion de projets et de programmes de coopération Nord-Sud pour améliorer l’accès des pays en développement à des ressources plus nombreuses et de meilleure qualité pour la mise en œuvre de projets techniques et scientifiques et de continuer à travailler au développement de la science et de la technologie dans les pays en développement en renforçant la coopération Sud-Sud et triangulaire, tout en rappelant que la coopération Sud-Sud ne se substitue pas, mais est plutôt un complément à la coopération Nord-Sud.
Les deux paragraphes suivants du dispositif ont une signification organisationnelle et diplomatique importante. La CESAP exprime sa gratitude au gouvernement du Kazakhstan pour avoir proposé d’accueillir la Conférence ministérielle Asie-Pacifique sur l’inclusion et la transformation numériques et encourage tous les membres et membres associés à participer au niveau supérieur pour renforcer la coopération numérique régionale dans le but de promouvoir l’inclusion numérique et le développement durable, conformément au mandat de la CESAP, en coordination avec d’autres entités des Nations Unies compétentes en matière d’activités numériques et cybernétiques, en tenant compte de la duplication potentielle des efforts au sein du système multilatéral.
La CESAP note également avec satisfaction l’initiative du Gouvernement du Kazakhstan visant à créer un centre de solutions numériques pour le développement durable afin de fournir des solutions numériques pratiques en Asie centrale et au-delà.
Conclusion
Le dernier paragraphe du dispositif de la résolution est adressé au Secrétaire exécutif de la CESAP à qui il est demandé notamment de :
Renforcer le soutien aux membres et membres associés, conformément à leurs besoins et priorités nationales, en vue d’identifier, d’élaborer et de mettre en œuvre des environnements politiques et réglementaires favorables à la promotion de solutions numériques évolutives et intégrées qui accélèrent la mise en œuvre des objectifs de développement durable ;
Fournir une assistance technique, une analyse politique et un soutien au renforcement des capacités, dans la limite des ressources existantes, conformément aux besoins et priorités des pays, tout en renforçant la sensibilisation et le partage des connaissances entre les membres et membres associés sur la promotion de l’innovation numérique, sur la prise en compte et le renforcement du numérique, la confiance, la sécurité et l’inclusion, en tirant parti des opportunités numériques émergentes et en atténuant les risques et les défis numériques pour le développement durable, le cas échéant, dans le cadre du mandat de la Commission ;
Publier une publication biennale destinée aux décideurs politiques sur les tendances, les défis et les opportunités liés à la promotion des innovations numériques pour le développement durable ;
Faire rapport à la Commission à sa quatre-vingt-troisième session en 2027 sur la mise en œuvre de la résolution résumée ci-dessus.
Le succès de cette résolution dépend entièrement de sa mise en œuvre par les membres et membres associés de la CESAP, qui sont invités à participer pleinement au processus complexe visant à concrétiser un certain nombre de recommandations spécifiques sans lesquelles la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030 ne serait pas possible.
La Conférence ministérielle Asie-Pacifique de la CESAP sur l’inclusion et la transformation numérique, qui se tiendra en 2024 au Kazakhstan, aura un rôle important à jouer dans la concrétisation de cet objectif majeur.
Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.